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Mon Amérique à moi (M. WINCKLER)

Imprimer Catégories : Littérature gourmande

"Exquis d'écrivain" est une nouvelle collection que viennent de créer les éditions Nil, sous la houlette de Chantal PELLETIER. Vont y être publiés des textes d'écrivains qui parleront de leur relation au goût et aux plaisirs des sens liés à la nourriture. Trois livres sont déjà sortis : A ma bouche, de Martin WINCKLER, Sous les mets les mots, de Claude PUJADE-RENAUD et Voyages en gourmandise, de Chantal PELLETIER elle même.

Vous pensez bien qu'une telle collection ne pouvait que m'intéresser ! C'est d'ailleurs ce qu'a pensé la charmante personne qui m'a offert ces trois livres, ajoutant toutefois : " Disons qu' ils sont d' une lecture charmante, une bouffée d' oxygène, un moment de détente sympathique." J'ai décidé de commencer par l'ouvrage de Martin WINCKLER. De lui, je n'avais rien lu, m'étant seulement contenté d'en "entendre parler". J'avoue n'avoir pas été transportée par sa prose, le style étant trop "rigoureux", trop sec, (trop scientifique ?) pour moi. Sur son site personnel, il parle ainsi de son livre : "À ma bouche, ma contribution à cette collection, n’est pas un essai, ni un roman. C’est un livre autobiographique, qui raconte et réinvente des moments d’enfance et d’adolescence, et parle de la valeur symbolique que revêtent pour moi certaines coutumes culinaires, certaines recettes, certains souvenirs."

J'ai personnellement été touchée par son chapitre évoquant son séjour aux USA, qu'il fit à dix-sept ans. Il passa une année dans une famille américaine et les souvenirs qu'il en a gardés sont, je crois, des souvenirs dans lesquels se reconnaîtront beaucoup de ceux qui ont eu le bonheur d'aller aux USA : un ensemble de petits bonheurs, de plaisirs régressifs ou transgressifs, mais oh combien délicieux ! Et les serveuses qui vous appellent "honey" dans des restaurants qui semblent tout droit sortis de Shérif, fais-moi peur ! En lisant ce texte je ne pouvais m'empêcher de fredonner la chanson de Johnny HALLYDAY (paroles de Philippe LABRO) :

Mon Amérique à moi c'est une route sans feux rouges
Depuis l'Hudson River jusqu'en Californie
[...]

Mon Amérique à moi c'est jamais les gratte-ciel
Ni les flics ni les fusils ni la drogue ni le sang
C'est plutôt les enfants qui sur leurs vélos rouges
Distribuent les journaux aux portes des maisons
Y a des bouteilles de lait sur tous les paillassons

[...]

Mon Amérique à moi est telle que je la rêve
Telle que je l'ai vécue telle que vous l'avez vue
Dans les films noir et blanc la lumière était belle
Et les figurants des westerns semblaient tout droit venus
Des albums illustrés signés Norman Rockwell

[...]

Mon Amérique à moi est modeste et tranquille
Elle me dit
good morning avec un grand sourire
Me sert du café chaud, des pommes à la vanille
M'invite pour passer Noël au Tennessee
Et pour faire du cheval dans la Ouest Virginie

C'est, je crois, cette Amérique-là dont veut se souvenir Martin WINCKLER. Et nous en faire partager un morceau. Je dédie ce texte à ma meilleure amie, Anne, qui saura en apprécier toute la valeur...Voici donc :

MON AMERIQUE A MOI

Un jour, à l'adolescence, j'ai quitté les pithiviers, les petites galettes, la tchoutchouka et le poulet au citron pour le pays de la malbouffe.

Du moins, c'est ce qu'on m'a dit alors.

"Tu pars en Amérique ? C'est un beau pays, mais, mon pauvre, tu vas souffrir. Qu'est-ce qu'on y mange mal !"

Ça m'a fait sourire. Au risque de paraître hérétique, je suis omnivore. Après avoir passé plusieurs étés en Angleterre, dans les années soixante, j'ai appris à manger, pour calmer ma faim, des choses sans nom - pour ne pas dire innommables. Des Fish and chips, pour commencer : de grands filets de poisson pané et des frites abondamment salées, servies dans des cornets de papier journal.

De plus, j'aime le ketchup et la moutarde. Avec du ketchup et de la moutarde, on peut faire passer n'importe quoi. Alors, aller manger en Amérique, est-ce que ça pouvait vraiment m'effrayer ?

[...] A ma bouche, l'Amérique a des goûts aussi délicieux et familiers que ceux de mon enfance rapatriée. Non pas le goût du Coca-Cola : j'avais fait le pari de ne pas en boire une goutte pendant toute mon année et je l'ai facilement tenu. Mais celui, acidulé, du 7-Up et du Sprite, dont il fallait toujours laisser la dernière bouteille pour Charly. Des steaks hachés que Betty faisait rissoler, une cigarette au coin de la bouche, sur une poêle plate posée à cheval sur deux feux de la cuisinière. Le goût du fudge, le caramel qu'elle avait fait durcir dans un grand plat carré ; celui des brownies qu'elle confectionnait les soirs d'hiver et celui des hot dogs qu'on mange dans la boutique d'une station-service après avoir fait le plein (merci, Chuck, de m'avoir appris ça). Le goût des pizzas dont on commande la garniture. Le goût du coleslaw, la salade de chou servie en accompagnement de tant de diners. Le goût des Oreos - les chocos BN américains - dont on lèche la crème avant de croquer les deux biscuits ronds qui l'entourent. Le goût des milk shakes. Le goût des hamburgers qu'on passait acheter au Red Barn avant d'aller voir un film au drive-in. Le goût des repas du soir pris à six heures de l'après-midi, et celui des crèmes glacées qu'on mangeait vers vingt-deux heures après être allés faire des courses au Mall. Le goût de la sauce Thousand Island sur la Caesar Salad dans un petit restaurant sur la route de Denver, et la voix de la serveuse quinquagénaire qui s'adressa à moi en m'appelant Honey. Le goût des TV dinners : on enlevait le papier aluminium des grands plateaux surgelés, Chuck ou Juno ou moi les mettions au four (les fours à micro-ondes n'existaient pas encore à l'époque) pendant que l'un ou l'autre surveillait le téléviseur du coin de l'oeil. Une fois réchauffés, on les installait sur de petites tables pliantes juste au moment où débutait le film du soir - Oklahoma ! ou South Pacific. Le goût du T-Bone steak sorti du gril [...].

Le goût de l'Amérique, c'est celui du hashbrown servi en side order, dans ce Coffee parisien du Quartier latin où j'ai toujours envie d'aller déjeuner depuis qu'une jeune femme aussi profondément amoureuse de l'Amérique que moi me l'a fait découvrir, début 2006.

Le goût de l'Amérique, à ma bouche, n'est pas le goût d'une bonne ou mauvaise nourriture - rien de plus arbitraire, rien de plus suspect, rien de plus frelaté, rien de plus commercial que la notion de "bon" dans la nourriture - c'est celui de la vie que j'ai vécue là-bas au début des années soixante-dix avec des adolescents de mon âge curieux du pays d'où je venais, des adultes qui me respectaient et ne me traitaient pas de haut, des enseignants qui m'encourageaient et un monde où, même si tout n'est pas possible (tout n'est jamais possible), la vie entière a du goût.

Martin WINCKLER, A ma bouche, 2007.

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Commentaires

  • C'est presque la larme à l'oeil que j'ai lu ton "papier" : je regrette déjà de ne pas avoir cédé à mon envie de rapporter 4 paquets d'Oreos double cream à mes dernières vacances. A la lecture, j'ai eu comme un souvenir gustatif de burger au bacon avec de l'american cheddar et je me suis souvenue de la souriante Sheryl du Denny's de Pittsburgh et son "more coffee?" qui a rythmé mon petit déjeuner pantagruelique! MIAM!!

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