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Le mille-feuille de petits-beurre aux spéculoos (M. FERDJOUKH)

Imprimer Catégories : Littérature gourmande

Il y a des livres, comme ça, qui ne sont que du bonheur :

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"Comme Les Trois Mousquetaires étaient quatre, les Quatre Sœurs Verdelaine sont cinq. Il y a les plus jeunes, celles qui, chacune, donnent son titre à une partie de ce livre : Enid, 9 ans, se dévoue à la protection des pensionnaires du grand sycomore du jardin, Blitz l'écureuil et Swift la chauve-souris, et dialogue à l'occasion avec son ami Gnome de la Chasse d'eau. Hortense, 11 ans, passe le plus clair de son temps à lire, à tenir son journal et à se demander ce qu'elle va faire comme métier. Architecte ? Chirurgienne ? Bettina, 14 ans, fait sa bêcheuse dans la salle de bains, se shoote aux 218 épisodes du feuilleton Cooper Lane, copine avec Denise et Béhotéguy, et enquiquine le reste du monde. Geneviève, 16 ans, prend des cours de boxe thaïe essoufflants tandis que les autres la croient occupée à baby-sitter. Mais il y a aussi Charlie, l'aînée, 23 ans, qui s'occupe de tout : bricoler, cuisiner ; travailler dans un labo, aimer Basile, tirer le diable par la queue et tenter d'élever ses cadettes depuis la mort des parents. Tout ce petit monde habite la Vill'Hervé, une grande maison au bout du bout de la lande, au bord du bord de la falaise, pleine de recoins, de mystère, d'hôtes de passage et de pannes de Madame Chaudière. Il essaie de vivre (ça marche), il essaie d'aimer (bof, bof...), il essaie d'affronter les épreuves (tout est toujours à recommencer) et il essaie d'en rire (à tous les coups l'on gagne)."

Comment définir le plaisir intense que procure la lecture ce roman des quatre saisons (automne avec Enid, hiver avec Hortense, printemps avec Bettina et été avec Geneviève) ? c'est bien simple, à peine terminé, on n'a qu'une seule envie : le relire, pour savourer encore et encore cette vie plus vraie que la vraie vie, cet univers inclassable, où le quotidien le plus prosaïque cohabite avec la fantaisie la plus débridée, où les gnomes de chasse d'eau s'appellent Cary Grant, où les parents décédés ont la manie d'apparaître dans les tenues les plus incongrues (une robe de soirée pour pécher des coquillages, par exemple...) et où toutes les anecdotes ont  le parfum de la justesse parfaite.

Joyeux fouillis empli de personnages aux noms improbables, ambiance qui emprunte autant au club des Cinq qu'aux films de Jacques DEMY, la lecture de cette tétrade devenue unique roman est à conseiller à tous (et surtout toutes), de dix à cent dix ans ! Ainsi cette recette de mille-feuilles de petits-beurre, que Bettina réalise pour "se changer les idées" :

- Tu penses faire quoi avec ça ? demanda sa mère.

Bettina tourna la tête.

- Ca faisait longtemps ! murmura-t-elle. Tu apparais toujours quand on ne t'attend plus.

Lucie Verdelaine portait ceciré jaune qui la faisait ressembler à un cap-hornier de livre d'images, et de grosses bottes en caoutchouc vert. Elle prit Ingrid et s'envola au plafond, s'assit sur un coin du vaisselier. Elle passa le doigt sur la moulure, le montra à sa fille :

- Pas terrible, le ménage. Cette poussière.

- On fait ce qu'on peut. Tu n'avais qu'à pas mourir. Papa n'est pas avec toi ?

- Il anime une conférence sur l'émission de gaz polluants en enfer. Il veut élaborer une charte de bonne conduite envers les damnés.

- Papa pense toujours aux autres, dit Bettina avec tendresse.

Sa mère se pencha, tira sur son ciré pour un plus joli tombé, et caressa Ingrid en balançant ses pieds dans le vide.

- Je me trompe ou tu fais mon fameux gâteau sans cuisson ?

- Ton mille-feuille de petits-beurre aux spéculoos, yes sir. Ne me dis rien, j'essaie de me souvenir.

Bettina émietta un paquet de spéculoos qu'elle mélangea avec du beurre et du fromage frais. Elle quéta l'approbation de sa mère qui l'observait; jambes pendantes, depuis le haut du vaisselier. [...]

- Euh... ensuite ? demanda Bettina.

Elle nota que sa mère ne portait plus le ciré mais son grand tablier en vichy bleu. C'était un don depuis sa mort. Elle pouvait changer de vêtement en une seconde. [...]

-Une dose de Nescafé dilué pour parfumer. Il est rangé où, le moule à cake ? Si on peut appeler ça rangé...

Bettina le trouva et disposa au fond une couche de petits-beurre, versa dessus le mélange aux spéculoos.

- Pour finir, dit sa mère, une couche de petits-beurre. Tasse doucement. Il ne faut pas casser.

[...] Bettina plaça le moule dans le réfrigérateur.

- Merci, dit-elle. C'est la seule recette que je suis capable de cuisiner. Tu te souviens ? Mon premier gâteau de...

Son regard chercha dans la pièce. Elle était à nouveau seule avec la chatte. Sa mère avait disparu. Bettina soupira.

Malika FERDJOUKH, Quatre soeurs, 2010.

Un autre extrait ici.

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Commentaires

  • et moi qui cherchait une idée de lecture pour les vacances. Merci!

  • Cours-y vite, Aneth, tu ne le regretteras pas ! Moi, j'y retourne !

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