Souvenirs d'enfance et de jeunesse - ode au livre de poche (31/08/2009)

D'aussi loin que je me souvienne, le Livre de Poche a toujours fait partie de mon univers. Enfant, je ne pouvais ouvrir un placard, un tiroir, sans en apercevoir des monceaux, tapis dans la pénombre d'une armoire ou d'un buffet. Mes parents, grands lecteurs à petits revenus, croyaient à l'époque, comme beaucoup de leurs contemporains, que seuls les « beaux » livres, les éditions reliées, les cuirs pleine peau, avaient droit de cité dans une bibliothèque. Les autres, manquant de noblesse, étaient relégués dans les tréfonds de notre quotidien : au fond d'une penderie, sous les manteaux, en piles sur les tables de nuit à côté de la lampe de chevet, en caisses sous les lits. Il a fallu qu'un fabricant de meubles suédois arrive, avec ses bibliothèques toutes simples, mais si fonctionnelles, pour que tous ces ouvrages sortent enfin de l'ombre et gagnent leur droit de séjour au salon. Ils ont alors envahi nos murs...

Ce que j'aimais dans les Livres de Poche, c'était leur accessibilité mêlée de mystère. Jamais trop lourds, jamais trop gros, ils tenaient dans mes mains d'enfant et leurs couvertures des années Soixante, peintes à la manière de Van Dongen, étaient pour moi puissamment évocatrices. A cela s'ajoutait l'odeur, indéfinissable, de papier gris, de poussière et, vaguement, de renfermé, et la couleur de la tranche, orange terni, vert-de-gris délavé, jaune passé. J'adorais observer le passage du temps sur les ouvrages, les pages couvertes de signes imprimés encore énigmatiques à mes yeux et dont les contours n'étaient jamais tout à fait nets, où les pages semblaient ourlées d'une vague couleur qui venaient dévorer un peu plus les pages. Ces livres étaient vivants ! Pendant longtemps, le Livre de Poche, ce fut pour moi l'univers des adultes à portée de main.

Et puis un jour, j'ai quitté l'enfance. Je me souviens très bien de ce premier Livre de Poche. Celui que j'ai vraiment lu. Et compris. Il portait le numéro 373 - un signe : mes deux chiffres préférés - et sa couverture, cernée de rouge et de violet, offrait le visage de trois-quarts d'une femme inconnue. Car à la différence des Livres de Poche de mes parents, celui-ci montrait une photo, et non plus les peintures presque surannées qui avaient illustré et accompagné mon enfance. Colette. Sido. Deux prénoms de femme. Pas de nom. Presque des évidences. Des types. Pourquoi le hasard a-t-il fait que j'ai quitté l'enfance à travers un livre qui tentait de la retrouver, de la reconstruire, de la recréer ? Je ne le saurais jamais. Mais je me souviens d'avoir été happée d'emblée par cette plume impérieuse, à la fois précise et insoumise.

« Et pourquoi cesserais-je d'être fière de mon village ? » L'interpellation vous saisissait d'emblée, vous empoignait, vous contraignait à suivre le fil d'une pensée qui se déroulait au gré de la mémoire. Colette y évoquait sa mère, Sido, son père, le Capitaine, ses frères, les Sauvages, et Juliette, sa sœur aux longs cheveux ; pourtant, le ton n'était jamais sucré ou bêtement nostalgique - je crois que c'est ce qui a su séduire l'adolescente que j'étais alors. C'étaient des souvenirs, certes, mais actualisés dans un présent d'éternité. Colette y évoquait son passé, mais dans une évocation mêlée d'immédiateté, à la manière de la gorgée d'eau des deux sources perdues qu'elle vénérait enfant et dont « rien qu'à parler d'elles je souhaite que leur souvenir m'emplisse la bouche au moment de tout finir, et que j'emporte, avec moi, cette gorgée imaginaire... »

Aujourd'hui, même si je suis devenue, comme elle le dit si bien, « après tout qu'une femme », Sido trône dans ma bibliothèque. Il est loin d'être seul et je ne saurais ni ne voudrais les compter, tous ces livres, la littérature ne se résumant pas à une affaire de chiffres, sauf un, peut-être... Lorsque je retourne mon exemplaire de Sido, je retrouve la dame de la couverture, assise cette fois dans son jardin, devant une table en fer forgé où sont posés des dominos. En tous petits caractères, en bas, à droite et à la verticale, il y a écrit « 1982 ». J'avais treize ans.

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