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Chansons du curé sur le mur

  • Souvenirs d'enfance et de jeunesse - ode au livre de poche

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    D'aussi loin que je me souvienne, le Livre de Poche a toujours fait partie de mon univers. Enfant, je ne pouvais ouvrir un placard, un tiroir, sans en apercevoir des monceaux, tapis dans la pénombre d'une armoire ou d'un buffet. Mes parents, grands lecteurs à petits revenus, croyaient à l'époque, comme beaucoup de leurs contemporains, que seuls les « beaux » livres, les éditions reliées, les cuirs pleine peau, avaient droit de cité dans une bibliothèque. Les autres, manquant de noblesse, étaient relégués dans les tréfonds de notre quotidien : au fond d'une penderie, sous les manteaux, en piles sur les tables de nuit à côté de la lampe de chevet, en caisses sous les lits. Il a fallu qu'un fabricant de meubles suédois arrive, avec ses bibliothèques toutes simples, mais si fonctionnelles, pour que tous ces ouvrages sortent enfin de l'ombre et gagnent leur droit de séjour au salon. Ils ont alors envahi nos murs...

    Ce que j'aimais dans les Livres de Poche, c'était leur accessibilité mêlée de mystère. Jamais trop lourds, jamais trop gros, ils tenaient dans mes mains d'enfant et leurs couvertures des années Soixante, peintes à la manière de Van Dongen, étaient pour moi puissamment évocatrices. A cela s'ajoutait l'odeur, indéfinissable, de papier gris, de poussière et, vaguement, de renfermé, et la couleur de la tranche, orange terni, vert-de-gris délavé, jaune passé. J'adorais observer le passage du temps sur les ouvrages, les pages couvertes de signes imprimés encore énigmatiques à mes yeux et dont les contours n'étaient jamais tout à fait nets, où les pages semblaient ourlées d'une vague couleur qui venaient dévorer un peu plus les pages. Ces livres étaient vivants ! Pendant longtemps, le Livre de Poche, ce fut pour moi l'univers des adultes à portée de main.

    Et puis un jour, j'ai quitté l'enfance. Je me souviens très bien de ce premier Livre de Poche. Celui que j'ai vraiment lu. Et compris. Il portait le numéro 373 - un signe : mes deux chiffres préférés - et sa couverture, cernée de rouge et de violet, offrait le visage de trois-quarts d'une femme inconnue. Car à la différence des Livres de Poche de mes parents, celui-ci montrait une photo, et non plus les peintures presque surannées qui avaient illustré et accompagné mon enfance. Colette. Sido. Deux prénoms de femme. Pas de nom. Presque des évidences. Des types. Pourquoi le hasard a-t-il fait que j'ai quitté l'enfance à travers un livre qui tentait de la retrouver, de la reconstruire, de la recréer ? Je ne le saurais jamais. Mais je me souviens d'avoir été happée d'emblée par cette plume impérieuse, à la fois précise et insoumise.

    « Et pourquoi cesserais-je d'être fière de mon village ? » L'interpellation vous saisissait d'emblée, vous empoignait, vous contraignait à suivre le fil d'une pensée qui se déroulait au gré de la mémoire. Colette y évoquait sa mère, Sido, son père, le Capitaine, ses frères, les Sauvages, et Juliette, sa sœur aux longs cheveux ; pourtant, le ton n'était jamais sucré ou bêtement nostalgique - je crois que c'est ce qui a su séduire l'adolescente que j'étais alors. C'étaient des souvenirs, certes, mais actualisés dans un présent d'éternité. Colette y évoquait son passé, mais dans une évocation mêlée d'immédiateté, à la manière de la gorgée d'eau des deux sources perdues qu'elle vénérait enfant et dont « rien qu'à parler d'elles je souhaite que leur souvenir m'emplisse la bouche au moment de tout finir, et que j'emporte, avec moi, cette gorgée imaginaire... »

    Aujourd'hui, même si je suis devenue, comme elle le dit si bien, « après tout qu'une femme », Sido trône dans ma bibliothèque. Il est loin d'être seul et je ne saurais ni ne voudrais les compter, tous ces livres, la littérature ne se résumant pas à une affaire de chiffres, sauf un, peut-être... Lorsque je retourne mon exemplaire de Sido, je retrouve la dame de la couverture, assise cette fois dans son jardin, devant une table en fer forgé où sont posés des dominos. En tous petits caractères, en bas, à droite et à la verticale, il y a écrit « 1982 ». J'avais treize ans.

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  • "Ramener ? Nooon."

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    Que j'ai pu les aimer, les félés ! Je me souviens d'avoir même possédé un crayon à papier avec la tête d'un monstre vert. Tout l'esprit des années 80 : délire, iconoclasme et réinterprétation des classique !

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  • "Tu baguenaudes dans les pâturages..."

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    Comme je vous le disais avant-hier, bienvenue dans mon grenier ! Avec une publicité qui a enchanté mon enfance : Belle des champs ! Et un mot : baguenauder. Je l'ai découvert via cette pub et, d'emblée, j'ai aimé ses sonorités à la fois douces et vieillottes. "Se promener sans but précis, en prenant son temps". Que j'aime la baguenaude !

    Vous rappelez-vous cette blondinette baba cool qui dévalait les champs accompagnée par la voix de Richard GOTAINER : Tu baguenaudes dans les pâturages, dis, donne-nous en un peu, Belle des Champs...

    Je crois que ce que je préférais, c'était ces images, à mi-chemin entre le dessin et le film : l'ancêtre du film d'animation, en somme. Et puis, avec son boy friend jean et sa chemise à carreaux, il faut reconnaître que la Belle était furieusement tendance, quand même...

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  • Pourquoi "Curé sur le mur" ?

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    Parce que les mots, qu'ils soient au fond d'un livre ou en musique, ont toujours suscité chez moi des rêves, des désirs d'ailleurs. Et que je pense que le texte de COLETTE n'a jamais su mieux dire cela :

    Le mot «presbytère» venait de tomber, cette année-là, dans mon oreille sensible, et d'y faire des ravages.« C'est certainement le presbytère le plus gai que je connaisse... » avait dit quelqu'un.
    Loin de moi l'idée de demander à l'un de mes parents : « Qu'est-ce que c'est, un presbytère ?»
    J'avais recueilli en moi le mot mystérieux, comme brodé d'un relief rêche en son commencement, achevé en une longue et rêveuse syllabe... Enrichie d'un secret et d'un doute, je dormais avec le mot et je l'emportais sur mon mur. «Presbytère ! » Je le jetais, par-dessus le toit du poulailler et le jardin de Miton, vers l'horizon toujours brumeux de Moutiers. Du haut de mon mur, le mot sonnait en anathème : « Allez ! vous êtes tous des presbytères ! » criais-je à des bannis invisibles.
    Un peu plus tard, le mot perdit de son venin, et je m'avisai que « presbytère» pouvait bien être le nom scientifique du petit escargot rayé jaune et noir... Une imprudence perdit tout, pendant une de ces minutes où une enfant, si grave, si chimérique qu'elle soit, ressemble passagèrement à l'idée que s'en font les grandes personnes...
    - Maman ! regarde le joli petit presbytère que j'ai trouvé !
    - Le joli petit... quoi ?
    - Le joli petit presb…
    Je me tus, trop tard. Il me fallut apprendre - « Je me demande si cette enfant a tout son bon sens… » - ce que je tenais tant à ignorer, et appeler « les choses par leur nom... »
    - Un presbytère, voyons, c'est la maison du curé.
    - La maison du curé… Alors, M. le curé Millot habite dans un presbytère ?
    - Naturellement. .. Ferme ta bouche, respire par le nez... Naturellement, voyons…
    J'essayai encore de réagir… Je luttai contre l'effraction, je serrai contre moi les lambeaux de mon extravagance, je voulus obliger M. Millot à habiter, le temps qu'il me plairait, dans la coquille vide du petit escargot nommé « presbytère…»
    - Veux-tu prendre l'habitude de fermer la bouche quand tu ne parles pas ? A quoi penses-tu ?
    - À rien, maman...
    …Et puis je cédai. Je fus lâche, et je composai avec ma déception. Rejetant le débris du petit escargot écrasé, je ramassai le beau mot, je remontai jusqu'à mon étroite terrasse ombragée de vieux lilas, décorée de cailloux polis et de verroteries comme le nid d'une pie voleuse, je la baptisai « Presbytère», et je me fis curé sur le mur.

    COLETTE, "Le Curé sur le mur", La Maison de Claudine, 1922.

    Voici donc une nouvelle rubrique de Ma Cuisine rouge, une nouvelle pièce, un grenier où s'entasseront des souvenirs littéraires, musicaux ou... animés !

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