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Littérature gourmande - Page 3

  • "Nous, ça n'a vraiment rien à voir" (F. AUBRY)

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    C’est un livre qui dérange :

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    "Sarah et Gaby passent leurs vacances au camping‚ comme chaque année. Pour Sarah‚ 17 ans‚ c’est l’été des fêtes‚ des soirées entre amis‚ des guindailles tous les soirs. Et l’alcool en grande quantité‚ en très peu de temps‚ pour atteindre très vite l’ivresse: c’est la biture express. Gaby‚ sa sœur de 14 ans‚ voit le désastre tous les matins: une haleine qui empeste‚ les nausées‚ les mensonges aux parents‚ le black out total sur ce qu’elle a fait la veille. Et pourtant‚ tous les soirs‚ Sarah recommence.

    Je vois très bien ce que Lucas a voulu dire, mais il s'inquiète pour rien. Je n'ai rien à voir avec ces drogués de la dune, mais rien du tout. Je peux passer des journées entières sans boire, il n'y a pas d'addiction. C'est juste que... J'aime avoir la tête qui tourne, rien de plus. J'aime avoir la tête à l'envers. C'est juste comme d'explorer les souterrains de l'univers. Faire taire les bruits du monde. Il m'énerve. Il ne comprend pas, et je ne comprends pas qu'il ne comprenne pas. Je ne sais pas ce que je lui trouve, je ne sais pas pourquoi je m'obstine. On ne se ressemble pas."

    Un livre qui est mal rangé, avec ces voix qui se chevauchent, se répètent, se contredisent. Un livre qui dit des choses que l’on n’a pas vraiment d’entendre. Un livre qui nous montre, tous, adultes, adolescents, adultes surtout, comme on n’a pas envie de se voir. Car il est beaucoup plus facile de découvrir un reportage dans les médias sur le binge drinking et se dire « oh lala, c’est terrible, ces jeunes, ça fait peur de les voir ainsi se détruire… » que de se regarder soi-même en songeant à l’image que l’on peut offrir.

    Le roman de Florence AUBRY est un roman-coup de poing. Un de ces romans qui ne vous laisse pas indemne à la fin  de sa lecture. Et surtout, avec une légère gueule de bois…

    On part dans deux jours. Les parents ont organisé un apéro barbecue, pour fêter ça, leur départ et la fin du mois de juillet. Chaque famille, chaque couple invité est venu avec sa table, ses couverts, ses chaises pliantes et ses verres en plastique. Des guirlandes lumineuses ont été tirées entre deux caravanes et tout le monde s’est installé là. Il y a par terre cinq ou six barbecues dont les braises sont encore rouges, et une table couverte des restes de buffet. En bout de table, les traditionnels bag in box de vin, un de rosé, un de rouge.

    Il est près de vingt-trois heures trente mais il fait encore chaud. Les vieux commencent à avoir les yeux qui brillent. Ils ont été forts sur le rosé et le rouge : ils sont en vacances, ils n’ont pas à prendre la voiture pour retrouver leur lit, ils ne risquent pas de se faire retirer des points sur leur permis, alors ils se lâchent. Et moi je déteste ça.

    Ils sont une petite trentaine. Ils sont arrivés propres, maquillés, coiffés, habillés, mais maintenant… Au début, les enfants étaient là, mais ils ont mangé leurs chips et leurs petites saucisses grillées et puis ils ont filé, se sont éparpillés dans le camping. Ils en sont au digestif, chacun a apporté l’alcool de sa région. Du lourd.

    Je déteste quand les parents ont un peu bu. Personne ne s’est alcoolisé à se rouler par terre, non, bien sûr, mais ils sont tous comme on dit « gais ». […]

    Et puis je les trouve moches, je les trouve moches ces adultes. Je trouve les femmes beaucoup trop bronzées, c’est laid cette peau carrément marron, c’est d’une autre époque. Et avec l’alcool, ils luisent, tous, ils brillent, ils ont les cheveux qui collent. On dirait que l’alcool fait ressortir leurs rides. Je ne veux pas devenir comme eux. Dieu du Ciel faites que je ne leur ressemble jamais jamais. Et en rentrant chez eux, après les vacances, quand ils retrouveront leurs amis, ce sera « purée on s’est fait de ces fiestas cet été on a picolé mais qu’est-ce qu’on en a descendu des cartons si tu avais vu ça, ça ne plaisantait pas » comme si c’était la preuve irréfutable, ça, le nombre de bouteilles descendues, de ce qu’ils savent s’amuser. La preuve qu’ils sont restés jeunes. La preuve qu’ils peuvent faire comme nous. Sauf que nous, ça n’a vraiment rien à voir.

    Florence AUBRY, Biture express, 2010.

    Un autre extrait ici.

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  • Un bien étrange festin (T. ROBBINS)

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    Etrange livre que celui-ci :

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    "Fausse gitane mais vraie voyante, la belle Amanda et son mari John Paul Ziller, artiste et magicien inséparable de son babouin, ouvrent un zoo et un stand de hot dogs au bord de l’autoroute. Là, ils rétablissent le cirque de puces comme art populaire et le culte de la fécondité comme religion
    ultime. Quand débarque leur ami Plucky Purcell, ancien joueur de football et dealer à ses heures, les ennuis commencent. Ayant par accident infiltré une armée secrète du Vatican, Plucky s’est retrouvé à Rome où il a découvert le corps momifié du Christ oublié dans une catacombe. Après l’avoir dérobé et ramené aux Etats-Unis, il vient le cacher dans leur zoo et remet l’avenir de la civilisation occidentale
    entre leurs mains. Mais le FBI et la CIA veillent."

    La quatrième de couverture parle d'elle même : impossible de raconter un roman pareil, il faut seulement s'y plonger... et essayer de surnager ! Personnages hallucinants (et hallucinés), intrigue emberlificotée au-delà de l'imaginable, situations ubuesques, entrer dans Une Bien Etrange Attraction demande de laisser au vestiaire toutes ses certitudes et ses habitudes de lecteur bien dressé.

    Et pourtant, sous ses dehors de roman psychédélique se cache un vrai travail d'écrivain, et ce qui fait l'intérêt de ce roman tient sans doute dans ce décalage entre une construction extrêmement rigoureuse, qui mêle formes et points de vue différents, et une histoire complètement délirante, joyeusement foutraque, ainsi ce bien étrange festin que nous propose Amanda :

    Amanda avait dit que nous allions festoyer, et aussi vrai qu'on pourrait mettre un ballon de volley entre les pattes de coq Big Paint, nous avons festoyé. Amanda a pris la Skagit Valley par ses talons humides et verts et l'a secoué pour en faire tomber tout un tas de bonnes choses sur notre table. Elle a fait tomber un saumon argenté aussi gros qu'un bébé, qu'elle a cuit au four avec un glaçage de crème amère. Il y avait des huîtres toutes fraîches, des cuites et des crues. Du brocolis avec une sauce épicée qui ne cachait rien de ses tendances sadiques. Des épis de maïs. Des tubercules de bardanes. Des racines de joncs. Des buiscuits au pollen de jonc. Quatre variétés de champignons sauvages : des chanterelles, des champignons de prairie, des lépiotes et des bolets. De la berce laineuse (on mange les tiges pelées crues comme du céleri). Des tiges rôties de fougère femelle. des oignons en crème. De la soupe de lichen. Des graines de pin. Du miel sauvage. Des oeufs d'étoile de mer. Du pudding de citrouille. Des pommes. Des poires. Et ainsi de suite, toute cette nourriture ayant été récoltée par les Ziller gratuitement, comme c'est encore possible dans le comté de Skagit malgré l'empiètement des horreurs industrielles et de leur béton toxique.

    - Y'a pas à dire, vous mangez vraiment de drôles de choses, vous, dis-je.

    - Nous avons une grande connaissance de ces choses-là, dit Amanda.

    Nous fîmes descendre le dîner avec de grandes gorgées de vin, comme Jésus et ses copains l'auraient fait, et ensuite la pipe à haschich circula autour de la table, s'arrêtant pour enfoncer son tuyau dans chaque bouche comme un oiseau-mouche assoiffé insérerait son bec dans chacune des fleurs sur un collier d'orchidées.

    Tom ROBBINS, Une Bien Etrange Attraction, 1971.

    Vous trouverez le début du roman ici.

    Découvrez la playlist "Cette fille, c'est une fée." avec ZAZ
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  • Le mille-feuille de petits-beurre aux spéculoos (M. FERDJOUKH)

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    Il y a des livres, comme ça, qui ne sont que du bonheur :

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    "Comme Les Trois Mousquetaires étaient quatre, les Quatre Sœurs Verdelaine sont cinq. Il y a les plus jeunes, celles qui, chacune, donnent son titre à une partie de ce livre : Enid, 9 ans, se dévoue à la protection des pensionnaires du grand sycomore du jardin, Blitz l'écureuil et Swift la chauve-souris, et dialogue à l'occasion avec son ami Gnome de la Chasse d'eau. Hortense, 11 ans, passe le plus clair de son temps à lire, à tenir son journal et à se demander ce qu'elle va faire comme métier. Architecte ? Chirurgienne ? Bettina, 14 ans, fait sa bêcheuse dans la salle de bains, se shoote aux 218 épisodes du feuilleton Cooper Lane, copine avec Denise et Béhotéguy, et enquiquine le reste du monde. Geneviève, 16 ans, prend des cours de boxe thaïe essoufflants tandis que les autres la croient occupée à baby-sitter. Mais il y a aussi Charlie, l'aînée, 23 ans, qui s'occupe de tout : bricoler, cuisiner ; travailler dans un labo, aimer Basile, tirer le diable par la queue et tenter d'élever ses cadettes depuis la mort des parents. Tout ce petit monde habite la Vill'Hervé, une grande maison au bout du bout de la lande, au bord du bord de la falaise, pleine de recoins, de mystère, d'hôtes de passage et de pannes de Madame Chaudière. Il essaie de vivre (ça marche), il essaie d'aimer (bof, bof...), il essaie d'affronter les épreuves (tout est toujours à recommencer) et il essaie d'en rire (à tous les coups l'on gagne)."

    Comment définir le plaisir intense que procure la lecture ce roman des quatre saisons (automne avec Enid, hiver avec Hortense, printemps avec Bettina et été avec Geneviève) ? c'est bien simple, à peine terminé, on n'a qu'une seule envie : le relire, pour savourer encore et encore cette vie plus vraie que la vraie vie, cet univers inclassable, où le quotidien le plus prosaïque cohabite avec la fantaisie la plus débridée, où les gnomes de chasse d'eau s'appellent Cary Grant, où les parents décédés ont la manie d'apparaître dans les tenues les plus incongrues (une robe de soirée pour pécher des coquillages, par exemple...) et où toutes les anecdotes ont  le parfum de la justesse parfaite.

    Joyeux fouillis empli de personnages aux noms improbables, ambiance qui emprunte autant au club des Cinq qu'aux films de Jacques DEMY, la lecture de cette tétrade devenue unique roman est à conseiller à tous (et surtout toutes), de dix à cent dix ans ! Ainsi cette recette de mille-feuilles de petits-beurre, que Bettina réalise pour "se changer les idées" :

    - Tu penses faire quoi avec ça ? demanda sa mère.

    Bettina tourna la tête.

    - Ca faisait longtemps ! murmura-t-elle. Tu apparais toujours quand on ne t'attend plus.

    Lucie Verdelaine portait ceciré jaune qui la faisait ressembler à un cap-hornier de livre d'images, et de grosses bottes en caoutchouc vert. Elle prit Ingrid et s'envola au plafond, s'assit sur un coin du vaisselier. Elle passa le doigt sur la moulure, le montra à sa fille :

    - Pas terrible, le ménage. Cette poussière.

    - On fait ce qu'on peut. Tu n'avais qu'à pas mourir. Papa n'est pas avec toi ?

    - Il anime une conférence sur l'émission de gaz polluants en enfer. Il veut élaborer une charte de bonne conduite envers les damnés.

    - Papa pense toujours aux autres, dit Bettina avec tendresse.

    Sa mère se pencha, tira sur son ciré pour un plus joli tombé, et caressa Ingrid en balançant ses pieds dans le vide.

    - Je me trompe ou tu fais mon fameux gâteau sans cuisson ?

    - Ton mille-feuille de petits-beurre aux spéculoos, yes sir. Ne me dis rien, j'essaie de me souvenir.

    Bettina émietta un paquet de spéculoos qu'elle mélangea avec du beurre et du fromage frais. Elle quéta l'approbation de sa mère qui l'observait; jambes pendantes, depuis le haut du vaisselier. [...]

    - Euh... ensuite ? demanda Bettina.

    Elle nota que sa mère ne portait plus le ciré mais son grand tablier en vichy bleu. C'était un don depuis sa mort. Elle pouvait changer de vêtement en une seconde. [...]

    -Une dose de Nescafé dilué pour parfumer. Il est rangé où, le moule à cake ? Si on peut appeler ça rangé...

    Bettina le trouva et disposa au fond une couche de petits-beurre, versa dessus le mélange aux spéculoos.

    - Pour finir, dit sa mère, une couche de petits-beurre. Tasse doucement. Il ne faut pas casser.

    [...] Bettina plaça le moule dans le réfrigérateur.

    - Merci, dit-elle. C'est la seule recette que je suis capable de cuisiner. Tu te souviens ? Mon premier gâteau de...

    Son regard chercha dans la pièce. Elle était à nouveau seule avec la chatte. Sa mère avait disparu. Bettina soupira.

    Malika FERDJOUKH, Quatre soeurs, 2010.

    Un autre extrait ici.

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  • La cuisine de Mademoiselle (T. DE FOMBELLE)

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    J'avoue, Tobie Lolness m'était tombé des mains et je n'avais aucune impatience à lire celui-ci :

    Vango.jpg

    "Paris, 1934. Devant Notre-Dame une poursuite s'engage au milieu de la foule. Le jeune Vango doit fuir. Fuir la police qui l'accuse, fuir les forces mystérieuses qui le traquent. Vango ne sait pas qui il est. Son passé cache de lourds secrets. Des îles siciliennes aux brouillards de l'Ecosse, tandis qu'enfle le bruit de la guerre, Vango cherche sa vérité. Un héros inoubliable et romantique, une aventure haletante, envoûtante, empreinte d'humour et de poésie. Timothée de Fombelle signe de nouveau un grand roman, après le succès international de Tobie Lolness."

    Voulez-vous entrer dans un univers magique ? Voulez-vous découvrir un monde où l'on pèle une pomme de terre "tout en lui donnant huit faces parfaites" ? Où l'on s'envole en zeppelin au-dessus de l'Allemagne nazie ? Alors lisez, que dis-je, dévorez le dernier roman de Timothée de FOMBELLE, Vango. Littérature de jeunesse, direz-vous, oui, mais quelle littérature !

    La langue y est aussi sauvage que son personnage, aussi indomptable et... aussi mystérieuse. Car de ces mots si simples, si évidents, si limpides, il en ressort une beauté, une poésie qui vous restera longtemps en tête... Ainsi cette cuisine de Mademoiselle, la gouvernante qui a sauvé Vango :

    LA CUISINE DE MADEMOISELLE

    Mademoiselle était une magicienne de la cuisine.

    Sur son petit fourneau de pierre, au bord de cette île perdue en Méditerranée, elle faisait chaque jour des merveilles qui auraient fait pleurer les gastronomes des plus grandes capitales. Au fond de ses poêles profondes, les légumes faisaient une danse ensorcelante dans des sauces dont l'odeur montait à la tête et à l'âme. Une simple tartine de thym devenait un tapis volant. Les gratins vous tiraient des larmes alors que vous n'aviez pas encore passé le pas de la porte. Et les soufflés... Mon Dieu. Les soufflés seraient allés se coller au plafond tant ils étaient légers, volatils, immatériels. Mais Vango se jetait dessus avant qu'ils s'évaporent.

    Mademoiselle préparait des soupes et des feuilletés impossibles. Elle faisait lever à la main des mousses aux parfums interdits. Elle servait le poisson dans des jus noirs au goût d'herbes inconnues qu'elle trouvait entre les pierres.

    Vango avait cru longtemps qu'on mangeait ainsi dans toutes les maisons. Il n'avait d'ailleurs jamais rien goûté en dehors de chez lui. Mais, depuis le jour où l'on avait fait venir le docteur pour une pneumonie du petit garçon, quand il avait cinq ou six ans, il avait compris que Mademoiselle n'était pas une cuisinière comme les autres.

    Timothée de FOMBELLE, Vango, 2010.

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  • Nectar des dieux (R. RIORDAN)

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    Nous traversons en ce moment à la maison une période "Mythologie". Devons-nous attribuer cela à nos vacances en Grèce de l'été dernier ? Peut-être. Car à notre retour ma fille s'est plongée dans tous les contes et récits mythologiques possibles (et achetables...). C'est donc tout naturellement que je lui ai proposé de mon dernier achat :

    Le voleur de foudre.jpg

    "Je n'ai jamais voulu être un demi-dieu. Une vie de demi-dieu, c'est dangereux, c'est angoissant. Le plus souvent, ça se termine par une mort abominable et douloureuse. Il se peut que vous soyez des nôtres. Or, dès l'instant où vous le saurez, il ne leur faudra pas longtemps pour le percevoir, eux aussi, et se lancer à vos trousses. Je vous aurai prévenus."

    Entendons-nous bien : je n'ai pas vu le film et c'est donc du livre, et uniquement du livre, dont je vais traiter et là j'avoue... que j'ai pris un certain plaisir à dévorer les aventures de cet ado qui se découvre "sang-mêlé", c'est-à-dire demi-dieu, fils d'une mortelle et d'un dieu de l'Olympe.

    Le propos pourrait paraître complètement anachronique et pourtant, Rick RIORDAN réussit son coup : rendre accessible à des lecteurs d'aujourd'hui des histoires vieilles de plusieurs siècles, voire millénaires.

    Très astucieusement, il a adopté une trame qui a fait ses preuves, celle de J.K. ROWLING et ses Harry Potter : le héros est un jeune garçon de onze ans mal dans sa peau (il est dyslexique car programmé pour lire le grec ancien) et mal intégré dans la société, mais qui heureusement, suite à la découverte de sa semi-divinité, va entrer dans un club, ici c'est une colonie de vacances, où il va pouvoir côtoyer ses semblables, pratiquer la magie et découvrir les vraies vertus de l'amitié. Evidemment la menace pèse : ici, ce n'est pas Voldemort qui revient mais Chronos, le père de tous les dieux (vous savez, celui qui avait la fâcheuse manie de dévorer ses enfants histoire qu'ils ne le détrônent pas) que Zeus avait envoyé aux Enfers avant de se partager le monde avec deux frères, Hadès et Poséidon (Ciel, Terre, Mer pour ceux qui auraient oublié...).

    Vous l'aurez compris, on passe un bon moment avec ce Persée (de son vrai nom) Jackson et d'ailleurs, je suis en train de lire le troisième volume... en attendant que ma fille me lâche le quatrième ! L'extrait qui suit se situe au moment où Percy va découvrir la colonie des Sangs-mêlés, en se réveillant suite à une agression du Minotaure...

    NECTAR DES DIEUX

    Il m'a aidé à tenir le verre et à mettre la paille entre mes lèvres.

    Le goût m'a fait sursauter car je m'attendais à du jus de pomme. Ce n'était pas ça du tout. C'étaient des biscuits aux pépites de chocolat. Des biscuits liquides. Et pas n'importe lesquels : les biscuits bleus au chocolat que faisait maman, riches en beurre et tout chaud sortis du four, avec les pépites de chocolat encore fondantes. En buvant, je sentais mon corps entier se détendre et se réchauffer, se recharger en énergie. Mon chagrin n'a pas disparu, mais j'ai eu l'impression que maman venait de me caresser la joue, de me donner un biscuit comme elle le faisait quand j'étais petit, en me disant que tout irait bien.

    Sans m'en rendre compte, j'ai vidé le verre. J'ai regardé longuement à l'intérieur, convaincu que je venais d'avaler une boisson chaude, alors que les glaçons n'avaient même pas fondus.

    - C'était bon ? m'a demandé Groover.

    J'ai fait oui de la tête.

    Rick RIORDAN, Percy Jackson, le voleur de foudre, 2005.

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  • Black pudding (F. COLIN)

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    Je suis en train de devenir une véritable « accro » des romans de Fabrice COLIN ! J'avais déjà dévoré La Malédiction d'Old Haven et Le Maître des dragons (mais pas de repas, donc rien à mettre sous la dent de ce blog - mais patience...), j'ai complètement fondu pour ce premier volume de la série des « Etranges Sœurs Wilcox » :

    Les étranges soeurs Wilcox.jpg

    « Londres 1888. Qui sont ces deux orphelines qui s'aventurent la nuit dans les rues mal famées ? Ignorent-elles qu'on peut y rencontrer Jack l'Eventreur ? Que des créatures plus terrifiantes encore, goules et vampires s'y livrent une lutte sans merci ? Mais Amber et Luna Wilcox ne sont pas des jeunes filles comme les autres. Sous leur frêle apparence se cache un terrible secret. C'est pour cela qu'elles ont été choisies. Par qui ? Impossible d'en dire plus. Sinon que la survie de l'empire britannique repose désormais sur les très étranges soeurs Wilcox... »

    C'est un véritable bonheur de lire ce roman où Fabrice COLIN semble prendre un malin plaisir à replonger dans tout ce que furent ses lectures d'enfance et de jeunesse : Conan Doyle, Bram Stoker, toute la littérature gothico-policière de la fin du XIXème semble s'être donnée rendez-vous dans les pages de ce roman tout à la fois terrible, dramatique et palpitant. Et l'on se surprend à attendre la suite... Très vite.

    De surcroît, l'ensemble n'est pas dénué d'humour, ainsi que le prouve l'extrait qui suit :

    BLACK PUDDING

    Le docteur Watson avait vu les choses en grand : nappe de dentelle et vaisselle en argent. Quatre couverts avaient été dressés. Lui et Sherlock prenaient place aux extrémités de la table ; Amber et Luna se faisaient face au milieu ;

    C'était la première fois qu'elles dînaient dans la salle à manger. Les soirs précédents, la nourriture avait été montée dans leur chambre.

    L'œil soupçonneux, Holmes repoussait du bout de sa fourchette le morceau de black pudding qui venait d'atterrir dans son assiette. Penché au-dessus de la soupière, son acolyte s'apprêtait à servir les jeunes filles.

    - Luna, ton bol.

    La cadette s'exécuta. Une première louche de liquide fut versée.

    - C'est du sang de mouton en provenance directe d'Islington. En veux-tu une deuxième ?

    S'il vous plaît.

    Arriva le tour d'Amber. Renfrognée, l'aînée se contenta d'un demi-bol. Watson voulut lancer une objection mais s'abstint finalement, et se rassit.

    Bon appétit à tout le monde.

    Sherlock Holmes secoua sa serviette avant de se la nouer autour du cou.

    Watson ?

    Oui, Holmes ?

    Pourquoi du black pudding ?

    Le bon docteur reposa son couteau.

    Le black pudding est constitué principalement de sang de porc. Nos demoiselles en auront leur part ensuite.

    La question que je vous posais était : « Pourquoi devons-nous manger du sang nous aussi ? »

    J'ai pensé...

    A une sorte de dîner de solidarité ?

    Watson approuva piteusement.

    Voilà une initiative que je qualifierai d'audacieuse, mon cher. Qu'en pensez-vous, mesdemoiselles ?

    Amber avala une cuillerée en grimaçant puis repoussa son assiette.

    Si présenter du sang sous forme de soupe est censé nous faire oublier que c'est du sang, je dirai que c'est raté. Puis-je avoir du pudding ?

    Elle sursauta. Luna lui avait décoché un coup de pied sous la table.

    L'idée est excellente, rétorqua la cadette en adressant son plus beau sourire au docteur. Un dîner en rouge sombre et noir : exquis.

    Merci, fit Watson, quelque peu rasséréné. Pour notre dessert, j'ai préparé un sorbet.

    Sherlock Holmes cligna des yeux, amusé.

    Au sang ?

    Amber pouffa. Le docteur prit un air offusqué.

    Au cassis.

    Fabrice COLIN, Les Étranges Sœurs Wilcox, 2009.

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  • Spagbol (S. WESTERFELD)

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    "... c'est une arnaque, Tally. On ne te montre que de beaux visages ta vie durant. Tes parents, tes professeurs, n'importe qui de plus de seize ans. Mais tu ne nais pas en pensant rencontrer ce genre de beauté chez tout le monde ; on te programme pour trouver les autres moches."

    Uglies.jpg

    "Tally aura bientôt 16 ans. Comme toutes les filles de son âge, elle s'apprête à subir l'opération chirurgicale de passage pour quitter le monde des Uglies et intégrer la caste des Pretties. Dans ce futur paradis promis par les Autorités, Tally n'aura plus qu'une préoccupation, s'amuser... Mais la veille de son anniversaire, Tally se fait une nouvelle amie qui l'entraîne dans le monde des rebelles. Là-bas, elle découvre que la beauté parfaite et le bonheur absolu cachent plus qu'un secret d'État : une manipulation. Que va-t-elle choisir? Devenir rebelle et rester laide à vie, ou succomber à la perfection ?"

    Ah, que voilà un roman qui sait toucher là où il faut ! Science-fiction et pourtant... pas tant que ça... Longtemps j'ai tourner autour sans réelle envie d'y entrer. D'abord à cause de cette stupide phrase : "Dans le monde de l'exrême beauté, les gens normaux sont en danger". Ouh la la, c'était au moins aussi appétissant qu'une fiction de TF1 ! Mais comme quoi il est bon de savoir dépasser les apparences, je me suis engagée dans cette lecture... et ne l'ai pas regretté.

    C'est un univers d'anticipation que nous dépeint Scott WESTERFELD. A la fin de l'enfance, les jeunes gens quittent leur parents pour rejoindre Uglybille. Là, ils attendront sagement leur seize ans pour subir l'opération qui en fera des Pretties. Ils seront entièrement remodelés, plus grands, plus beaux, plus minces, et surtout plus... dociles. Car lorsque l'on a tout ce qu'on peut désirer, pourquoi se révolter ? De grands yeux, des lèvres pleines, une peau claire et lisse, et si c'était ça le bonheur ? Oui, mais et si, justement, ce n'était pas ça ? En cherchant à en savoir davantage, Tally va enfreindre les règles et découvrir une autre réalité, celle de la nature, loin du formatage.

    Ce roman pose beaucoup de questions : apparence, écologie, pouvoir, peur de vieillir. Son habileté tient à sa manière de "coller" à une réalité adolescente, tout en la métaphorisant : et si c'était normal d'être moche pendant un temps ? où est la norme ? à quoi ressemeblera notre futur, ou plutôt celui de nos petits-enfnats ? jusqu'où peut-on aller au nom du "bien" de l'humanité ?

    En même temps que sont posées les questions, les réponses restent ouvertes. Et cela donne juste envie d'aller lire les autres romans !

    SPAGBOL

    Avant même que son coeur ait cessé de battre la chamade, l'estomac de Tally se mit à gronder.

    Elle fouilla dans son sac à dos à la recherche du purificateur d'eau qu'elle avait rempli à la rivière, et en vida le compartiment de purge. Une cuillère de boue brûnatre s'en échappa.

    - Beurk, fit Tally en soulevant le couvercle pour regarder à l'intérieur.

    L'eau semblait claire et pure, sans odeur particluière.

    Tally but avec soulagement, mais en conserva pour son dîner - ou son petit-déjeuner, cela revenait au même. Elle avait l'intention de voyager de nuit et de laisser sa planche se recharger pendant la journée, afin de ne pas perdre de temps.

    Plongeant la main dans son sac étanche, elle en sortit un sachet de nourriture choisi au hasard.

    - SpagBol, lut-elle sur l'étiquette avant de hausser les épaules.

    Hors du sachet, l'aliment avait l'apparence et la texture d'une baguette de coton séché. Elle le lâcha dans le purificateur, où il se mit à bouillir en produisant de petits gargouillis.

    Tally regarda vers l'horizon. C'était la première fois qu'elle voyait le soleil se lever en dehors de la ville. Comme la plupart des Uglies, elle se levait rarement assez tôt et, de toute façon, l'horizon était perpétuellement bouché par les immeubles de New Pretty Town. Le spectacle d'un authentique lever de soleil la stupéfia.

    Une bande orange et jaune embrasa le ciel, magnifique et inattendue, aussi spectaculaire qu'un feu d'artifice. Elle se modifia à un rythme régulier, tout juste perceptible. Voilà comment se présentait la vie dans la nature, comprit-elle. Dangereuse ou splendide. Ou bien les deux.

    Le purificateur émit un ping ! Tally souleva le couvercle et se pencha au-dessus : c'était des pâtes avec une sauce rouge, des petites boules de soja et une délicieuse odeur. Elle consulta de nouveau l'étiquette.

    - SpagBol... spaghetti à la bolognaise !

    Elle se restaura avec appétit. Le soleil la réchauffait, les vagues grondaient en contrebas ; il y avait des siècles qu'elle n'avait pas mangé aussi bien.

    Scott WESTERFELD, Uglies, 2007.

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  • Mille et une saveurs siciliennes (M. LORIA - S. QUADRUPPANI)

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    A la manière de l'histoire de Tristan et Iseult qui s'annonçait comme "un beau conte d'amour et de mort", voici un beau conte d'amour et de saveurs.

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    "Au XIe siècle, le comte Roger Ier, noble normand qui a conquis la Sicile sur les Arabes, veut faire exécuter le prince Omar qui a comploté contre lui. Mais la soeur de ce dernier, la très belle princesse Yasmina, va tenter de le convaincre d'y renoncer en l'invitant à sa table. Sept banquets vont se succéder, chacun dédié à une forme d'amour, de l'amour maternel à l'amour parfait, en passant par l'amour pour les animaux, l'amour-amitié, l'amour courtois... Durant ces repas où l'on découvre avec le comte tous les plats de la tradition culinaire sicilienne et leur empreinte arabe, Yasmina va déployer ses charmes en livrant des récits tirés du répertoire légendaire de la Sicile ou de l'imagination des auteurs, en résonance avec une très ancienne, tragique et succulente histoire. Ponctué des interventions de Giufà, le bouffon de la tradition méditerranéenne, accompagné des recettes puisées aux meilleures sources familiales d'aujourd'hui, soutenu par une intrigue aux rebondissements surprenants, ce Mille et Une Nuits culinaire, sensuel et drôle, évoque ce moment où deux hautes civilisations se sont rencontrées pour se mélanger avec bonheur."

    "Sept histoires et cinquante recettes de Sicile au parfum d'Arabie" annonce le sous-titre. Et l'ouvrage est à la hauteurs de ce qu'il avance : sa lecture est un délice, autant littéraire que culinaire. Le couple atypique formé par le Comte et sa (potentielle) belle captive est un bonheur d'esprit, de sensualité, d'audace et... d'humour ! Et depuis le granité que Yasmina va offrir pour ouvrir les négociations, jusqu'au septième souper, celui de l'amour parfait, ce roman explore les méandres des relations homme-femme tout en passant en revue la somptueuse richesse de la cuisine sicilienne, cuisine de rencontre, cuisine de carrefour. L'histoire, plus ou moins retouchée (les auteurs l'avouent), s'entremêle à la légende dans une explosion de délices plus érudits et raffinés les uns que les autres.

    Alors quel dilemme pour choisir l'Extrait, celui qui vous donnera envie de vous plonger dans le livre tout entier... Après moult tergiversations, j'ai opté pour le deuxième souper, celui de "L'amitié aussi forte que l'amour". Au menu : "Potiron à l'aigre-doux - Sardines fourrées de pignons - Rougets à l'orange - Couscous de poisson - Stigghiola - Lapin d'Agrigente - Cheveux d'ange au miel - Petits nougats de sésame"...

    - On raconte que, voilà très longtemps, il y a avait dans la grande et très heureuse ville de Palerme, qu'Allah la conserve toujours prospère et riante, une auberge renommée pour les mets qu'on y cuisinait car ils étaient délicieux jusqu'au prodige : quiconque les mangeait, contaminé par leur bonté, se découvrait une âme bonne et généreuse...

    Yasmina marqua une pause car Roger était manifestement distrait par l'arrivée d'un premier plateau où les mets étaient disposés dans des assiettes de céramique décorées d'esquisses d'animaux, formes se dégageant à peine de l'abstraction des arabesques et pleines encore de leur énergique beauté. Se détachant nettement sur ce sobre décor, des tranches de potiron caramélisés aux fragrances vinaigrées, des sardines enroulées autour d'une farce croustillante et parfumée, des petits rougets fleurant l'orange et le laurier, et un lapin découpé mais reconstitué, dans la nudité de ses chairs nimbée d'une sauce amarante, toutcela composait un tableau riche de couleurs contrastées et d'odeurs enivrantes. Tandis que les papilles du Comte s'épanouissaient sous la caresse aigre-douce du potiron, Yasmina reprit :

    - Hassan le propriétaire de l'auberge, était un riche marchand comblé des bienfaits de la fortune, qui lui avait agrandi un domaine sur lequel poussaient toutes les richesses que Dieu offre aux hommes. [...] Il y avait aussi de grandes réserves de cette pâte sèche, pasta asciutta qu'on fabrique depuis deux cents ans près de Trabia avec de l'eau et de la farine et qu'on fait cuire dans l'eau bouillante avant de la consommer : les pâtes, en effet, sont un de ces mets que nous autres Arabes, nous nous flattons d'avoir apporté en terre italienne.

    Mais le secret du succès de la maison de Hassan se dissimulait dans ses cuisines, dans ces pièces auxquelles on accédait par une cour intérieure remplie du gargouillis des fontaines. De derrière les fenêtres voilées parvenait un brouhaha étouffé de voix et de rires féminins.

    [...] Déjà, dans son enfance, Dinah, fillette à l'oeil vert comme la pistache, au caractère doux comme l'amande, toujours prête à sourire, les mains voltigeant comme le papillon, aimait passer de longues heures à observer cequi se passait dans et autour des énormes marmites qui, nuit et jour, mijotaient dans les cuisines d'Hassan, elle fourrait son nez aux narines frémissantes dans les réserves et les coffres, et plongeait les mains dans les grands sacs pour faire courir entre ses petits doigts des ruisselets de farine ou de grains, assaillait les femmes et les frères aînés de questions.

    Devenue grande, Dinah mit en pratique tout ce qu'elle avait appris quotidiennement de ses grands-mères, mère, frères, tantes et cousines, avec des résultats surprenants. Car elle qui connaissait toutes les recettes, les règles et les traditions, ne cessait de les parfaire en les transgressant : son habileté à rapprocher des saveurs qui jusqu'alors ne s'étaient jamais mélangées, son talent pour ajouter une épice dans un plat qui l'attendait depuis mille ans, à glisser un zeste d'orange là où sa saveur s'épanouirait de manière inattendue, à laisser tomber une pépite d'ail dans un ragoût dont on se régalait jusque-là sans s'avouer qu'on le trouvait quand même un peu fade, sa hardiesse à mêler le salé et le sucré, l'aigre et le doux, la terre et la mer, rendaient ses petits plats dignes du paradis d'Allah. Dinah avait à peine commencé à mettre la main à pâte que la rumeur de son art s'était répandue dans la ville et en avait franchi les confins avec les récits des marins et des voyageurs qui, durant les longues nuits passées sous les étoiles, au bivouac ou sur le pont des navires, rappelaient avec nostalgie ces délicieux moments de bonheur gourmand.

    Maruzza LORIA, Serge QUADRUPPANI, A la table de Yasmina, 2003.

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  • Affamée d'amour et de meurtre...

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    Il est parti ce matin
    Je ne l'ai pas retenu
    Il est parti comme un rien
    Comme si c'était entendu
    Moi, je n'y comprends plus rien
    Je me laisse mourir de faim
    Et comme je ne me sens pas bien
    De ma fenêtre, je crie sans fin

    "Allez, reviens à la maison !
    J' te ferai des crêpes aux champignons
    Allez, rentre ce soir
    Promis, je ferai tous tes devoirs"

    Il est parti hier matin
    J'ai décidé cette nuit
    Que tout en l'attendant
    J'y passerais tout mon temps
    Je ferais dans l'aviné
    Je ferais dans l'entêtement
    Aujourd'hui comme demain
    De ma fenêtre, je crierai sans fin

    Olivia RUIZ - Mathias MALZIEU

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  • Un travail de kiwi (J.A. SANDOVAL)

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    Frappadingue, c'est le mot qui vient en lisant ce livre :

    Oasis dans le Pacifique.jpg

    "Quelle famille ! Don Pepe Topete, le père, jamais à court d'idées toutes plus catastrophiques les unes que les autres, invente des combines les plus folles, pour offrir à sa famille une vie décente. Dernière en date : émigrer dans un nouveau pays, que personne ne connaît, dans une région indéterminée, mais où la vie sera douce et facile pour tous. Pepe junior ne doute jamais de son père et c'est avec enthousiasme qu'il s'embarque dans l'aventure..."

    Ce roman a toute la folie baroque de la littérature sud-américaine. Une histoire abracadabrante (voire abracandabrantesque !), des personnages complètement allumés, un réalisme somme toute très relatif, la lecture de cette Oasis dans le Pacifique est à la fois tragique et hilarante. On frôle le non-sens en permanence, on baigne dans une atmosphère de douce folie, et le tout est relayé par une narration à la fois distanciée et faussement naïve. Bien sûr, on pourra reprocher à ce roman quelques longueurs, une tendance parfois à lâcher un peu trop la bride aux personnages certes pittoresques, mais néanmoins, on passe un bon moment avec la famille Topete. Ainsi ce nouvel emploi proposé au père de famille, Pepe Topete, qui a été licencié du précédent pour avoir tenté d'imposer sa peinture comestible, laquelle a provoqué un gigantesque carnage routier...

    Le lendemain, mon père s'est rendu à l'entretien d'embauche, et notre vie a pu alors reprendre un train normal, nous étions comme n'importe quelle famille : un papa chéri travailleur qui nourrit sa femme au foyer si aimante avec ses deux héritiers si affectueux. A ce moment-là, m'est venue à l'esprit l'image de ma famille en train de courir à travers un joli champ des Alpes suisses, chacun immensément gros et heureux (malgré les artères bouchées de cholestérol). Je sais que ce n'est pas la meilleure image du bonheur qui soit, mais bon, mon cerveau est un endroit assez déconcertant quand il s'agit de laisser libre cours à l'imagination.

    Cependant, en réalité, il y a eu un détail minime, une de ces petites entraves qui séparent toujours ma famille du bonheur et l'obligent à rester dans le domaine du ridicule. C'était, en l'occurrence, le type de travail que mon père devait faire.

    - Tu vas faire quoi ? a demandé ma mère effrayée.

    - Un kiwi, c'est un travail de kiwi dans le supermarché... a avoué mon père en revenant à la maison. [...]

    - D'accord... il s'agit peut-être d'une tactique pour rendre les fruits plus attrayants aux enfants, a dit ma mère en soulignant le côté positif de l'affaire.

    - Mais, Aurélia, tu crois vraiment que je vais m'habiller en légume et que je vais danser avec les enfants que je croise ? a demandé mon père offensé.

    - Le kiwi n'est pas un légume, Pepe, c'est un fruit, l'a corrigé ma mère, prête à défendre ce travail qui nous donnerait à manger. [...]

    - Je suppose que tu as refusé ce travail, n'est-ce pas, papa ? a demandé Flora avec une légère nuance tragique dans la voix.

    - Oui, au début... mais après j'ai pensé aux problèmes qu'on a... et alors... j'ai été obligé de l'accepter, a-t-il reconnu honteux.

    En voyant la surprise sur nos visages, il a aussitôt ajouté :

    - Je n'avais pas le choix et en plus, c'est eux qui procurent le déguisement.

    Il a alors sorti de sa sacoche son costume de kiwi : une énorme peau de peluche marron avec un visage souriant, un maillot vert et des babouches jaunes.

    Cela a balayé le peu de dignité qui restait dans notre famille.

    - Je ne veux même pas imaginer l'impact psychologique que cela va avoir pour le reste de ma vie, a dit Flora en s'imaginant, à n'en pas douter, dans un hôpital psychiatrique (où, d'après moi, elle finira tôt ou tard). [...]

    - Bon, le kiwi est très nourrissant, a dit ma mère dans une tentative de rendre le traumatisme moins douloureux.

    Au début, nous avions peur d'aller voir notre père, mais ç'a été un soulagement d'apprendre qu'il n'était pas la seule personne déguisée au rayon "primeurs" : il y était en compagnie d'une anone, d'une cacahuète, d'une aubergine et d'une poire, toutes de peluche. Son emploi du temps fruitier était épuisant : de dix heures du matin jusqu'à six heures du soir, et son seul jour de libre était le mardi, journée pendant laquelle il s'employait à dormir et à récupérer les litres de sueur qu'il avait produits dans les entrailles du kiwi mutant.

    Personne dans la famille ne s'est jamais moqué du travail de mon père, surtout quand il a commencé à rapporter de l'argent à la maison, et avec son petit salaire, nous avons repris une vie plus ou moins normale, les services dans l'appartement ont été rétablis, nous mangions des aliments non périmés et ma mère a réglé le premier paiement pour une nouvelle machine à laver.

    Jaime Alfonso SANDOVAL, Oasis dans le Pacifique, 2009.

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