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Mille et une saveurs siciliennes (M. LORIA - S. QUADRUPPANI)

Imprimer Catégories : Littérature gourmande

A la manière de l'histoire de Tristan et Iseult qui s'annonçait comme "un beau conte d'amour et de mort", voici un beau conte d'amour et de saveurs.

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"Au XIe siècle, le comte Roger Ier, noble normand qui a conquis la Sicile sur les Arabes, veut faire exécuter le prince Omar qui a comploté contre lui. Mais la soeur de ce dernier, la très belle princesse Yasmina, va tenter de le convaincre d'y renoncer en l'invitant à sa table. Sept banquets vont se succéder, chacun dédié à une forme d'amour, de l'amour maternel à l'amour parfait, en passant par l'amour pour les animaux, l'amour-amitié, l'amour courtois... Durant ces repas où l'on découvre avec le comte tous les plats de la tradition culinaire sicilienne et leur empreinte arabe, Yasmina va déployer ses charmes en livrant des récits tirés du répertoire légendaire de la Sicile ou de l'imagination des auteurs, en résonance avec une très ancienne, tragique et succulente histoire. Ponctué des interventions de Giufà, le bouffon de la tradition méditerranéenne, accompagné des recettes puisées aux meilleures sources familiales d'aujourd'hui, soutenu par une intrigue aux rebondissements surprenants, ce Mille et Une Nuits culinaire, sensuel et drôle, évoque ce moment où deux hautes civilisations se sont rencontrées pour se mélanger avec bonheur."

"Sept histoires et cinquante recettes de Sicile au parfum d'Arabie" annonce le sous-titre. Et l'ouvrage est à la hauteurs de ce qu'il avance : sa lecture est un délice, autant littéraire que culinaire. Le couple atypique formé par le Comte et sa (potentielle) belle captive est un bonheur d'esprit, de sensualité, d'audace et... d'humour ! Et depuis le granité que Yasmina va offrir pour ouvrir les négociations, jusqu'au septième souper, celui de l'amour parfait, ce roman explore les méandres des relations homme-femme tout en passant en revue la somptueuse richesse de la cuisine sicilienne, cuisine de rencontre, cuisine de carrefour. L'histoire, plus ou moins retouchée (les auteurs l'avouent), s'entremêle à la légende dans une explosion de délices plus érudits et raffinés les uns que les autres.

Alors quel dilemme pour choisir l'Extrait, celui qui vous donnera envie de vous plonger dans le livre tout entier... Après moult tergiversations, j'ai opté pour le deuxième souper, celui de "L'amitié aussi forte que l'amour". Au menu : "Potiron à l'aigre-doux - Sardines fourrées de pignons - Rougets à l'orange - Couscous de poisson - Stigghiola - Lapin d'Agrigente - Cheveux d'ange au miel - Petits nougats de sésame"...

- On raconte que, voilà très longtemps, il y a avait dans la grande et très heureuse ville de Palerme, qu'Allah la conserve toujours prospère et riante, une auberge renommée pour les mets qu'on y cuisinait car ils étaient délicieux jusqu'au prodige : quiconque les mangeait, contaminé par leur bonté, se découvrait une âme bonne et généreuse...

Yasmina marqua une pause car Roger était manifestement distrait par l'arrivée d'un premier plateau où les mets étaient disposés dans des assiettes de céramique décorées d'esquisses d'animaux, formes se dégageant à peine de l'abstraction des arabesques et pleines encore de leur énergique beauté. Se détachant nettement sur ce sobre décor, des tranches de potiron caramélisés aux fragrances vinaigrées, des sardines enroulées autour d'une farce croustillante et parfumée, des petits rougets fleurant l'orange et le laurier, et un lapin découpé mais reconstitué, dans la nudité de ses chairs nimbée d'une sauce amarante, toutcela composait un tableau riche de couleurs contrastées et d'odeurs enivrantes. Tandis que les papilles du Comte s'épanouissaient sous la caresse aigre-douce du potiron, Yasmina reprit :

- Hassan le propriétaire de l'auberge, était un riche marchand comblé des bienfaits de la fortune, qui lui avait agrandi un domaine sur lequel poussaient toutes les richesses que Dieu offre aux hommes. [...] Il y avait aussi de grandes réserves de cette pâte sèche, pasta asciutta qu'on fabrique depuis deux cents ans près de Trabia avec de l'eau et de la farine et qu'on fait cuire dans l'eau bouillante avant de la consommer : les pâtes, en effet, sont un de ces mets que nous autres Arabes, nous nous flattons d'avoir apporté en terre italienne.

Mais le secret du succès de la maison de Hassan se dissimulait dans ses cuisines, dans ces pièces auxquelles on accédait par une cour intérieure remplie du gargouillis des fontaines. De derrière les fenêtres voilées parvenait un brouhaha étouffé de voix et de rires féminins.

[...] Déjà, dans son enfance, Dinah, fillette à l'oeil vert comme la pistache, au caractère doux comme l'amande, toujours prête à sourire, les mains voltigeant comme le papillon, aimait passer de longues heures à observer cequi se passait dans et autour des énormes marmites qui, nuit et jour, mijotaient dans les cuisines d'Hassan, elle fourrait son nez aux narines frémissantes dans les réserves et les coffres, et plongeait les mains dans les grands sacs pour faire courir entre ses petits doigts des ruisselets de farine ou de grains, assaillait les femmes et les frères aînés de questions.

Devenue grande, Dinah mit en pratique tout ce qu'elle avait appris quotidiennement de ses grands-mères, mère, frères, tantes et cousines, avec des résultats surprenants. Car elle qui connaissait toutes les recettes, les règles et les traditions, ne cessait de les parfaire en les transgressant : son habileté à rapprocher des saveurs qui jusqu'alors ne s'étaient jamais mélangées, son talent pour ajouter une épice dans un plat qui l'attendait depuis mille ans, à glisser un zeste d'orange là où sa saveur s'épanouirait de manière inattendue, à laisser tomber une pépite d'ail dans un ragoût dont on se régalait jusque-là sans s'avouer qu'on le trouvait quand même un peu fade, sa hardiesse à mêler le salé et le sucré, l'aigre et le doux, la terre et la mer, rendaient ses petits plats dignes du paradis d'Allah. Dinah avait à peine commencé à mettre la main à pâte que la rumeur de son art s'était répandue dans la ville et en avait franchi les confins avec les récits des marins et des voyageurs qui, durant les longues nuits passées sous les étoiles, au bivouac ou sur le pont des navires, rappelaient avec nostalgie ces délicieux moments de bonheur gourmand.

Maruzza LORIA, Serge QUADRUPPANI, A la table de Yasmina, 2003.

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Commentaires

  • Je suis très intéressée par ce livre. Je suis d'origine sicilienne et passionnée par la littérature italienne! Je pense le lire prochainement.

  • C'est un roman qui mérite vraiment d'être découvert.

  • Un livre tentant comme une gourmandise... Ah et puis (l cuisine de)l'Italie mmm j'adore du Nord au Sud !

  • cuisine sicilienne? ah? donc achat du livre...après AS Pic, je te suis encore dans tes choix!

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