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alcool

  • "Nous, ça n'a vraiment rien à voir" (F. AUBRY)

    Imprimer Catégories : Littérature gourmande

    C’est un livre qui dérange :

    Biture express.jpg

    "Sarah et Gaby passent leurs vacances au camping‚ comme chaque année. Pour Sarah‚ 17 ans‚ c’est l’été des fêtes‚ des soirées entre amis‚ des guindailles tous les soirs. Et l’alcool en grande quantité‚ en très peu de temps‚ pour atteindre très vite l’ivresse: c’est la biture express. Gaby‚ sa sœur de 14 ans‚ voit le désastre tous les matins: une haleine qui empeste‚ les nausées‚ les mensonges aux parents‚ le black out total sur ce qu’elle a fait la veille. Et pourtant‚ tous les soirs‚ Sarah recommence.

    Je vois très bien ce que Lucas a voulu dire, mais il s'inquiète pour rien. Je n'ai rien à voir avec ces drogués de la dune, mais rien du tout. Je peux passer des journées entières sans boire, il n'y a pas d'addiction. C'est juste que... J'aime avoir la tête qui tourne, rien de plus. J'aime avoir la tête à l'envers. C'est juste comme d'explorer les souterrains de l'univers. Faire taire les bruits du monde. Il m'énerve. Il ne comprend pas, et je ne comprends pas qu'il ne comprenne pas. Je ne sais pas ce que je lui trouve, je ne sais pas pourquoi je m'obstine. On ne se ressemble pas."

    Un livre qui est mal rangé, avec ces voix qui se chevauchent, se répètent, se contredisent. Un livre qui dit des choses que l’on n’a pas vraiment d’entendre. Un livre qui nous montre, tous, adultes, adolescents, adultes surtout, comme on n’a pas envie de se voir. Car il est beaucoup plus facile de découvrir un reportage dans les médias sur le binge drinking et se dire « oh lala, c’est terrible, ces jeunes, ça fait peur de les voir ainsi se détruire… » que de se regarder soi-même en songeant à l’image que l’on peut offrir.

    Le roman de Florence AUBRY est un roman-coup de poing. Un de ces romans qui ne vous laisse pas indemne à la fin  de sa lecture. Et surtout, avec une légère gueule de bois…

    On part dans deux jours. Les parents ont organisé un apéro barbecue, pour fêter ça, leur départ et la fin du mois de juillet. Chaque famille, chaque couple invité est venu avec sa table, ses couverts, ses chaises pliantes et ses verres en plastique. Des guirlandes lumineuses ont été tirées entre deux caravanes et tout le monde s’est installé là. Il y a par terre cinq ou six barbecues dont les braises sont encore rouges, et une table couverte des restes de buffet. En bout de table, les traditionnels bag in box de vin, un de rosé, un de rouge.

    Il est près de vingt-trois heures trente mais il fait encore chaud. Les vieux commencent à avoir les yeux qui brillent. Ils ont été forts sur le rosé et le rouge : ils sont en vacances, ils n’ont pas à prendre la voiture pour retrouver leur lit, ils ne risquent pas de se faire retirer des points sur leur permis, alors ils se lâchent. Et moi je déteste ça.

    Ils sont une petite trentaine. Ils sont arrivés propres, maquillés, coiffés, habillés, mais maintenant… Au début, les enfants étaient là, mais ils ont mangé leurs chips et leurs petites saucisses grillées et puis ils ont filé, se sont éparpillés dans le camping. Ils en sont au digestif, chacun a apporté l’alcool de sa région. Du lourd.

    Je déteste quand les parents ont un peu bu. Personne ne s’est alcoolisé à se rouler par terre, non, bien sûr, mais ils sont tous comme on dit « gais ». […]

    Et puis je les trouve moches, je les trouve moches ces adultes. Je trouve les femmes beaucoup trop bronzées, c’est laid cette peau carrément marron, c’est d’une autre époque. Et avec l’alcool, ils luisent, tous, ils brillent, ils ont les cheveux qui collent. On dirait que l’alcool fait ressortir leurs rides. Je ne veux pas devenir comme eux. Dieu du Ciel faites que je ne leur ressemble jamais jamais. Et en rentrant chez eux, après les vacances, quand ils retrouveront leurs amis, ce sera « purée on s’est fait de ces fiestas cet été on a picolé mais qu’est-ce qu’on en a descendu des cartons si tu avais vu ça, ça ne plaisantait pas » comme si c’était la preuve irréfutable, ça, le nombre de bouteilles descendues, de ce qu’ils savent s’amuser. La preuve qu’ils sont restés jeunes. La preuve qu’ils peuvent faire comme nous. Sauf que nous, ça n’a vraiment rien à voir.

    Florence AUBRY, Biture express, 2010.

    Un autre extrait ici.

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  • "Le tout-venant a été piraté par les mômes..."

    Imprimer Catégories : Cinéma gourmand

    L'idée me trottait dans la tête depuis un petit bout de temps. Après les livres, les films ?

    Car s'il existe dans Ma Cuisine rouge une rubrique Littérature gourmande, il lui manquait un bout de quelque chose : le cinéma. Car nombreuses sont les scènes autour de la nourriture, pour ne pas évoquer carrément les repas ou les banquets...

    Ce qui a déclenché le passage à l'acte ? un des derniers messages de Clarabel, qui présentait 80 recettes d'après Alfred HITCHCOCK. Il n'en fallait pas plus pour me décider : Cinéma gourmand était lancé !

    Et pour commencer, je ne pouvais pas faire autrement que de présenter la cultissime scène de la cuisine des Tontons flingueurs !

    Sorti en salles le 27 Novembre 1963, le film fut loin de connaître l'unanimité qui allait faire sa gloire immortelle. La presse le trouvait trop caricatural et c'est le public qui, au fil des mois et des années, allait l'installer au panthéon cinématographique.

    Fruit de la première collaboration entre Georges LAUTNER et Michel AUDIARD, c'est d'abord un synopsis légendaire: "Sur son lit de mort, le Mexicain fait promettre à son ami d'enfance, Fernand Naudin, de veiller sur ses intérêts et sa fille Patricia. Fernand découvre alors qu'il se trouve à la tête d'affaires louches dont les anciens dirigeants entendent bien s'emparer. Mais, flanqué d'un curieux notaire et d'un garde du corps, Fernand impose d'emblée sa loi. Cependant, la belle Patricia lui réserve quelques surprises..."

    Puis des répliques culte qu'il serait trop long de récapituler mais qui fleurissent de partout sur la Toile, et enfin des interprètes grandioses : Lino VENTURA (pressenti en lieu et place de Jean GABIN qui exigeait de tourner avec son équipe - qui n'était pas celle de LAUTNER...), l'oncle Fernand, Bernard BLIER et Jean LEFEBVRE, les frères Volfoni, Francis BLANCHE, fameux maître Folasse ("Touche pas au grisbi, s... !"), ou encore l'évaporé Claude RICH, musicien incompris, le dévoué majordome Robert DALBAN, qui cache ses flingues dans les boîtes à biscuits, et la charmante Patricia (mais les Patricia sont toujours charmantes...), celle qui par qui toute arrive, interprétée par l'adorable Sabine SINJEN.

    Pour l'anecdote, la scène de la cuisine n'existait pas dans le scénario initial. C'est afin de "créer un passé commun" aux héros que LAUTNER la fit écrire, sur le modèle de la scène du bar dans Key Largo. Elle fut tournée en trois jours dans une véritable cuisine de seize mètres carrés, à Rueil-Malmaison. Et, secret de tournage, ce sont de vraies larmes que verse Jean LEFEBVRE puisque sans le prévenir, on avait glissé dans son verre un mélange de whisky, cognac, liqueur de poire et... poivre ! Effectivement, "y avait pas de qu'la pomme"...

    Sources Wikipédia, AlloCiné et L'Express.

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  • Premier apéritif à l'Apostle Bar (P. Z. BRITE)

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    Allez savoir pourquoi, on a tous ses rêves. Parmi les miens, il y avait celui d'aller en Louisiane. Pourquoi la Louisiane ? parce qu'adolescente, j'avais dévoré, lu et relu, les romans de Maurice DENUZIERE : Louisiane, Fausse-Rivière et Bagatelle (bien sûr, il y avait les suivants, mais Clarence et Virginie ayant disparus, c'était beaucoup moins intéressant... Pourtant, ce ne fut qu'à mon quatrième voyage aux Etats-Unis que je me suis enfin rendue en Louisiane. C'était en 1998 et je mesure aujourd'hui ma chance, car j'ai connu la Nouvelle-Orléans d'avant Katrina.

    Et j'ai adoré : la Lousiane, c'est l'Amérique bien sûr, mais une Amérique baignée par les Caraïbes, avec une bonne humeur et une joie de vivre communicative. Se balader dans la Nouvelle-Orléans, c'est, chose inhabituelle aux Etats-Unis, rencontrer l'histoire à tous les coins de rue, puisque les plaques y sont trilingues, souvenirs des présences successives espagnoles, françaises et américaines... C'est sentir des odeurs exotiques, des parfums de voyage, des épices... C'est entendre de la musique à tous les coins de rues... C'est manger des po-boys et des jambalayas...

    Et c'est pourquoi, lorsque Cuné m'a parlé du livre de Poppy Z. BRITE, n'hésitant pas à m'en citer un extrait pour m'allécher davantage, c'était clair, c'était diaphane : il me le fallait !

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    « — La Nouvelle-Orléans adore la picole. On aime boire, on aime l'idée de boire, on aime être encouragé à boire. Tu crois que tous ces drive-in qui débitent des daïquiris à Métairie ne sont fréquentés que par les touristes ? Les touristes ne vont pas jusqu’en banlieue. Ce sont les locaux qui boivent tous ces daïquiris, et ils pourraient en trouver n’importe où ailleurs, mais ce qui leur plaît avec les drive-in c’est qu’ils ont l’impression de faire quelque chose de mal. On pourrait ouvrir un endroit où on ferait la même chose, mais à une bien plus grande échelle.
    — Un menu entièrement basé sur l’alcool.
    »

    Poppy Z. Brite mixe ambition, scandale, épices, cocaïne et meurtre,
    pour  servir Alcool bien tassé, avec une paille !"

    Et, sans mauvais jeu de mots, j'ai été servie ! Par Cuné d'abord, qui m'a fait la gentillesse de m'envoyer le livre, et je l'en remecie encore, puis par l'ouvrage lui-même. Une auteur qui a choisi pour prénom Coquelicot ne pouvait que me plaire, pour commencer... quand ensuite elle produit deux personnages aussi attachants que Rickey et G-Man, sans parler de tous ceux qui les entourent, quand elle situe son intrigue dans une ville aussi jubilatoire que la Nouvelle-Orléans, et que de surcroît, elle fait de ses héros des héros récurrents, que demander de plus ?

    L'histoire, c'est donc celle de deux jeunes hommes, couple à la ville comme en cuisine, Rickey et G-Man. Se retrouvant au chômage et raides fauchés, l'un d'eux a l'idée lumineuse d'un concept culinaire typiquement new orléanais : une cuisine à l'alcool. C'est-à-dire avec de l'alcool présent dans tous les plats, de l'entrée au dessert. L'idée va plaire à un restaurateur, qui va les financer. S'ensuivront toutes une série de mésaventures - je reconnais avoir moins accroché au côté "polar" de l'intrigue - et autres péripéties compromettant l'ouverture de ce fameux restaurant : Alcool.

    On ressort de cette lecture, qu'on avale d'une traite, affamé et le sourire aux lèvres. Ce n'est pas tant l'alcool qui emporte la mise que le plaisir que semble avoir pris Poppy Z. Brite à décrire minutieusement chacun des gestes de ses personnages, leur goût pour les produits et leur art à les mettre en scène. Ainsi que vous le prouve ce passage, premier essai de menu "alcoolisé" :

    PREMIER APERITIF A L'APOSTLE BAR

    A l'Apostle Bar, G-Man avait effectué la mise en place et achevé tout le travail de préparation. Il tira un récipient du comptoir réfrigéré puis le tendit à Rickey.

    - Crème de raifort relevée d'un doigt de whiskey irlandais Bushmills. Je me suis dit que ça se marierait bien avec tes saucisses et tes huîtres.

    Rickey goûta cette sauce blanche veloutée à la texture mousseuse. Son goût singulier et acidulé saisissait le palais, mais l'onctuosité de la crème fraîche atténuait cette acidité, l'empêchant ainsi de prendre le dessus.

    - Et Joe, ça va ?

    - Oui, savamment...

    G-Man réduisit en purée les olives kalamata, les câpres et les anchois puis les mélangea avant d'y ajouter du vermouth et de l'huile d'olive vierge extra, tandis que Rickey s'apprêtait à confectionner des saucisses. Il déballa la viande de porc de son papier de boucher rose et la passa au hachoir mécanique. Après avoir assaisonné son mélange avec de l'ail, des clous de girofle, du sel et du poivre noir, il ajouta des pistaches grossièrement pilées, une généreuse rasade de cognac et une truffe découpée en petits dés très fins. Il malaxa les trois derniers ingrédients à la main, pétrissant la viande jusqu'à la rendre soyeuse au toucher, sans toutefois écraser les délicates truffes.

    G-Man termina sa tapenade et sortit pour se rendre au bar. il revint avec une ardoise et une boîte de petites craies de couleur. Juché sur un tabouret près de la chambre froide, l'ardoise posée en équilibre sur ses genoux, il écrivit PLATS DU JOUR à la craie bleue puis agrémenta les lettres bleues d'un contour jaune. en dessous, il écrivit : Boulettes de risotto sautées aux truffes noires + Absolut vodka citron - servies avec de la tapenade au vermouth, puis il leva les yeux vers Rickey :

    - Comment veux-tu que je formule ton plat du jour ?

    - Euh... saucisses bordelaises et... Non, attends un peu... Saucisses aux truffes et au cognac et... Oh et puis, merde, G ! Je sais pas. Je suis pas inspiré, là. Tu crois que tu peux trouver quelque chose pour moi ?

    - Bien sûr.

    A ces mots, G-Man saisit un bout de craie verte et écrivit : Huîtres en coquille et saucisses maison au cognac, pistaches + truffes noires - servies avec une crème de raifort au Bushmills. Sous la description des plats du jour, il tenta de dessiner des truffes mais ne parvint qu'à griffonner des pâtés ressemblant plus à des étrons qu'à des champignons. Alors il les effaça.

    Rickey jeta un coup d'oeil sur l'ardoise.

    - Eh, ça rend carrément bien.

    - Peut-être que j'ai un talent caché, qui sait ?

    - A ta place, je m'en tiendrai à la cuisine. C'est plus lucratif.

    G-Man apporta l'ardoise jusqu'en salle et la posa sur une étagère au-dessus du bar. Le service commençait dans une heure. Pour l'instant, le bar était vide à l'exception de deux dockers occupés à écluser de la bière en se disputant à propos du Super Bowl. Ils n'avaient pas franchement l'allure de clients susceptibles d'être intéressés par l'un ou l'autre des plats du jour.

    A 18 heures, Rickey et G-Man peaufinèrent leur mise en place déjà impeccable. A 18 h 15, ils remplirent à nouveau d'huile d'olive, de rouille au poivre rouge et de moutarde au cognac, les flacons souples qu'ils avaient utilisé pour garnir les assiettes. A 18 h 22, un client commanda un hamburger et des frites au fromage.

    - Fait chier ! Ils ne vont pas avoir envie d'avaler des conneries du genre, ce soir !

    - Détends-toi un peu, vieux. Il est encore trop tôt et n'oublie pas qu'on est dans un bar. les vrais mangeurs ne sont pas encore arrivés mais ils seront au rendez-vous, ne t'inquiète pas.

    A 18 h 50, quelqu'un commanda le risotto, ouvrant ainsi les hostilités à proprement parler.

    Poppy Z. BRITE, Alcool, 2008.

    Prime et Soul Kitchen sont encore à venir, mais on peut également retrouver nos deux cuistots parmi son recueil de nouvelles, Petite Cuisine du Diable.

    Et décidément, cette rentrée littéraire est sous le signe du goût, puisque n'oubliez pas l'excellent roman de Christophe-Till GEISSLER, Lamelles, dont je parlais la semaine dernière.

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