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Littérature gourmande - Page 2

  • Où il est question - beaucoup - de sucre, de mie de pain et autres gourmandises... (F. VARGAS)

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    On parle beaucoup de nourriture dans le dernier Fred VARGAS :

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    "Cette nuit-là, dit-elle lentement, Lina a vu passer l'Armée furieuse. Et Herbier y était. Et il criait. Et trois autres aussi.

    - C'est une association ?

    - L'Armée furieuse, répéta-t-elle tout bas. La Grande Chasse. Vous ne connaissez pas ?

    - Non, dit Adamsberg en soutenant son regard stupéfait.

    - Mais vous ne connaissez même pas son nom ? La Mesnie Hellequin ? chuchota-t-elle.

    - Je suis désolé, dit Adamsberg. Veyrenc, l'Armée furieuse, vous connaissez cette bande ?

    - Un air de surprise intense passa sur le visage du lieutenant Veyrenc.

    - Votre fille l'a vraiment vue ? Avec le disparu ? Où cela ?

    - Là où elle passe chez nous. Sur le chemin de Bonneval. Elle a toujours passé là.

    Veyrenc retint discrètement le commissaire.

    - Jean-Baptiste, vraiment, tu n'as jamais entendu parler de ça ?

    Adamsberg secoua la tête.

    - Eh bien, questionne Danglard, insista-t-il.

    - Pourquoi ? Parce que, pour ce que j'en sais, c'est l'annonce d'une secousse. Peut-être d'une sacrée secousse.

    Nul doute que la fratrie "maudite" du village normand rejoindra la galaxie des personnages mémorables de Fred Vargas. Quant à Momo-mèche-courte, il est le fil conducteur de la double enquête que mène ici le commissaire Adamsberg, confronté à l'immémorial Seigneur Hellequin, chef de L'Armée furieuse."

    Du Fred VARGAS pur jus, voilà ce que nous réserve cette Armée furieuse. Le style s'épanouit de plus en plus largement, comme si l'auteur était définitivement rebelle à toute mise en boîte, à tout enfermement : l'histoire déroule son fil, tantôt languissant, tantôt plus tendu, et les personnages vivent leur vie, se permettant même de jouer avec le lecteur ("Et que voulez-vous que je fasse, commandant ? Que je m'installe des années sous un pommier en attendant Camille ? - Le pommier n'est pas obligatoire. - Que je ne remarque pas la fabuleuse poitrine de cette femme ? - C'est le mot, concéda Danglard.") qui s'étonnerait de ne pas retrouver ses personnages fétiches.

    Les intrigues sont multiples, à la manière d'une bobine mal enroulée et, comme d'habitude, le tricot va se faire pendant que tout s'entrecroise. Mais surtout, surtout, ce nouveau volume regorge d'aphorismes et d'humour et l'on pourrait égrener les perles à la file ("On dit que les Normands n'aiment pas beaucoup parler, hasarda Adamsberg qui se mit à marcher dans le sillage de la femme; qui exhalait une légère odeur de bois. - Ce n'est pas qu'ils n'aiment pas parler, c'est qu'ils n'aiment pas répondre. Ce n'est pas la même chose. - Alors comment fait-on pour poser une question ? - On se débrouille."). Le personnage d'Adamsberg pellette les nuages à n'en plus finir et irradie dans tout le livre, jamais plus brumeux, jamais plus fluctuant, jamais plus séduisant.

    Le passage que je vous propose suit de près celui qu'Aneth avait proposé : la fameuse description de la soeur de la fratrie "maudite", où l'un se croit d'argile, l'autre cuisine les insectes et le troisième parle en inversant les mots, et où Lina semble curieusement épargnée. ici, ils déjeunent pour la première fois ensemble, Adamsberg et elle :

    Lina attendit qu'on eût apporté leurs plats avant de répondre. Elle avait faim de manière apparente, ou bien envie de manger, et posait sur la nourriture un regard très passionné. Cela sembla logique à Adamsberg qu'une femme aussi dévorable soit douée d'un appétit sincère. [...]

    Adamsberg s'obligea à manger plus rapidement qu'à son habitude pour suivre le rythme de la jeune femme. Il ne souhaitait pas se retrouver face à elle avec son assiette à moitié pleine.

    - Mais pour voir l'Armée furieuse, on dit qu'il faut être également détraqué. Ou mentir.

    - Vous pouvez penser cela. Je la vois et je n'y peux rien. Je la vois sur le chemin, je suis sur ce chemin, alors que ma chambre est à trois kilomètres.

    Lina roulait maintenant du bout de sa fourchette des morceaux de pommes de terre dans une sauce à la crème en y mettant une énergie et une tension surprenantes. Une avidité presque gênante.

    [...] Lina interrompit sa phrase et termina hâtivement son assiette avec une grande avance sur Adamsberg. Puis elle s'adossa à sa chaise, rendue plus étincelante et détendue par cette réplétion.

    Fred VARGAS, L'Armée furieuse, 2011.

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  • La revanche de Batoule (F. HAL)

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    "Récit", tel est le sous-titre de l'ouvrage de Fatéma HAL :

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    "Incroyable destin de Fatéma Hal ! Qui raconte son parcours : de sa ville natale marocaine d’Oujda, à quelques kilomètres de la frontière algérienne, à Paris où elle a créé en 1984 son célèbre restaurant Mansouria. Entre-temps, après un mariage à 18 ans, trois enfants, des études à l'université Paris-VIII, un divorce, elle aura entrepris un inlassable travail auprès des cuisinières de son pays pour recueillir à temps, avant leur disparition, un fabuleux héritage culinaire. Fatéma Hal revient sur son enfance, marquée par l’absence de père qui en fera un univers de femmes : Mansouria, sa mère, sa tante Yamina, chanteuse pour femmes, les dadas, anciennes esclaves, à qui elle rend hommage, dont certaines devinrent de grandes cuisinières. Des femmes souvent oubliées par la grande Histoire, celle qui est toujours écrite par les hommes…Une suite de récits subtilement construits avec les ingrédients de l’humour, du fantasque, de sublimes vengeances, de la sensualité des parfums du hammam, des saveurs de la cuisine, des youyous, et des chants de Oum Kalsoum… mais aussi marqués par la guerre de l’Indépendance algérienne, les drames terribles, la misère, les répudiations, l’immigration…Née entre le Maroc et l’Algérie, établie en France, ambassadrice de la cuisine marocaine dans le monde, Fatéma Hal est fille des frontières. Dans notre société contemporaine de plus en plus complexe, où tant de mondes différents se juxtaposent, si l’histoire de Fatéma Hal nous touche autant, c’est parce qu’elle a su maintenir précieusement le lien entre tous les pans de sa vie. C’est ce qu’elle nous offre à voir aujourd’hui dans ce livre de fidélité aux souvenirs."

    Fille des frontières est (donc) un récit captivant, à la fois autobiographie d'une femme moderne et miroir du monde. C'est l'itinéraire d'une petite fille qui se trouvait laide - car c'est ce qu'on lui disait - parce que différente des autres et qui n'a dû qu'elle même de grandir et gravir toujours un peu plus loin les marches de la société. Depuis Oujda, son village d'enfance, celui qui l'a marqué à jamais de ses saveurs et de ses personnages hauts en couleur, jusqu'à Paris, où elle est arrivée pour aller à l'université avant de finir par ouvrir son propre restaurant, la vie de Fatéma HAL est une succession de rencontres qui se sont imprimées en elle, se superposant pour produire ce résultat unique.

    Loin de dérouler un fil autosatisfait, l'auteur raconte et raconte encore : les autres, la vie, le monde et, parmi tout ce foisonnement,  surgit de temps en temps une petite fille discrète et effacée, qui regarde et emmagazine dans sa mémoire. L'ouvrage est savoureux, les histoires pittoresques et Fatéma HAL possède un véritable talent de conteuse qui lui permet de rendre au plus près ces personnages féminins si typiques, quoique si proches de nous. Ainsi la vengeance de Batoule, jeune femme stérile répudiée par son époux...

    La vengeance de Batoule

    Mais voilà que Batoule avait décidé de retrouver sa dignité. rien ni personne ne pourrait l'en empêcher. (..)

    Elle poursuivit son chemin jusqu'au marchand d'herbes. Elle tendit la main vers une botte de menthe sauvage terminée par de jolies fleurs, en écrasa une entre ses doigts afin d'évaluer le parfum. Satisfaite, elle vérifia ensuite le brillant des feuilles de coriandre et frôla légèrement la sauge sauvage dont l'arôme discret dissimule son goût puissant. Pour le persil, elle écarta trois bottes fanées et prit celles du dessous, plus fraîches. (...)

    Au Maroc, le thé vert n'a qu'une seule compagne, la menthe, dont les larges feuilles libèrent leur parfum enivrant. Mais l'hiver, lorsque son arôme est moins puissant, le thé, ce goujat, la trompe avec l'absinthe et sa légètre amertume. (...)

    Batoule salua le marchand et prit le chemin du retour. (...) Elle alluma le feu et se mit au travail. Très vite, un délicieux parfum emplit la pièce et s'échappa par la fenêtre entrouverte. La belle reprenait goût à la vie. Piètres cuisinières, ses voisines identifièrent néanmoin s les différents ingrédients : ail écrasé, coriandre, cumin, poivrons grillés.

    Le lendemain, elle fit mijoter un succulent tagine d'agneau aux cardons. Le surlendemain, elle prépara un couscous madfoun, celui qui cache volontairement son jeu... J'adore ce couscous, où tout est dissimulé aux regards. Dans sa cuisine, Batoule se comportait comme ces femmes qui entrent en transe au son d'une musique entraînante et défient la loi des hommes. Elle affolait les sens de voisins, qui la regardaient porter ses petits plats aux pauvres groupés devant la mosquée. Son talent pour filtrer l'eau de rose értait exceptionnel et sa façon de griller les noix ravissait les papilles. Son smen était une merveille et ses dattes farcies aux amandes tout simplement sublimes. Une autre fois, elle brisa le tabou suprême en réalisant elle même la recette du bouillon de l'accouchée, d'ordinaire réservé aux femmes qui viennent d'enfanter. Stérile, Batoule savait qu'elle ne connaîtrait jamais ce bonheur, mais elle prenait sa revanche en réussissant le plus savoureux des bouillon. Batoule était comme ça, et j'admirais sa détermination à ne pas accepter son sort. La répudiation condamnait à une vie difficile. En se révoltant, Batoule avait repris sa liberté.

    (...) "... lorsque ce fils de sorcière m'a répudiée, j'ai d'abord cru que le sol allait s'ouvrir sous mes pieds. Puis j'ai pensé faire une folie : sortir nue dans la rue pour l'humilier, le tuer de mes propres mains ou bien me jeter dans l'oued... Je voulais crier mon malheur au monde entier. Finalement, j'ai préféré m'enfermer dans la cuisine pour préparer tous les plats qu'il aime et ceux qu'il ne connaît pas. Chaque fois, devant ces plats délicieux, je me dis qu'il peut bien se remarier s'il veut, il ne les goûtera jamais plus et même jamais tout court!"

    Fatéma HAL, Fille des frontières, 2011.

    Lu dans le cadre de l'opération Masse critique

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  • "C'est ça le problème, dis-je à la femme, je ne sais pas de quoi j'ai envie" (A. A. OLAFSDOTTIR)

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    C'est un joli roman qui se déroule comme un conte :

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    "Le jeune Arnljótur va quitter la maison, son frère jumeau autiste, son vieux père octogénaire, et les paysages crépusculaires de laves couvertes de lichens. Sa mère a eu un accident de voiture. Mourante dans le tas de ferraille, elle a trouvé la force de téléphoner aux siens et de donner quelques tranquilles recommandations à son fils qui aura écouté sans s'en rendre compte les dernières paroles d'une mère adorée. Un lien les unissait : le jardin et la serre où elle cultivait une variété rare de Rosa candida à huit pétales. C'est là qu'Arnljótur aura aimé Anna, une amie d'un ami, un petit bout de nuit, et l'aura mise innocemment enceinte. En route pour une ancienne roseraie du continent, avec dans ses bagages deux ou trois boutures de Rosa candida, Arnljótur part sans le savoir à la rencontre d'Anna et de sa petite fille, là-bas, dans un autre éden, oublié du monde et gardé par un moine cinéphile."

    Récit d'une quête de soi, voyage à travers les contrées, depuis les plus septentrionales (l'Islande) jusqu'aux plus méridionales, sans toutefois que l'on puisse précisément les situer, cette Rosa candida développe ses parfums à travers l'histoire d'Arnljotur, adolescent attardé de vingt-deux ans, orphelin d'une mère qui est décédée alors qu'elle lui livrait de derniers conseils de vie, père malgré lui d'une petite Flora Sol, qui décide un jour de devenir adulte et de prendre - enfin - sa vie en main.

    Passionné de jardin, et plus particulièrement de roses, il va proposer ses services dans une roseraie ancienne, située dans un monastère. Après un périple automobile (et hospitalier), il va s'installer parmi les moines et se faire adopter par la communauté. Jusqu'à l'arrivée inopinée de Flora Sol et sa mère...

    La nourriture est omniprésente dans ce roman, héritage de la mère, comme le jardinage. Depuis le  carnet de recettes gardée précieusement par le père jusqu'aux steaks cuisinés sur les conseils du boucher local pour nourrir mère et fille, Arnljotur révèle sa véritable nature, gourmande et avide de découvertes. Ainsi ce repas pris durant son long trajet vers la roseraie...

    Je ne suis pas plus avancé après la lecture du menu, que l'homme essaie d'expliquer au fur et à mesure par-dessus mon épaule ; je perds le fil. [...]

    "De quoi avez-vous envie ?" demande-t-elle.

    C'est la pire question qu'on puisse me poser car elle touche au tréfonds de mon être ; je ne sais pas encore ce que je veux, il me reste encore tant de choses à expérimenter et à comprendre.

    "C'est ça le problème, dis-je à la femme, je ne sais pas de quoi j'ai envie." je me doute qu'on ne doit pas pouvoir être noté plus bas au barème du restaurant de la forêt qu'en ne sachant pas ce qu'on veut manger. La femme hoche la tête, compréhensive. [...]

    "Faites-moi confiance, dit-elle d'un air à la fois mystérieux et rassurant, vous ne serez pas déçu."

    Je suis seul dans la salle, sous la tête de cerf. Au bout d'un petit moment, la femme revient avec une assiette garnie et une bouteille de vin. Elle verse du vin dans l'un des premiers verres.

    "Je me suis permis de choisir aussi le vin, dit-elle. Bon appétit." Elle s'écarte un peu de manière à pouvoir observer mes réactiobs.

    "Comment le trouvez-vous ?

    - très bon, dis-je en levant la tête du pâté tiède nappé de sauce aux champignons des bois.

    - Je pense bien." Elle m'apporte la photo d'un hérisson pour me montrer l'origine du pâté. Dans le sillage du pâté de hérisson, suivent au moins trois autres hors-d'oeuvre, pâté sur pâté : pâté de sanglier, pâté de canard et foie gras. Après quoi, trois spécialités du restaurant de la forêt : poitrine de chevreuil, filet d'élan, cuissot de cerf, chaque plat de viande succédant l'un à l'autre. D'après la série de photos que la femme me présente à chaque plat, tout, absolument tout ce qu'on sert ici vient de la forêt. On mijote ici les bestioles que j'ai redouté d'écraser toute la journée. Il y a peu de légumes avec les plats, qui sont accompagnés de sauce et de pain. La femme insiste pour que je boive un verre de vin avec chaque nouveau plat. [...]

    Je ne peux en tout cas pas dire autre chose que le repas est formidable et l'addition ridiculement modeste. Comme j'ai bu trop de verres pour pouvoir continuer ma route, je demande à la femme le gîte dans la forêt. [...] La femme dit que je réglerai le dîner le lendemain et, près avoir éclusé un petit verre de liqueur d'airelles offert par la maison, j'arrose une dernière fois mes plantes, me brosse les dents et me déshabille avant de me glisser entre des draps blancs comme neige.

    Audur Ava OLAFSDOTTIR, Rosa candida, 2007.

    Un autre extrait ici.

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  • "Mangiate !" J-C. MOURLEVAT

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    Un titre qui n'admet pas la réplique, un mot, une silhouette :

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    "Tout commence sur une route de campagne... Après avoir reçu un message de sa soeur, disparue depuis un an, Anne se lance à sa recherche et passe... de "l'autre côté". Elle se retrouve dans un monde parallèle, un ailleurs dépourvu d'humanité, mais où elle rencontrera cependant des alliés inoubliables. Pour arracher sa soeur à ce monde terrifiant, Anne ira jusqu'au bout, au péril de sa vie. Elle se découvrira elle-même : Terrienne.
    Vous ne respirerez plus jamais de la même manière."

    Découvrez la playlist Il faut que tu respires... avec Mickey 3D

    Depuis quinze ans maintenant, Jean-Claude MOURLEVAT nous offre des romans tous plus ensorcelants les uns que les autres. Touchants, drôles, inquiétants, ils développent une palette de couleurs toujours inédites. Depuis le voyage initiatique de Tomek, héros de la Rivière à l'envers, jusqu'à Aleks, faux jumeau déchiré du Chagrin du roi mort, ses personnages ont toujours un point commun : ils ressortent grandis de leurs aventures. Et vieillis. Plus mûrs, mais mais aussi moins naïfs, plus aguerris.

    Terrienne ne fait pas exception à la règle : le roman raconte le voyage d'Anne, partie retrouver et ramener sa soeur Gabrielle d'un pays où, normalement, on ne revient jamais. Et vont se dérouler comme dans un rêve, qui flirte avec le cauchemar, les aventures de cette jeune fille de dix-sept ans qui ne renonce pas, marginale dans son monde, mais rebelle et déterminée dans cet autre monde.

    Car moins que de science-fiction, c'est de fantastique qu'il s'agit : l'irruption dans notre monde réel et familiel d'une inquiétante étrangeté, celle d'un autre monde, où l'on ne respire pas , où l'on ne rit pas, transpire pas, où rien n'a de goût et où l'on n'a de goût à rien. Le voyage initiatique d'Anne va la mener très loin, au fond d'elle autant qu'aux confins de ce Campagne, et c'est plus riche, plus forte, plus sage qu'elle en reviendra, avide de goûter pleinement à tout ce qui l'entoure et qui fait la sève de notre monde, ses bruits, ses odeurs, ses gens..

    Mangiate !

    Je considère notre triste repas et je me demande comment réagiraient les gens d'ici si on leur mettait sous le nez une assiette de spaghettis, avec une bonne sauce bolognaise et du parmesan. "Voyez-vous, leur dirais-je, c'est cela quelque chose de bon, est-ce que vous faites la différence ?" A cette seule pensée, mes papilles s'affolent, et mes narines aussi. Je me retrouve dans la cuisine de mon grand-père Marcello, les jours où Gabrielle et moi mangions chez lui, à midi.

    C'était le rituel, une fois par semaine, le mercredi, et ça a duré des années. Il nous faisait toujours ses spaghettis bolognaise et nous ne voulions rien d'autre. Il posait la casserole fumante et odorante sur un journal plié en deux au milieu de la toile cirée de la table et il nous disait : "Mangiate !" Dans la pièce voisine, ma mémé Chiara, qui commençait à perdre la tête, répétait sans fin la même question : "Marcello, chi c'è ? " Marcello, qui est là ? A quoi il finissait par répondre : "Sono le tue nipoti", c'est tes petites-filles. Alors elle se taisait pour un moment avant de recommencer : "Marcello, chi c'è ? " Comme dessert, nous avions toujours une boîte de crème Mont-Blanc, praliné, vanille ou chocolat, qu'il nous servait dans des bols. Il nous forçait à la finir. Il était heureux de nous avoir et de nous faire plaisir, une fois par semaine. Mais c'est lui qui est parti le premier. Mémé Chiara est toujours en vie, dans sa maison de retraite, et elle continue à demander "Marcello, chi c'è ? " toutes les quinze secondes environ. La vie est mal fichue.

    Jean-Claude MOURLEVAT, Terrienne, 2011.

    Un autre extrait ici.

    Une vidéo où Jean-Claude MOURLEVAT parle de Terrienne :


    Une rencontre avec Jean-Claude Mourlevat
    envoyé par GallimardJeunesse. - Futurs lauréats du Sundance.

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  • Souper singulier (F. COLIN)

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    Il y a la Littérature, et puis il y a les livres. La littérature, c'est cette grande chose qui étend ses ailes au dessus de nous, parfois effrayante, parfois réconfortante, souvent intimidante. Et puis il y a les livres. Ces doux objets que l'on serre autour de soi (ma fille en a plein son lit, ma table de nuit croule), que l'on garde toujours sous la main pour pouvoir les ouvrir à l'improviste et juste en déguster un petit bout, ces "portoloins" qui ont le pouvoir de vous transporter immédiatement où vous voulez, ces indispensables en somme.

    Alors oui, il y a de la littérature jeunesse comme de la grande littérature, mais surtout, il y a des livres, et ces derniers n'ont pas de limite d'âge. Comme celui-ci :

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    "Anna Claramond ne se souvient plus de rien.
    Seul son nom lui est familier. La ville autour d'elle est blanche, belle, irréelle. Presque malgré elle, la jeune fille accepte les assiduités du beau Wynter, l'héritier d'une puissante dynastie. Bal de rêve et cadeaux somptueux se succèdent avec lui mais Anna sent que quelque chose ne va pas. Qu'elle est en danger. De plus, des indices et des messages sont semés à son attention par l'insaisissable Masque, un fugitif recherché.
    Qui est son ennemi, qui est son ami ? Anna sait qu'elle doit se souvenir. Mais que lui réservera sa mémoire une fois retrouvée ?"

    Truffé de références littéraires et culturelles, ce roman est un bonheur à dévorer. Composant un univers à la fois onirique et cependant réaliste, il plonge ses racines dans les contes de notre enfance, les lectures de notre adolescence et... les films des années suivantes ! On s'engage avec une jubilation sans pareille à la suite d'Anna, mystérieuse jeune fille qui évolue dans un univers non moins mystérieux.

    Le talent de Fabrice COLIN tient dans cette subtile manipulation de son héroïne et, partant, de son lecteur. Durant toute la lecture, on évolue dans un "rêve familier", ce "rêve étrange et pénétrant", avec ces mots, ces sensations, ces impressions de déjà vu, mais surtout cette fugitivité qui fait qu'on ne parvient pas à saisir vraiment ce que l'on croit entrevoir. Et quel bonheur, quelle jubilation enfin à lire les dernières lignes du livre qui font que le kaléidoscope entrevu prend forme, s'éclaire, se range, s'organise.

    Ouvrage étonnant, presque trop sérieux pour certains, car complexe, et pourtant d'une fluidité, d'une limpidité, d'une clarté exemplaires, je n'ai pas résisté à vous faire entrer dans le salon d'Anna, que madame LEPRINCE DE BEAUMONT n'aurait pas renié. Voici donc un :

    SOUPER SINGULIER

    Une chaise se tira seule ; Jacob s'assit avec un claquement de langue.

    - Mademoiselle souhaite-t-elle quelque chose en particulier pour le souper ? Quelque chose de reconstituant ?

    - Ce sera comme vous voulez, Jacob.

    Les livres de la bibliothèque excitaient ma curiosité. Des éditions complètes à couverture de cuir, soigneusement reliées. Poètes, philosophes, grands écrivains. Je me souvenais.

    - Une soupe d'étrilles à la mousse orangée pourrait convenir en entrée, suggéra Jacob qui réfléchissait à voix haute. Suivie d'une demi-poularde truffée. Et nous serons jeudi demain : mademoiselle a besoin de douceur. Puis-je suggérer une tartelette de chocolat mi-amer et sa compote de griottes gelées ?

    Je pivotai.

    - Parfait, fis-je avec un sourire gourmand. Parfait, comme toujours.

    Peu après neuf heures, repue de soupe, de poularde et de gâteau au chocolat, je pris congé et montai dans ma chambre.

    Le souper avait été un moment singulier. je l'avais pris au salon en solitaire. Les plats étaient venus à moi. Les assiettes s'étaient posées, les couverts avec elles, et mon verre s'était rempli d'eau sans que mon majordome n'esquisse le moindre geste. Il m'avait fallu quelque temps pour me réhabituer mais c'était ainsi : Jacob était un télékinésiste - il n'avait besoin que de concentration.

    Fabrice COLIN, Bal de givre à New York, 2011.

    Un autre extrait ici.

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  • Yassa en pays guelwaar (F. DIOME)

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    Un roman à lire absolument :

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    "Arame et Bougna, mères, respectivement, de Lamine et Issa, deux émigrés clandestins. Elles ne comptaient plus leurs printemps, mais chacune était la sentinelle vouée et dévouée à la sauvegarde des siens, le pilier qui devait tenir la demeure sur les galeries creusées par l'absence. Mais comment
    dépeindre la peine d'une mère qui attend son enfant, sans jamais être certaine de le revoir ? Coumba et Daba, quant à elles, humaient leurs premières roses : jeunes, belles, elles rêvaient d'un destin autre que celui de leurs aînées du village. Assoiffées d'amour, d'avenir et de modernité, elles s'étaient lancées, sans réserve, sur une piste du bonheur devenue peu à peu leur chemin de croix.
    Mariées, respectivement à Issa et Lamine, l'Europe est leur plus grande rivale. Esseulées, elles peuvent rester fidèles à leur chambre vide ou succomber à la tentation. Mais la vie n'attend pas les absents, derrière les émigrés, les amours varient, les secrets de famille affleurent ; les petites et grandes trahisons vont alimenter la chronique sociale du village et déterminer la nature des retrouvailles. Le visage qu'on retrouve n'est pas forcément celui qu'on attendait."

    Parce que c'est un roman d'égal à égal. Un roman qui ne joue ni sur la corde misérabiliste de l'émigré clandestin qui part vers des cieux plus bleus, ni sur le cliché du pittoresque avec l'Afrique, sa chaleur humaine, ses boubous chatoyants.

    Parce que c'est un roman qui DIT les choses, sans fard, sans amertume, sans résignation non plus, avec lucidité et intelligence. "Chacune était la sentinelle vouée et dévouée à la sauvegarde des siens, le pilier qui tenait la demeure sur les galeries creusées par l'absence.(...) de toute façon, c'est toujours à la maman que les enfants réclament à manger. Féminisme ou pas, nourrir reste une astreinte imposée aux femmes."

    Parce qu'il est écrit dans une langue magnifique, charnelle, pleine d'images et de sensations, et qu'il déroule son fil à travers une chronologie qui n'en est plus une tant elle est distendue.

    Parce que c'est un roman sur l'amour, celui d'une mère pour son fils, d'une femme pour son époux, que tous ces amours s'écrivent au pluriel, qu'ils sont doublés, dédoublés, éparpillés en mille morceaux comme autant d'éclats de verre et de vies gâchées.

    Parce que c'est un roman qui pourrait être amer et résigné, mais qu'il transmet une telle foi dans l'humain qu'on le referme, le coeur serré mais néanmoins plein d'espoir. Ne pas se résigner, continuer, faire son devoir d'être vivant.

    Son déjeuner s'annonçait meilleur que d'ordinaire. Non seulement il lui restait quelques kilos de riz et de l'huile de l'Aïd-el-Kébir mais, la veille, elle avait rôti et conservé une bonne moitié de ses daurades. Comme elle avait des oignons et du citron en quantité, elle aurait la plaisir d'exprimer ses talents culinaires en préparant un savoureux yassa. Elle pourrait même, comme le veut la courtoisie locale, porter un bol bien garni à Issa, qui avait eu la gentillesse de lui offrir autant de poissons. Elle mit tout son coeur à l'ouvrage.

    Quand ses écolies rentrèrent, Arame savourait une petite pause bien méritée, sous le manguier. Elle plaisantait avec son petit-fils qui, la voyant inoccupée, s'était pressée de lui imposer un jeu d'awalé. Le repas était presque prêt. La marmite de riz blanc, préparé à la créole, n'était plus sur le feu, mais maintenue au chaud, sur des cendres chaudes, à côté du foyer à trois pierres. Seule la sauce mijotait encore sur les braises. Arame n'ignorait pas que la qualité d'un yassa dépend d'une bonne réduction de la sauce, qui doit être onctueuse, sans être trop épaisse ; fluide, sans être trop liquide. La fumée qui lui avait rougi les yeux ne l'avait pas empêchée de veiller à la minutie d'une telle performance gastronomique. A l'arrivée des enfants, remarquant leurs lèvres èches et leur ventre creux, elle se précipita dans la cuisine, mais un coup d'oeil suffit pour se décider à les faire patienter encore quelques minutes. Elle fit diversion pour juguler l'impatience de sa petite équipe :

    - Il fait très chaud, hein ? Allez tous prendre une petite douche, cela vous fera du bien. J'ai presque fini, j'aurai même servi à votre retour.

    Fatou DIOME, Celles qui attendent, 2010.

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  • La Solitude du Docteur March (G. BROOKS)

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    Étonnant roman que celui-ci :

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    "Couronné par le prix Pulitzer, un roman aussi puissant qu’élégant qui réinvente la destinée du célèbre père des Quatre Filles du docteur March. Des sphères intellectuelles vibrantes de la Nouvelle-Angleterre au Sud sensuel et violent de la guerre de Sécession, l’odyssée d’un idéaliste pris dans la tourmente de l’Histoire.

    Dans le Massachusetts, à Concord, un homme quitte femme et enfants pour s’engager auprès des nordistes. Un père aimant, mari fidèle et abolitionniste convaincu : le docteur March.

    Enrôlé comme aumônier, March va bientôt voir ses certitudes ébranlées par les atrocités commises sur le champ de bataille.

    Mais rien n’aurait pu le préparer à retrouver celle qu’il n’a jamais réussi à oublier : la belle et douce Grace, une esclave rencontrée vingt ans plus tôt…

    Entre attirance tragique et culpabilité dévorante, engagements humanistes et devoirs familiaux, lynchages publics et mise à sac de plantations, March va devoir affronter des épreuves qui le changeront à jamais. Seul face à lui-même, sur une terre où s’effacent les frontières entre le bien et le mal…"

    Bien sûr, c'est encore l'esprit tout empli des soeurs March, Meg, Beth, Amy et, surtout, Jo, que je me suis plongée dans ce livre. Le choc n'en a été que plus brutal. Comme si, tout à coup, mes yeux se dessillaient, que je laissais derrière moi les crinolines d'Autant en emporte le vent et ses "Mame Scarlett" pour entrer dans une réalité beaucoup plus brutale : celle du vieux Sud esclavagiste et d'une guerre fratricide.

    Car on est loin du romantisme avec ce roman : si l'histoire qu'a imaginée Geraldine BROOKS se glisse à merveille dans les interstices de celle de L. M. ALCOTT, car tout y est, depuis la ruine de la famille jusqu'à la maladie du père, c'est l'itinéraire d'un homme issu d'un milieu modeste, humaniste et humain, qui vient s'imposer et, à travers lui, l'histoire d'une nation pleine de déchirures.

    Geraldine BROOKS a su admirablement décrire les ambiguïtés, les indécisions, les modes de vie et de pensée, la difficulté de s'arracher à son passé pour aller de l'avant et, également, les nécessités de la rupture. "Nous avons eu notre content de Blancs pour commander notre existence ! répliquera Grace au docteur March lui proposant de travailler avec eux après la guerre, pas mal d'hommes de ma race sont meilleurs coursiers que vous ne le serez jamais. Et il ne manque pas de pasteurs nègres pour connaître le vrai langage de nos âmes. Un peuple libre doit apprendre à décider de son destin."

    La Solitude du Docteur March est un roman brutal, violent parfois, terrible souvent, mais qui ne saurait laisser indifférent. C'est une belle réussite.

    La jeune femme m'emmena sur le côté de la maison aux murs de pierre, franchit un portillon et pénétra dans un jardin potager au cordeau, où les élégantes pointes violettes des asperges se dressaient telles des sentinelles et où des fraisiers croulaient précocement sous leurs fruits verts. Ici, on se régalerait de fraises avant que le sol eût dégelé chez nous. Je la suivis, frappé par sa démarche : parfaitement droite, mais non moins souple.

    A la cuisine, les saines odeurs matinales des galettes de maïs grillées et d'un bon café parfumé me donnèrent des crampes d'estomac.

    "Qui nous as-tu amené, Grace ?" s'enquit la cuisinière, une femme aux hanches pleines, au visage plat luisant de sueur.

    Ma faim devait être criante, car d'autorité la cuisinière posa devant moi une écuelle de fer-blanc où s'empilaient des galettes, tout en me sermonnant sur les méchantes façons de mes congénères. Elle n'avait aucune indulgence pour ceux qui tentaient de la duper. Je hochais vigoureusement la tête en enfournant la nourriture.

    "Il n'y a aucune sorte de noix de muscade dans mes bagages, affirmai-je. Seulement un assortiment d'articles plaisants et utiles destinés au confort du corps et de l'esprit.

    - C'est vrai ? demanda-t-elle, les coins de sa grande bouche plissée vers le bas dans sa tentative outrée pour paraître menaçante. Alors vous avez intérêt à montrer vot' mercerie yankee à Annie, et vite, j'ai pas le temps de lambiner."

    Geraldine BROOKS, La Solitude du Docteur March, 2010.

     

    Lu dans la cadre de l'opération Masse critique - BABELIO

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  • La constellation de l'amour (M. PROVOST)

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    Drôle de pièce que ce :

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    "Chez Plomeur, à Quimper, on est boucher de père en fils. Dès sa puberté, en pleine guerre de 14, André, fils unique de Loïc et Fernande, développe un don très particulier, celui de faire « chanter la chair » – et pas n’importe laquelle : celle des femmes qui viennent faire la queue à la boucherie Plomeur, dans l’espoir de goûter au plaisir suprême. André assume gaiement et avec talent le devoir conjugal des absents partis au front. Mais l’armistice survient et les maris reviennent. Un matin, André trouve devant la boucherie un panier en osier avec à l’intérieur un bébé. Puis un deuxième, un troisième, un quatrième... sont déposés devant sa porte. Du jour au lendemain, voilà André père de sept enfants et poursuivi par un mari jaloux décidé à lui nuire! Afin de protéger la chair de sa chair pour qui il se découvre un amour infini, il décide de prendre la mer et de rallier les lointaines Amériques. En chemin, la remuante tribu échoue sur une île déserte…"

    Le court roman de Martin PROVOST est une fable poétique, gourmande et tendre, complètement originale. Il s'agit de s'abandonner à cette histoire à la fois réaliste (un père célibataire) et surréaliste (sept enfants venus en même temps comme autant de sept nains). Évocation sensuelle de la chair et des chairs, éloge de l'amour paternel, la lecture de Bifsteck se déguste, se savoure et repaît dans un sentiment de béatitude comblée.

    Ils s'emparèrent d'une vieille voile déchirée dans laquelle ils découpèrent un grand carré de toile de la taille d'un drapeau, et, tandis qu'ils énonçaient à voix haute les mots sacrés de leurs ancêtres, collet, carré, éclanche, escalope, filet, rognon, aile, pilon, quasi, rouelle, cervelle, gîte, joue, fagoue, queue, mou, fressure, noix, souris, épaule, à l'aide d'un bout de bois brûlé, ils tracèrent cette nouvelle représentation du ciel. Lorsqu'ils eurent terminé, ils entreprirent d'assombrir à l'encre de seiche tout ce qu'il restait d'espace vide dans cette voûte céleste. Puis ils suspendirent leur oeuvre à la poupe du bateau, pour que le vent la sèche.

    André s'éveilla quand le jour commençait à peine. Le sirocco apportait d'Afrique un air brûlant, chargé de sable.

    Il regarda tendrement ses petits endormis contre lui, se tenant fermement les uns aux autres par les mains et les pieds, et aperçut la voile peinte qui claquait à l'arrière du bateau, baignée par les premières lueurs de l'aube.

    A travers le tissu grossier badigeonné de noir, il reconnut le corps d'un homme, bras et jambes ouverts, tête haute, avec à l'emplacement du coeur, comme sept minuscules boutons-d'or, les étoiles que s'étaient attribuées les sept artistes en herbe.

    Martin PROVOST, Bifteck, 2010.

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  • "Le porno de la bouffe" (M. ALI)

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    Cela s'annonce comme un gros pavé appétissant :

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    "Après l'extraordinaire succès de Sept mers et treize rivières, Monica Ali nous plonge dans le melting-pot des cuisines d'un grand restaurant londonien. Profonde, douce-amère, une œuvre ambitieuse qui dépeint les désarrois d'une société attachée à ses traditions, confrontée à un monde nouveau qu'elle ne comprend pas. Chef des cuisines de l'hôtel Imperial, un palace plus vraiment à la hauteur de sa splendeur d'antan, Gabriel Lightfoot doit composer chaque jour avec une équipe cosmopolite et chahuteuse, une petite amie chanteuse qui se pose des questions sur leur relation et un père malade qui lui laisse des messages aussi laconiques que culpabilisants sur son répondeur. Une mort va faire voler en éclats son fragile équilibre : le corps d'un des plongeurs est retrouvé dans les sous-sols du restaurant. Une mort solitaire, anonyme, parmi ces travailleurs immigrés interchangeables. Soudain, Gabriel prend conscience que ses cuisines cachent bien des secrets : trafics en tous genres, prostitution, chantages, violence quotidienne... Surgit Lena, une fille de l'Est, mystérieusement liée à la mort du plongeur. Irrésistiblement attiré par cette femme en perdition, Gabriel va prendre une décision qui remettra en question tout ce en quoi il avait cru jusqu'ici..."

    Et finalement, même s'il se révèle parfois un peu lourd, le roman de Monica ALI est tout à fait intéressant. parce loin de s'en tenir aux descriptions des cuisines d'un grand hôtel, il va un peu plus loin et fouille au fond des placards pour y mettre à jour des choses pas très ragoûtantes. Population exploitée, dans cette Angleterre que l'on nous vante trop rapidement pour le "paradis" de ceux qui voudraient réussir vite, paradoxe d'une société qui n'a jamais autant parler (et montrer) de "bouffe" sans la faire ni  la connaître vraiment, on finit par s'attacher aux pas de ce Gabriel Lightfoot, quadragénaire écartelé entre ses rêves de gloire et ses racines qui sont sur le point de lâcher. Ainsi le montre cette discussion entre Gabriel net sa petite amie Charlie. Voici donc :

    LE PORNO DE LA BOUFFE

    - Tu m'as raconté que ta mère détestait cuisiner. C'est ce qui t'a motivé ? Tu voulais l'aider ?

    - Chez nous, je ne cuisinais presque jamais. Je n'avais pas le droit.

    - Alors c'est quoi, le point de départ ? insista-t-elle. Un repas fabuleux dans un restaurant, pendant les vacances ?

    - Quand je suis entré à 'Ecole hôtelière, je n'avais même jamais goûté d'herbes aromatiques. Pour moi, une tranche d'ananas sur du jambon, c'était le summum de la gastronomie.

    - Ah. Et ça ne l'est pas ? [...] Il y a bien quelque chose qui t'a poussé à emprunter cette voie, à devenir chef.

    - Le glamour, l'argent facile, les serveuses dociles...

    - Non, sérieux.

    - Sérieux ? Je n'en sais trop rien. A l'époque, il n'y avait pas tous ces chefs célèbres. Ca ne semblait pas un bon choix de carrière, pas vraiment, pas du tout, même. Pourtant, il y a quelque chose qui m'a toujours plu dans le fait de prendre un morceau d'animal mort, des herbes aromatiques, d'autres végétaux ou extraits, et de les modifier. De les transformer. C'est le processus qui m'intéresse. J'aime le processus, l'approche scientifique. Et puis, je ne te parle pas de l'aspect séduction, bien sûr. Un bon cuisinier est presque sûr de baiser.

    - Très drôle. T'es amusant, toi.

    - Oh, tu crais que je blague ?

    - C'est vrai que tout ça, c'est venu plus tard : les grands chefs dans les pages people des magazines, les programmes et même les chaînes de télé consacrées à la cuisine, les concours, les reportages -photo...
    - En même temps, on prenait le temps de cuisiner. Aujourd'hui, c'est le règne du micro-onde, des plats préparés et des repas livrés à domcile. On ne cuisine plus.

    - Non, les gens préfèrent regarder les émissions, acheter les livres et les revues. Il y en a de plus en plus, alors ils ont de plus en plus l''occasion de se rincer l'oeil, de prendre leur pied...

    - Le porno de la bouffe, observa Gabriel. Mouais. Et ces gens-là ne tiendraient pas un jour en cuisine. Dans une vraie cuisine, je veux dire. Pas cinq minutes.

    - Comment t'expliques ça ? Et qui fait la cuisine, dans un restaurant ? Les étrangers ? Ou est-ce qu'ils sont cantonnés à la plonge ?

    - Tu me parlais des magazines ? Eh bien ils te montrent aussi des belles tenues, non ? Et t'as vu comment sont habillés les gens dans la rue ?

    - Qui travaille en cuisine, alors ? insista-t-elle.

    Monica ALI, En Cuisine, 2010.

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  • Régime de pélerins (A. DE SAINT-ANDRE)

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    J'imagine que ce livre aura été l'incontournable de l'été pour tout ex ou futur pélerin de Compostelle:

     

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    "Alix de Saint-André a pris trois fois la route de Compostelle. La première fois, elle est partie de Saint-Jean-Pied-de-Port, sur le chemin français, avec un sac plein d'idées préconçues, qui se sont envolées une à une, au fil des étapes. La deuxième fois, elle a parcouru le " chemin anglais " depuis La Corogne, lors d'une année sainte mouvementée. L'ultime voyage fut le vrai voyage, celui que l'on doit faire en partant de chez soi. Des bords de Loire à Saint-Jacques-de-Compostelle, de paysages sublimes en banlieues sinistres, elle a rejoint le peuple des pèlerins qui se retrouvent sur le chemin, libérés de toute identité sociale, pour vivre à quatre kilomètres-heure une aventure humaine pleine de gaieté, d'amitié et de surprises. Sur ces marcheurs de tous pays et de toutes convictions, réunis moins par la foi que par les ampoules aux pieds, mais cheminant chacun dans sa quête secrète, Alix de Saint-André, en poursuivant la sienne, empreinte d'une gravité mélancolique, porte, comme à son habitude, un regard à la fois affectueux et espiègle."

    Nul besoin d'avoir péleriné ou fait tamponné sa crédenciale pour apprécier ce livre à la fois grave et joyeux. Alix de SAINT-ANDRE y parle de tout dans un joyeux fatras où religion, ampoules au pied et humanité se côtoient avec bonheur. On y marche beaucoup, mais on y mange (et boit) beaucoup aussi : car il faut tenir les mille cinq cents kilomètres du trajet !

    Le chemin nous fait vivre dans un monde parallèle. A la fois tout près des villes, et au milieu de nulle part. Un monde de petits sentiers et de hameaux qui festonne les grandes routes. Un monde de maisons d'hôtes et de gîtes ruraux, où évolue aussi une population parallèle, qui a le plaisir à être là où elle est. A vous montrer combien c'est beau chez elle. Et qu'il n'y a rien de meilleur que sa cuisine... Car si le chemin ne pousse pas au mysticisme, il ne passe pas davantage parl'ascèse, Dieu merci ! Jésus a commencé sa carrière miraculeuse en changeant l'eau en vin aux noces de cana. Et non seulement sa mère était là, mais c'est elle qui l'y a poussé... L'avantage parfois douloureux de redécouvrir la faim et la soif donne aussi l'occasion de se mettre à table à chaque fois avec grand appétit, et sans aucun souci de régime : un vrai miracle !

    [...] L'un des meilleurs repas que j'ai faits, c'était dans un ancien relais de poste, à Clairias. Un festin délicieux et copieux, aux plats innombrables achevés par de l'angélique, la douceur locale, et animé par l'hôte, originaire de Bordeaux mais acclimaté depuis trente ans aux histoires locales de pêche à l'ortolan et de chasse aux alouettes. Nous étionsd une bonne douzaine à table ; des gens de partout. Au matin, l'hôtesse, toute contente de tamponner ma crédentiale, m'offre le dîner. Je suis la seule à ne pas payer. [...] Serait-ce un reste des temps révolus où l'on offrait l'hospitalité aux pélerins, comme mon père le faisait avec les chemineaux ? Parce qu'on voyait en eux l'image du Christ ? Ce n'est pas si net : c'est le secret des gens. Faire le bien leur fait du bien.

    Alix de Saint-André, En avant, route ! 2010.

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