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  • Du slurp ou de l'art du repas au Japon... (D. SYLVAIN)

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    A franchement parler, les écrits de Dominique SYLVAIN romancière ne m'avaient guère marqués... J'avais lu Cobra, notamment, et je crois me souvenir de m'y être profondément ennuyée. Je n'étais donc pas franchement débordante d'enthousiasme face à un nouvel ouvrage de cet auteur... Cependant, lorsque je me suis avisée qu'elle publiait elle aussi dans la collection "Exquis d'écrivain" dont j'avais déjà eu l'occasion d'apprécier les livres (celui de Chantal PELLETIER notamment et, dans une moindre mesure, celui de Martin WINCKLER), je n'ai pu m'empêcher de glisser le petit ouvrage dans mes bagages irlandais.

    R_gals_du_Japon_et_d_ailleurs

    "Un exquis d écrivains résolument tourné vers l exotisme de l Extrême-Orient.

    Dominique Sylvain a su judicieusement lier, par le jeu des couleurs et des associations thématiques, des aller-retours entre les trésors lointains (des sushis-sashimis aux pâtisseries de haricots rouges, en passant par les soupes miraculeuses ou les sakés revigorants) et les souvenirs gourmands de son enfance lorraine (lapin, myrtilles, orgeat). En dialoguiste hors pair, elle nous convie à sa table avec beaucoup d humour et de vivacité, épinglant les situations de convivialité cocasses, mettant en scène furtivement les personnages de policiers qui ont fait son succès, rêvant sur les mots et appellations de produits et de cuisine, nous faisant entendre les curiosités musicales d un repas...

    Connaissant bien le Japon où elle vit depuis de nombreuses années, Dominique Sylvain sait nous raconter, d'une façon très singulière, loin des clichés sur la gastronomie nipponne, quelques curieux festins de l'empire du Soleil-Levant, des plus simples aux plus élaborés. Elle nous entraîne aussi en Afrique noire et vers des ailleurs méconnus, tels SingapourSingapour ou les petites îles de la Sonde, en Indonésie."

    Et c'est un vrai bonheur que ce petit livre ! Drôle, intéressant, instructif et savoureux, il nous fait voyager à travers le monde et ses gastronomies locales, saliver ou au contraire grimacer de dégoût (mais plus souvent saliver, avouons-le) : Dominique SYLVAIN a un vrai talent pour faire partager ses expériences et ne nous donne qu'une envie : la suivre dans ses pérégrinations.

    DU SLURP OU DE L'ART DU REPAS AU JAPON

    - IRRASHAIMASE ! IRRASHAIMASE ! IRRASHAIMASEEEEEE ! hurlent successivement les trois serveurs vêtus de vestes traditionnelles décorées de poissons bleus et ventrus.

    Leur formule de bienvenue se déploie en vagues scélérates. Le dernier a le plus bel organe, de quoi réveiller à lui seul une escouade de narcoleptiques. Une braillée à l'unisson aurait été préférable, nos tympans auraient souffert un peu plus, mais moins longtemps.

    Ken nous explique qu'au Japon l'accueil sonore fait partie du jeu. Dans les endroits sélects, l'irrashaimase est sobre, mais reste très audible. En revanche, dans une gargote, on est accueilli à grandes bramées généreuses, comme tous les clients qui suivront ; le repas est donc un voyage le long d'un torrent de décibels, ponctué par les arrivées successives des habitués, et l'inusable enthousiasme des serveurs et des cuisiniers. Les premiers temps, on sursaute, on manque de lâcher son nigirizushi dans sa sauce murasaki. Et puis on s'habitue.

    - IRRASHAIMASE ! IRRASHAIMASE ! IRRASHAIMASEEEEEE !

    Il est de bon ton de déguster ses nouilles en faisant de grands slurps. Hommes, femmes, collégiens, retraités, employés, artistes, grandes dames de Ginza, poupées gothiques de Harajuku, chacun y va de son slurp humide et effiloché. Il y a sans doute là l'occasion de montrer à l'aubergiste sa satisfaction, et celle de communier avec ses congénères dans une joie simple qui réconcilie avec l'existence. Un bol de nouilles colmate l'estomac, se digère comme un rêve et fournit en sucres lents les organismes les plus sollicités par un rythme de vie trépidant. Plus prosaïquement, le slurp permet de faire voyager un instant les nouilles dans l'air et de les refroidir juste ce qu'il faut avant de les avaler. En slurpant, on évite de se brûler.

    Le slurp démontre s'il était nécessaire que la cuisine n'est pas qu'affaire de bonheur des yeux ou de pailles gustatives. La gastronomie s'intéresse de près à nos oreilles, et particulièrement aux oreilles japonaises, lesquelles portent d'ailleurs le joli nom de mimi. Des dictionnaires d'onomatopées recensent plusieurs milliers d'expressions aussi courantes que savoureuses. Gutsu gutsu susurre la soupe en train de mijoter, ja ja fait l'eau qui coule dans une théière, et bari bari le biscuit qui craque délicatement sous la dent.

    Hors du territoire de la cuisine, le monde continue bien sûr de bruisser. Goro goro évoque le fait de rester chez soi pour s'abandonner aux joies de la nonchalance. Kia kia convient au rire à gorge déployée, niko niko à celui d'une élégante, et nia nia au ricanement du sournois. Quant à shin shin, il va comme une moufle à la neige qui tombe doucement et en grande quantité. Mais il est improbable que "foro goro gutsu gutsu bari bari shin shin ja ja nia nia" signifie : "Aujourd'hui, je suis restée au chaud chez moi les orteils en éventail en dégustant un gâteau craquant. Une soupe prometteuse mijotait sur mon réchaud, la neige semblait ne jamais vouloir s'arrêter de tomber, recouvrant mon jardin, étouffant même le rire que mon voisin laissait trop souvent fuser en prenant sa douche." Ce serait trop facile. Et pourtant on aimerait que de telles phrases existent. Comme on aimerait être capable de produire de longs et voluptueux slurps en mangeant nos nouilles. Mais notre éducation  nous en empêche.

    Dominique SYLVAIN, Régals du Japon et d'ailleurs, 2008.

    PS : dans la même idée, j'ai découvert ("Pas trop tôt !" diront certains) l'excellente série d'émissions de Julie ANDRIEU sur France 5 intitulée Fourchette et sac à dos et qui fait découvrir un pays via sa gastronomie.

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  • De la vie des légumes (C. PETITJEAN-CERF)

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    Lunaire. C'est l'adjectif que j'emploierai pour qualifier le roman de Cypora PETITJEAN-CERF :

    Le_corps_de_Liane

    Le samedi 31 août 1985, la deuxième chaîne suspendit la diffusion de Dallas.

    Liane et Roselyne arpentaient les allées de Sephora comme deux âmes en peine.

    - Tu te rends compte qu'on verra plus Pamela ? répétait Liane à n'en plus finir. Elle attrapa un rouge à lèvres Chanel, dévissa le tube, se passa le bâton sur le dos de la main. Le bâton forma un trait coloré et gras. Liane éloigna sa main pour observer le résultat. La dernière fois que Pamela était apparue à l'écran, elle venait de se faire faire une permanente et elle s'était mise à travailler.

    Liane et Roselyne n'avaient pas bien saisi en quoi consistait l'activité professionnelle de Pamela. Elle travaillait dans un bureau, mais il était sans cesse question d'une boutique. C'était confus. Une certitude, cependant : Bobby ne prenait pas au sérieux le nouveau métier de sa femme et Pamela souffrait de ce manque de reconnaissance. Pamela Ewing était victime de l'incompréhension masculine et ni Liane ni Roselyne ne pouvaient lui venir en aide.
    La série s'arrêtait pour le moment. La série s'arrêtait et il n'y avait rien à faire.

    Longtemps, je n'ai pas su trop quoi en penser. Il m'apparaissait comme un joyeux fourre-tout, un peu foutraque, un peu désordonné, et je ne m'y retrouvais pas. Ces personnages nonchalants, qui subissaient leur destin, toutes ces femmes, cette fascination pour Dallas, tout cela me laissait assez indifférente.

    Et puis, petit à petit, je me suis laissée gagner par l'ambiance. Et j'ai notamment beaucoup aimé le personnage de la grand-mère, qui se dessine peu à peu à travers le livre, d'abord brave paysanne du fin fond de sa Bretagne, un peu bécasse, un peu naïve, que l'on va découvrir au fil des pages, jusqu'à un final absolument magnifique.

    En attendant, voici un extrait du début du livre, évoquant Huguette, la fameuse grand-mère justement...

    De la vie des légumes

    A tous les repas, Huguette servait des légumes bouillis, sans viande. Parce que dans la viande se tortillaient des milliers de bactéries alors qu'avec les légumes, au moins, on était sûr. Liane avait du mal à avaler les légumes de sa grand-mère. Ils étaient fades et tièdes. Ils blanchissaient à la cuisson et prenaient des allures de cadavres. A chaque bouchée, Liane avait des hauts-le-coeur.

    "Tu ne manges pas beaucoup, ma fille, finit par remarquer Huguette.

    - Tes légumes, on dirait qu'ils sont morts", gémit Liane.

    Morts ? Huguette se creusa la tête après le dîner. Est-ce que les poireaux décédaient quand on les arrachaient de terre ? Est-ce que c'était possible, ça ? Il fallait reconnaître que les légumes oubliés dans le frigo finissaient par pourrir. Comme des bêtes. Mais est-ce qu'ils étaient morts pour autant ?

    Huguette médita une demi-heure devant le réfrigérateur.

    Cypora PETITJEAN-CERFPETITJEAN-CERF, Le Corps de Liane, 2007.

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  • Le livre à lire... dans ma cuisine (M. DONZEL)

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    Voilà exactement le genre de livre qui vous donne faim et puis - trois p'tits tours et puis s'en vont - vous laisse sur le bord du chemin, affamés.

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    A priori, disais-je donc, la quatrième de couverture était plus qu'alléchante : "Des livres qui vous apprennent à cuisiner, vous en avez déjà des tonnes. Mais le temps que vous passez dans votre cuisine ne s'arrête pas à la préparation des recettes. C'est quoi, au fond, une cuisine? Que peut-on y faire, quand on n'est pas occupé à y couper, verser, touiller...? Que peut-on apprendre de ce lieu chargé d'autant de poésie que de mystère? Vous ne saviez pas que faire pendant la cuisson de vos plats? Le livre à lire... dans ma cuisine est le compagnon qui vous manquait, l'indispensable guide des cuisiniers amateurs et des gourmands professionnels, de tous ceux qui confessent un plaisir - un peu coupable - à "traîner dans la cuisine" des heures durant... "

    A lire ces lignes, on imagine un ouvrage érudit tout en restant amusant, plein de gourmandises, eh bien non, rien de tout cela. Il s'agit d'une compilation autour de la cuisine : "testez votre vocabulaire culinaire", "10 bonne raisons de ne même pas chercher à entrer dans une taille 36", " la liste des aliments interdits avant un baiser", "les verbes de la cuisine", "les troubles du comportement alimentaires", etc... Loin d'être un livre construit autour des plaisirs de la cuisine, c'est un ouvrage construit avec ce que d'autres ont dit sur la cuisine. C'est souvent très cliché. Et cela manque sérieusement de saveur...

    Il y a une chose qui m'échappe à propos des restaurants... Les garçons s'y font payer pour cuisiner, alors qu'à la maison les filles font ça gratis, presque sans râler ! je trouve quand même bizarre qu'on appelle un garçon qui cuisine chef, que toute une armée d'apprentis et de commis se mette au garde-à-vous dès qu'il entreprend vaguement de se gratter le nez, et qu'il ait le droit d'insulter tout le monde en hurlant devant les caméras de télé qui s'extasient de son talent. Alors qu'une fille qui cuisine, on l'appelle maman, on se mouche le pif dans ses jupes et c'est après elle qu'on braille si la pitance traîne à être servie et qu'on risque de rater le début du feuilleton à la télé. c'est juste ça que je dis.

    Et je m'étonne d'une ou deux choses au passage. Par exemple, quand la progéniture rentre de l'école en hurlant : "qu'est-ce qu'on maaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaangemaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaange?", je me demande bien ce qui retient les mamans de répondre : "Mais ce que tu auras préparé, mon chéri, pendant que maman glandait au café avec ses copines." Les mamans pourraient aussi dire : "Tu ne manges pas, mon ange, parce que maman n'a pas du tout envie que tu grandisses, maman préfère que tu restes petit et mignon et que tu continues de n'aimer qu'elle, à jamais et à) la folie." Si les mamans disaient ça, les psys deviendraient très très riches, et en récompense, ils pourraient redistribuer un pourcentage aux mamans.

    Marie DONZEL, Le Livre à lire... dans ma cuisine, 2008.

    livres, critiques citations et bibliothèques en ligne sur Babelio.com

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  • Le roman que j'aurais adoré lire à quinze ans (S. MEYER)

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    Entendons-nous bien : je suis capable d'être une incurable niaiseuse. De celle qui se repassent en boucle le final de Pretty Woman ou de Coup de foudre à Notting Hill, celui de Officier et gentleman (mais rappelez-vous, Richard GERE fraîchement diplômé qui vient chercher Debra WINGER dans son usine, laquelle jette sa casquette (Debra WINGER, hein, pas l'usine) avant de partir portée par les bras musclés de Richie dans le soleil couchant tandis que braillent Joe COCKER et Jennifer WARNES Up where we belong...

    Hors d'atteinte est un de mes films culte, pour ces deux scènes fabuleuses que sont celle du coffre et celle du bar. C'est dire si je peux être niaiseuse, donc. Mais là, franchement, ça n'a pas marché :

    Fascination

    "Bella, seize ans, décide de quitter l'Arizona ensoleillé où elle vivait avec sa mère, délurée et amoureuse, pour s'installer chez son père, affectueux mais solitaire. Elle croit renoncer à tout ce qu'elle aime, certaine qu'elle ne s'habituera jamais ni à la pluie ni à Forks où l'anonymat est interdit. Mais elle rencontre Edward, lycéen de son âge, d'une beauté inquiétante. Quels mystères et quels dangers cache cet être insaisissable, aux humeurs si changeantes ? A la fois attirant et hors d'atteinte, au regard tantôt noir et terrifiant comme l'Enfer, tantôt doré et chaud comme le miel, Edward Cullen n'est pas humain. Il est plus que ça. Bella en est certaine. Entre fascination et répulsion, amour et mort, un premier roman... fascinant."

    Mais je sais parfaitement pourquoi ça n'a pas marché : parce que j'ai vingt ans de trop (à la louche). Stephanie MEYER a produit très exactement le livre que j'aurais adoré lire à quinze ans. Tout y est : les personnages stéréotypés, le romantisme échevelé, le côté toi et moi contre le monde entier... Lorsque j'avais dix-huit ans, un de mes films  culte était Génération perdue, de Joel SCHUMACHER (The Lost Boys en VO). Ceux qui l'ont vu comprendront, ceux qui l'ont aimé se reconnaîtront. Disons que je ne veux pas trop en parler ici, afin de ne pas dévoiler la trame du roman de Stephanie MEYER mais je ne suis pas loin de penser qu'elle a dû voir et apprécier le film elle aussi...

    Donc rien de très négatif cependant, l'extrait suivant vous en donnera la preuve. Je mets le livre de côté pour ma fille, je suis sûre qu'elle saura l'apprécier d'ici quelques années. En attendant, je garde quand même une dent contre le traducteur, qui a à mon avis bâclé le travail : les personnages ne rient pas, ils "s'esclaffent" toutes les trois pages, par exemple. Enfin, vous allez juger par vous même...

    - Franchement, je n'ai pas faim, insistai-je.

    Je scrutai ses traits impénétrables.

    - Fais-moi plaisir.

    Il s'approcha du restaurant et m'en tint la porte ouverte avec obstination, me signifiant que la discussion s'arrêtait là. Poussant un soupir résigné, j'entrai. La salle était loin d'être pleine - la saison n'avait pas encore commencé à Port Angeles. La propriétaire accueillit Edward avec des yeux gloutons (quoi de plus légitime ?) et le salua plus chaleureusement que nécessaire. La vigueur de mon agacement me surprit quelque peu. La femme, plus grande que moi de quelques centimètres, était une fausse blonde.

    - Nous sommes deux, lança Edward d'une voix séduisante. [...]

    Elle nous conduisit à une table pour quatre, là où la majorité des convives se tenaient. J'allais m'asseoir lorsqu'Edward secoua la tête.

    - Vous n'avez rien de plus intime ? demanda-t-il. [...]

    Elle nous emmena de l'autre côté d'un paravent, dans un endroit de la pièce divisé en alcôves, toutes vides.

    - Ça vous va ?

    - Parfait, la rassura Edward en lui décrochant son sourire éclatant.

    Un instant aveuglée, elle battit des paupières. [...]

    A ce moment, la serveuse arriva, l'air avide. Visiblement, la propriétaire avait craché le morceau dans la coulisse. La fille ne parut pas déçue. Plaquant une courte mèche brune derrière son oreille, elle sourit avec une inutile amabilité.

    - Bonjour. Je m'appelle Amber, et c'est moi qui m'occuperai de vous ce soir. Que désirez-vous boire ?

    Il ne m'échappa pas qu'elle ne s'adressait qu'à lui. Il m'interrogea du regard.

    - Un coca.

    - Mettez en deux.

    - Je reviens tout de suite, promit-elle avec un nouveau sourire, tout aussi inutile. [...]

    ... la serveuse apporta nos boissons et un paquet de gressins. Pas une fois elle ne se tourna vers moi pendant qu'elle les installait sur la table.

    - Vous avez choisi ? demanda-t-elle à Edward.

    - Bella ?

    Réticente, la fille daigna enfin s'apercevoir de ma présence.

    - Euh... les raviolis aux champignons, dis-je en choisissant le premier plat qui se présentait.

    - Et monsieur ?

    - Rien pour moi, merci.

    Évidemment.

    - Si vous changez d'avis, n'hésitez pas à m'appeler.

    Comme Edward s'entêtait à ne pas la regarder, la serveuse s'éloigna, frustrée.

    - Bois ! m'ordonna-t-il.

    Docilement, je sirotai ma boisson avant de l'avaler plus goulûment ; ce n'est que lorsque je l'eus terminée et qu'il poussa son verre dans ma direction que je me rendis compte à quel point j'avais soif.

    - Merci, murmurai-je.

    La morsure du soda glacé envahit ma poitrine et je frissonnai.

    Stephanie MEYER, Fascination, 2005

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  • Privés de dessert (D. LEON)

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    Donna LEON, j'en ai déjà parlé. cette Américaine installé en Italie a le don de vous faire partager ses deux passions (qui sont aussi quelques unes des miennes accessoirement) : Venise et la cuisine. Tout ça sous couvert de romans policiers policiers souvent passionnants avec un héros atypique : l'humaniste et lettré commissaire Guido Brunetti. Chaque roman est l'occasion de faire aimer davantage la ville et... de dénoncer la vie politique et sociale italienne !

    De_sang_et_d__b_ne__D

    Le dernier ne fait pas exception : "Venise, un soir d'hiver. Un vendeur à la sauvette africain est assassiné au beau milieu de Campo San Stefano. Un groupe de touristes américains était sur la place, marchandant des contrefaçons de sacs de marque, mais personne n'a rien vu qui puisse aider la police. Le commissaire Brunetti est chargé de l'enquête et il a du mal à comprendre les raisons d'un tel crime : les immigrants sans papiers vivent repliés sur eux-mêmes dans des squats insalubres, sans contact extérieur... Cela ressemble fort à un règlement de comptes au sein de la communauté et sa hiérarchie lui conseille de laisser tomber ses investigations. Mais Brunetti veut en avoir le cœur net. Il fouille les quelques affaires de la victime et dans une petite boite, il retrouve des diamants bruts dissimulés dans du sel... Qui était réellement cet immigrant ? Et comment s'est-il retrouvé en possession d'un tel trésor ? Et pourquoi cherche-t-on à décourager le commissaire dans son enquête ? "

    L'intrigue est bien mené, Paola, l'épouse de Guido, toujours aussi délicieuse, bref, c'est toujours un bonheur de replonger dans cette atmosphère. Ainsi dans cet extrait où Paola découvre avec horreur que nos enfants ne sont pas toujours tels qu'on le souhaiterait et laissent parfois échapper des mots qui ont d'inattendues conséquences sur les fins de repas... Voici donc :

    PRIVES DE DESSERT

    Chiara reposa sa fourchette dans son assiette : "Je peux aller dans ma chambre ?"

    [...] "Oui", dit Paola.

    Chiara se leva, repoussa avec soin sa chaise sous la table et quitta la pièce. [...]

    Raffi reprit sa fourchette et finit son radicchio, chagrin à l'idée qu'il n'y aurait pas de dessert ce soir, posa ses couverts bien alignés dans son assiette et alla poser le tout dans l'évier. Après quoi, il se réfugia dans sa chambre.

    Brunetti arriva sur les lieux de cette scène une heure et demie plus tard. Réconforté par les arômes qui remplissaient tout l'appartement, il lui tardait de revoir les siens et de parler d'autre chose que de morts violentes. Il se rendit dans la cuisine mais, au lieu de ce qu'il espérait voir - Paola et les enfants arrivés au dessert et attendant avec impatience son retour -, il ne trouva qu'une table vide et des assiettes empilées dans l'évier.

    Il partit à leur recherche dans le séjour, se demandant s'il n'y avait pas quelque chose d'intéressant à la télévision tout en sachant que c'était une impossibilité. il ne trouva que Paola qui lisait, allongée sur le canapé. Elle leva les yeux sur lui. "Tu as peut-être envie de manger quelque chose, Guido ?

    - Je ne dis pas non, mais je voudrais tout d'abord boire un verre pendant que tu m'expliqueras ce qui ne va pas." Il retourna à la cuisine, prit une bouteille de Falconera et deux verres. Il ouvrit la bouteille, n'attendit pas que le vin s'aère et remplit les verres. Il en tendit un à Paola et, quand elle l'eut pris, l'attrapa par la cheville. "Tu as les pieds froids", dit-il. Il prit le vieux châle posé sur le dossier du canapé et lui couvrit les pieds.

    Il s'accorda une bonne rasade - de quoi justifier un petit complément - et dit : "Très bien, qu'est-ce qui se passe ?"

    - Chiara s'est plainte de ce que tu arrives toujours tard, et, quand je lui ai dit que ce soir encore c'est parce que quelqu'un a été tué, elle m'a répondu que c'était "seulement un vu compra*"." Elle avait parlé d'un ton calme, dépassionné.

    "Seulement ?

    - Seulement."

    Brunetti prit une nouvelle rasade, laissa sa tête aller contre le canapé et fit rouler le vin dans sa bouche. "Hum, dit-il finalement, ce n'est pas joli-joli, hein ?"

    Bien que n'étant pas tourné vers elle, il sentit l'acquiescement de Paola à un mouvement du canapé.

    "A ton avis, elle ramené ça de l'école ? demanda-t-il.

    - Forcément. Elle est trop jeune pour être affiliée à la Ligue du Nord.

    - C'est donc quelque chose que ses camarades de classe ont ramené de chez eux, ou quelque chose que les profs ont dit ?

    - L'un ou l'autre, sinon les deux, j'en ai peur, répondit-elle.

    - J'imagine. Qu'est-ce que tu as fait ?

    - Je lui ai dit qu'elle tenait des propos ignobles et que ma fille me faisait honte."

    Il se tourna, sourit, leva son verre et la salua. "Toujours encline à la modération, n'est-ce pas ? [...]

    -Est-ce qu'on va rester là à battre notre couple de mauvais parents et à nous punir en nous privant de dîner ? demanda-t-il finalement.

    - On pourrait, sans doute." Elle avait répondu d'un ton entièrement dénué d'humour.

    " Je n'aime pas trop ni la seconde ni la première de ces idées.

    - Très bien. Je suis restée ici à me morfondre assez longtemps : ça suffira comme punition. On doit au moins pouvoir dîner en paix, je suppose.

    - Bien", dit-il, vidant le fond de son verre avant de se pencher pour reprendre la bouteille.

    Donna LEON, De sang et d'ébène, 2008.

    * vu compra : émigré clandestin

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  • Le gâteau au chocolat d'une vraie cuisine d'une vraie maison (A. GAVALDA)

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    L'avantage d'Anna GAVALDA, c'est qu'elle a déjà écrit son chef-d'oeuvre. Comme ça, c'est fait, c'est dit, jamais plus elle ne refera Ensemble, c'est tout et maintenant qu'elle a prouvé qu'elle savait le faire, elle est tranquille, elle peut écrire comme elle veut, ce qu'elle veut, s'offrir le luxe de tourner autour du pot, de casser les pieds à son lecteur en l'ennuyant avec les tourments et désarrois de son personnage, de lui faire des commentaires à la manière des auteurs du XVIIIème ("Retrouvons maintenant notre héros...") et puis, tout à coup, de lui offrir des moments miraculeux, comme c'est le cas à partir de la moitié de son livre, là où "ça commence vraiment", là où ça devient du Gavalda.

    La_Consolante

    Disons-le tout de suite, le roman commence très exactement à la page 307. Tout le reste, tout ce qui a précédé, n'était que littérature. Une lourde et longue entrée en matière pour préparer au bonheur des pages qui vont suivre. Du Gavalda pur jus : personnages fêlés, lézardés par la vie, plume à la fois acerbe et tendre, portant sur notre société un regard sans concession, et, surtout, un amour de l'humain sans partage. Anna GAVALDA fait du roman social, n'en déplaise à ceux qui ne voient en elle qu'une gentillette post-baba cool ou nouvelle bobo, c'est selon. Son Charles Balanda, ce quadra qui n'en peut plus de sa vie, c'est celui des chansons d'Alain SOUCHON, ce désenchanté qui ne sait plus où se mettre. Le pire, c'est lorsqu'il retrouve son ami d'enfance, qu'il avait quitté ado voulant devenir Chet Baker et sur le point de l'être tant il avait brûlé sa jeune vie par les deux bouts, et qui est devenu le "p'tit caporal de centre commercial" chanté par SOUCHON, "tapioca, potage et salsifis", "rangé à plat dans c'tiroir", dans sa maison "lapeyrisée", son bermuda Quetchua et son tablier "C'est moi le chef".

    Alors bien sûr, on pourra chipoter sur ce livre "inaccompli". Sur ces personnages laissés en plan, comme cette Marion qui traverse l'histoire en étoile filante, pleine de promesses, mais qu'on ne verra plus... Sur cette histoire qui se tortille de tous les côtés jusqu'à s'égarer parfois. Sur ces effets de style (l'absence de sujets...). Mais la magie GAVALDA est là. Dans ce roman bancal comme le sont ses personnages. Et pour vous le prouver que la magie fonctionne, je vous en offre un petit morceau. Voici donc :

    LE GÂTEAU AU CHOCOLAT D'UNE VRAIE CUISINE D'UNE VRAIE MAISON

    La porte d'entrée était entrouverte. Charles toqua, puis posa sa main bien à plat sur le pan de bois tiède.

    Pas de réponse.

    Lucas s'était faufilé à l'intérieur. La poignée était plus chaude encore, la retint un moment avant d'oser le suivre.

    Le temps que ses pupilles s'habituent au changement de luminosité, ses pailles étaient déjà éblouies.

    Combray, le retour.

    Cette odeur... Qu'il avait oubliée. Qu'il croyait avoir perdue. Dont il se contrefichait. Qu'il aurait méprisée et qui le faisait fondre de nouveau. Celle du gâteau au chocolat en train de cuire dans la vraie cuisine d'une vraie maison...

    N'eut pas l'occasion de saliver très longtemps car déjà, et comme sur le seuil quelques instants plus tôt, ne savait plus où donner de l'étonnement. [...]

    Charles était fasciné. Qui a fait ça ? demanda-t-il dans le vide.

    Une cuisinière, plus imposante encore, en émail bleu ciel, avec deux gros couvercles bombés sur le dessus et cinq portes en façade. Ronde, douce, tiède, appelant la caresse... Un chien devant, sur une couverture, sorte de vieux loup qui se mit à gémir en les apercevant, tenta de se redresser pour les accueillir, ou les impressionner, mais qui renonça, et s'affaissa en couinant de nouveau.

    Une table de ferme (de réfectoire ?), immense, bordée de chaises dépareillées, sur laquelle on venait de dîner et qui n'avait pas été débarrassée. Des couverts en argent, de assiettes bien saucées, des verres à moutarde copyrightés Walt Disney et des ronds  de serviette en ivoire.

    Un vaisselier ravissant, stylé, fin, chargé jusqu'à la gueule de terrines, de faïences, de bols, d'assiettes et de tasses ébréchées. Dans le creux d'une souillarde, un évier en pierre, sûrement très malcommode, où s'empilaient des tas de casseroles dans une bassine jaunie. Au plafond, des paniers, un garde-manger au tamis troué, une suspension en porcelaine, une espèce de boîtier presque aussi long que la table, creux, ponctué d'ouvertures et d'encoches où se balançait l'histoire de la cuillère à travers les âges, un rouleau à mouches d'un autre siècle, des mouches de celui-ci, ignorant le sacrifice de leurs aïeules et se frottant déjà les pattes à la perspective de toutes ces bonnes miettes de gâteau...

    Anna GAVALDA, La Consolante, 2008.

    Pour mémoire, et parce que je n'ai pas trouvé de version video de la chanson, voici un extrait de la chanson de SOUCHON, "le Bagad de Lann Bihoué" :

    Tu la voyais pas comme ça ta vie,
    Pas d'attaché-case quand t'étais p'tit,
    Ton corps enfermé, costume crétin,
    T'imaginais pas, j'sais bien.
    Moi aussi j'en ai rêvé des rêves. Tant pis.
    Tu la voyais grande et c'est une toute petite vie.
    Tu la voyais pas comme ça, l'histoire :
    Toi, t'étais tempête et rocher noir.
    Mais qui t'a cassé ta boule de cristal,
    Cassé tes envies, rendu banal ?
    T'es moche en moustache, en laides sandales,
    T'es cloche en bancal, p'tit caporal de centre commercial.

    Tu la voyais pas comme ça frérot
    Doucement ta vie t'as mis K.-O.
    T'avais huit ans quand tu t'voyais
    Et ce rêve-là on l'a tous fait
    [...]

    Tu la voyais pas comme ça ta vie,
    Tapioca, potage et salsifis.
    On va tous pareils, moyen, moyen...

    La grande aventure, Tintin,
    Moi aussi, j'en ai rêvé des cornemuses.
    Terminé, maintenant. Dis-moi qu'est-c' qui t'amuse ?

    [...]

    Alain SOUCHON, 1977.

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  • Crème brûlée pour le plus grand peintre du monde (M. MORPURGO)

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    Avouons-le tout de suite : je n'ai jamais été une grande fan de Michael MORPURGO. Le Roi de la forêt des brumes, Le Roi Arthur, cela m'a plutôt ennuyé. Alors, me direz-vous, pourquoi être allée lire ce livre inclassable, à la fois histoire d'une vie, d'une vocation et histoire d'histoires ?

    Au_pays_de_mes_histoires

    Justement à cause de cela. Si je ne comprenais pas, me suis-je dit, c'est que je n'avais pas trouvé les bonnes clefs. Le hasard a voulu que nombre de blogs littéraires se répandent élogieusement sur Au Pays de mes histoires. La couverture étant une véritable invitation, je n'ai pas pu résister. Et le croirez-vous ? Je n'ai pas aimé, j'ai adoré ! Cette alternance entre lui et ses histoires, ce ton unique qui fait qu'on ne sait pas toujours si l'on est dans la littérature ou la réalité, les histoires enfin, à la fois puissantes, touchantes et délicates, ce fut un formidable moment de lecture que je conseille à tout le monde !

    L'extrait que j'ai choisi de vous présenter appartient à la première histoire du livre et s'intitule "Rencontre avec Cézanne". Raconté par un jeune garçon, c'est le récit de son été en Provence, chez son oncle où il a été envoyé, lui le petit Parisien parce que sa mère est malade. L'oncle a une fille, Amandine, secret amour du narrateur, et un restaurant. Et un fameux client... Voici donc :

    CRÈME BRÛLEE POUR LE PLUS GRAND PEINTRE DU MONDE

    Au restaurant, le travail suivait toujours la même routine. Dès que les clients étaient partis, Amandine débarrassait les verres de vin, les bouteilles et les carafes. Moi, je m'occupais des tasses à café et des couverts, elle vidait les cendriers, pendant que je réduisais les nappes de papier en boulettes et les jetais dans le feu. Ensuite, nous mettions de nouveau le couvert aussi vite que possible pour les prochains clients. Je travaillais dur, car je voulais plaire à Amandine et j'attendais un sourire d'elle. Il ne venait jamais. [...]

    Chaque jour passait sans que rien ne change, et je devins de plus en plus malheureux, parfois si triste que le soir, je pleurais jusqu'à ce que je m'endorme. Je vivais dans l'attente des lettres de ma mère, ainsi que les matins où, me promenant dans les collines que Cézanne avait peintes, je ramassais les glands des arbres que le vieux berger de Jean Giono avait plantés. Là, loin de l'indifférence d'Amandine, je pouvais être heureux un moment, et abandonner à mes rêves. Je me disais qu'un jour, je pourrais venir vivre dans ces collines, et devenir un artiste comme Cézanne, le plus grand peintre du monde, ou peut-être un merveilleux écrivain comme Jean Giono.

    Je pense que l'oncle Bruno se rendit compte de ma tristesse, car il me prit sous son aile. Il m'invitait de plus en plus souvent dans sa cuisine et me laissait l'aider à préparer sa soupe au pistou, ou son poulet au romarin, pommes dauphine et poireaux sauvages. Il m'apprit à faire la mousse au chocolat, la crème brûlée, et avant je m'en aille, il remuait toujours sa moustache pour moi, puis me donnait un abricot confit. Mais je redoutais le restaurant, à présent, je redoutais de me trouver face çà Amandine, et de devoir supporter le silence entre nous. [..]

    Ce soir-là, Amandine me dit que je devais bien faire les choses, car leur meilleur client venait dîner avec des amis. Il vivait dans le château du village, me raconta-t-elle, et était très connu. mais lorsque je demandais pourquoi  il était connu, elle ne me répondit pas, comme si c'était sans intérêt.

    - Des questions, toujours des questions, me rabroua-t-elle. Va me chercher des bûches.

    Quel que fût ce célèbre client, il me parut assez ordinaire, ce n'était qu'un vieil homme au crâne dégarni. Mais il commanda l'une de mes crèmes brûlées, et je fus très honoré qu'un homme connu ait mangé l'un des desserts que j'avais préparé. Dès que ses amis et lui furent partis, nous commençâmes à débarrasser la table. J'enlevai la nappe en papier comme d'habitude, et comme d'habitude j'en fis une boulette que je jetai dans le feu. Soudain Amandine se précipita sur moi.

    Michael MORPURGO, "Rencontre avec Cézanne" in Au Pays de mes histoires, 2006.

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  • Le secret du bouillon (S. ISHIKAWA)

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    Clarabel l'a promis, elle en a même fait un beau bandeau :

    2008_manga

    ©Clarabel.

    Et puis il n'a pas qu'elle... Gawou aussi s'y est mise. Alors comme je ne suis jamais en retard d'une tendance, je me suis retrouvée à lire un de mes premiers mangas : les aventures d'Aya, conseillère culinaire.

    aya

    Bon, évidemment, comme je suis un peu blonde, il m'a fallu un petit moment pour prendre le réflexe de lire à l'envers (on commence en haut à droite et on finit en bas à gauche) mais une fois que j'ai compris, j'avoue que la lecture est subitement devenue beaucoup plus cohérente...

    Aya Kisaragi est conseillère culinaire pour la société Food Project. Sa mission : redresser les restaurants qui battent de l'aile. Ses armes : un sens du goût exceptionnel et un caractère bien trempé.

    En compagnie de son assistant gaffeur Ippei Komaï, partez à la découverte du goût nippon, de ses techniques secrètes et de ses réalités.

    Le tome 1 que j'ai lu présentait trois histoires (appelées menus) et offrait en prime quatre recettes. Je l'avoue, j'ai aimé cette lecture divertissante et aux relents d'enfance voire d'adolescence - en effet, les personnages de manga me rappellent irrésistiblement les dessins animés de notre jeunesse et le gaffeur Ippei Komaï le Quentin (sûrement pas son nom japonais, ça...) de Cat's Eye - mais j'ai cependant trouvé cela un peu "gentillet". Je lirai certainement les autres volumes si l'occasion se présente, mais ce n'est pas une priorité.

    L'extrait suivant provient de la première histoire, "Père et fils". Une histoire dramatique d'un petit garçon dont les parents sont divorcés et qui voudrait désespérément que son papa redevienne le grand chef qu'il fut. En attendant, il a sombré dans l'alcool et son ex-femme cherche à reprendre le restaurant qu'il laisse aller à vau-l'eau (ou à vau-le-saké, en l'occurrence...).

    aya

    Saburô ISHIKAWA, Aya conseillère culinaire (tome 1), 2007.

    Et pour le souvenir :

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  • Le lièvre à la sauce au chocolat (J. BARNES)

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    J'avoue cette grande lacune : je n'avais jamais lu de Julian BARNES. Je me souvenais d'un érudit anglais à l'oeil pétillant présentant il y a fort longtemps Le Perroquet de Flaubert, mais jamais je ne m'étais hasardé à entamer un livre de cet auteur. Jusqu'à ce que je tombe par hasard sur un petit opuscule intitulé Un Homme dans sa cuisine :

    Un_homme_dans_sa_cuisine

    "Autrefois, dans la famille Barnes, jamais un homme ne se serait risqué devant un fourneau. La cuisine, c'était une affaire réservée aux femmes... Mais quand Julian est parti vivre à Londres, il a dû s'y mettre et on peut dire désormais que ses progrès ont été spectaculaires, sinon rapides... Un des plus célèbres écrivains anglais d'aujourd'hui va nous livrer ici le désopilant récit de ses trouvailles (parfois curieuses, voir le saumon aux raisins secs), de ses échecs (souvent savoureux, voir pourquoi il a raté le lièvre à la sauce au chocolat) et de ses coups de gueule (ah, ces livres de cuisine tous aussi imprécis les uns que les autres !). Celui qui se définit comme un " obsessionnel anxieux " nous fait partager ses angoisses et bien sûr ses enthousiasmes - en nous livrant au passage de bien délicieux secrets."

    Avouez que la mise en bouche était tentante... et pourtant, je suis restée sur ma faim. Certes le livre est bien écrit, certes le ton est alerte, mais l'ensemble est resté bien trop "rationnel" pour moi. Pas de ce petit grain de folie typiquement british, non, l'auteur énonce avec brio, voire verve, ses expériences culinaires, ratées ou réussies, ses critiques de grand chef ou, au contraire, ses admirations, mais cela manquait cruellement, pour moi, de vie, de chair ou, disons-le carrément, d'appétit. "L'obsessionnel anxieux", tel qu'il se définit, l'est bien : pinailleur, angoissé, mesuré, bref, tout ce qui est bien loin de l'idée que je me fais de la cuisine.

    Dans le chapitre intitulé "Une fois suffit", il évoque ces plats que l'on ne mange qu'une fois, parce que liés aux circonstances, ainsi ce :

    LIÈVRE A LA SAUCE AU CHOCOLAT

    Il y a aussi des plats que l'on ne cuisine qu'une fois, et avec un certain succès - plusieurs petits désastres banals au cours de la préparation, mais rien d'extraordinaire, rien qui ne vous empêche d'imaginer leur éventuelle saveur, dans un monde parfait. Pourtant, pour des raisons étrangères au cuisinier, on est incapable de recommencer. Peut-être que l'un des invités a vomi dans la rue - de toute façon quelque obstacle psychologique mineur se présente chaque fois que le livre s'ouvre par hasard à cette page-là, au cours des années suivantes.

    J'ai préparé un jour un Lièvre à la sauce au chocolat pour un amiral en retraite. Cela vous paraît un bon choix de menu ? C'était assurément discutable puisque je n'avais jamais tenté ce plat pour personne. [...]

    La recette provenait des Bonnes Choses de Jane Grigson. Une fois le ragoût cuit, on prépare la sauce en mélangeant le sucre dans une casserole jusqu'à ce qu'il fonce légèrement, puis on verse le vinaigre de vin. La sauce est censée se transformer en sirop épais auquel on rajoute le chocolat, les pignes, l'écorce confite, etc. Au lieu de quoi, le mélange se rebiffa avec violence, lâcha une bordée d'éclairs et de grésillements, et se transforma sur-le-champ en une barre de caramel amer. Je ne m'en sortirais pas par un coup de bluff. Le lièvre m'attendait, d'un côté, les ingrédients pour finir la recette, de l'autre ; seule la sauce pouvait faire qu'ils se rencontrent.

    Je sortis une nouvelle casserole, et j'étais en train de faire fondre le sucre avec appréhension quand j'entendis l'amiral déclarer sa flamme à Celle-pour-qui-l'obsessionnel-cuisine. Ce fut assez inattendu pour moi, pour elle, et à l'entendre, pour l'amiral aussi. Il s'exprimait d'une voix forte et précise, comme il convient à quelqu'un habitué à donner des ordres.

    "Que faire lorsqu'on tombe amoureux ?" demandait-il. Question qui n'avait rien de rhétorique et qui m'est restée en mémoire depuis.

    Le sucre commença à fondre alors que mon coeur, je dois le confesser, se durcissait. Le nez dans le livre de cuisine, mais les oreilles tendues vers la salle à manger, je n'étais peut-être pas au maximum de ma concentration. J'arrivai de nouveau au moment-clef de la gastro-fusion, et la même explosion se produisit. Devais-je y voir un présage de mauvais augure ? Désolé, amiral, le menu a changé. On mange du Lièvre à la sauce chocolat mais sans la sauce. Elle croupit au fond de la cale. Et au fait, méfiez-vous des petits os dangereux qui pourraient se coincer dans la gorge.

    Depuis cette soirée, je n'ai jamais été tenté de refaire du Lièvre à la sauce au chocolat. En revanche, je me suis parfois demandé à quoi pouvait ressembler de l'amiral rôti.

    Julian BARNES, Un Homme dans sa cuisine, 2003.

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  • Petit déjeuner dominical à Istanbul (E. SHAFAK)

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    Pour moi, la Turquie, jusqu'à présent, cela se résumait à quelques vagues clichés : Sainte-Sophie, la Cappadoce, les clubs de foot de Galatasaray et Fenerbahçe, et un chiffon rouge agité régulièrement par nos politiques : l'entrée de la Turquie dans la Communauté européenne.

    Je me souvenais bien qu'en classe de Cinquième, nous avions évoqué Byzance, puis Constantinople, mais bon, Istanbul, le génocide arménien, tout ça, c'était très vague...

    La_B_tarde_d_Istanbul

    Et puis le roman d'Elif SHAFAK est arrivé. Et là, d'une part tout s'est éclairé, mais surtout, tout s'est humanisé. Toutes ces entités sont devenues concrètes et ont pris visage humain, féminin surtout. En cette proche fin d'année, je mettrais sans aucune hésitation La Bâtarde d'Istanbul dans mes romans préférés de l'année 2007. J'ai dé-vo-ré ce livre et sa lecture fut un pur bonheur ! Tout y était : l'histoire, complexe, retorse et rebondissante à souhait, les personnages, pittoresques et attachants, le style, fait d'acidité, d'humour, de nonchalance, de gourmandise et de précision, et l'arrière-plan, enfin, cette Turquie qui a voulu faire table rase de l'avant-1923, ce confluent d'un monde d'une richesse incomparable et qui aura été sacrifié sur l'autel du XXème siècle, cette civilisation perdue, comme le dit si bien Amin MAALOUF dans sa préface : "un vieux rêve aujourd'hui malmené, celui d'un Orient aux langues et aux croyances multiples, celui de cette galaxie d'étoiles resplendissantes qui avaient pour nom Alexandrie, Salonique, Smyrne, Beyrouth, Bagdad, Sarajevo, et d'abord, à tout seigneur tout honneur, la sublime et millénaire Constantinople où se côtoyaient des Serbes, des Albanais, des Bulgares, des Polonais en rupture de ban, des chrétiens échappés de Mésopotamie et des Juifs chassés d'Espagne..."

    L'histoire ? elle est multiple. C'est celle des familles Kanzanci et Tchakhmakhchian, celles des cousines Asya la Turque et Armanoush l'Arménienne. Histoires d'exils, de familles, de destins. Le roman d'Elif SHAFAK est plein d'odeurs, de saveurs, d'épices (chacun des chapitres porte d'ailleurs un titre "alimentaire", de "cannelle" à "pignons de pin"). Voici donc un :

    PETIT-DÉJEUNER DOMINICAL A ISTANBUL

    " Je rêve ! Tu es exactement dans la position où je t'ai trouvée il y a une demi-heure ! Qu'est-ce que tu fais encore au lit, espèce de fainéante ?

    Tante Banu venait de passer la tête dans sa chambre, sans avoir éprouvé le besoin de s'annoncer avant. Elle portait un voile d'un rouge si lumineux que, de loin, on aurait dit une grosse tomate bien mûre.

    - Nous avons vidé tout un samovar en t'attendant, princesse. Allez, viens. Haut les coeurs ! Tu sens cette odeur de sucuk grillé ? Ça ne te donne pas faim ?

    Elle referma la porte sans attendre de réponse.

    Asya grommela entre ses dents, remonta la couette jusqu'à son nez et se tourna de l'autre côté.

    Article quatre : Si les réponses ne t'intéressent pas, ne pose pas de questions.

    Au milieu de l'effervescence caractéristique d'un petit déjeuner du week end, elle entendit le thé s'écouler du robinet d'un samovar, les sept oeufs bouillir dans la marmite, les tranches de sucuk grésiller dans la poêle à frire, et les émissions défiler sur l'écran de la télé : dessins animés, clips vidéo, nouvelle locales, informations internationales. Asya n'avait pas besoin d'aller jeter un oeil au salon pour savoir que grand-mère Gülsüm régnait sur le samovar, que tante Banu - qui avait retrouvé son appétit après ses quarante jours de pénitence soufie - grillait le sucuk, et que tante Feride zappait, incapable de choisir un programme et suffisamment schizophrène pour en absorber plusieurs en même temps ; tout comme elle brûlait de se consacrer à tant d'activités différentes qu'elle finissait par ne rien faire du tout. [...]

    La table pliante du petit déjeuner était dressée depuis longtemps. En dépit de son humeur grognon, Asya ne put s'empêcher de noter que, lorsqu'elle était ainsi parée, cette table s'harmonisait parfaitement avec l'immense tapis couleur brique dont les motifs floraux intriqués étaient mis en valeur par une belle bordure corail. Il y avait des olives noires, des poivrons rouges farcis aux olives vertes, du fromage frais, du fromage tressé, du fromage de chèvre, des oeufs durs, des gâteaux au miel, de la sauce buffalo, de la confiture d'abricot et de la confiture de fraise faite maison et de tomates à la menthe et à l'huile d'olive, présentés dans de jolies coupes en porcelaine. Le fumet délicieux des böreks, ces délicats feuilletés fondants au fromage frais, aux épinards, au beurre et au persil, arrivait de la cuisine.

    Elif SHAFAK, La Bâtarde d'Istanbul, 2007.

    A savoir : Elif SHAFAK a été amenée devant la justice turque pour avoir "insulté l'identité nationale". Elle encourait une sentence de trois ans de prison et a été finalement acquittée.

    "Les histoires de famille s'entremêlent de telle sorte que des événements survenus il y a plusieurs générations peuvent influer sur le présent. Le passé n'est jamais mort et enterré.

    La vie est une coïncidence, même si parfois, il vous faut un djinni pour vous en rendre compte." (E. SHAFAK)

     

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