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émigration

  • La France avait toujours été composée d'étranger (...)et notre géographie est la seule coupable (P. RAMBAUD)

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    La France avait toujours été composée d'étrangers. Nous vivons à l'extrémité occidentale du gigantesque continent eurasien et notre géographie est la seule coupable : si les envahisseurs s'arrêtent chez nous c'est qu'au-delà il y a la mer. Or, les grands migrateurs germaniques, slaves ou turco-mongols du Vème siècle n'étaient pas des marins mais des cavaliers nomades ; ils traînaient après eux leurs familles, leurs sorciers, leurs chariots malcommodes, leurs troupeaux de boeufs et de chevaux. Ils s'installèrent dans nos provinces pour s'y enraciner. Alamans de Strasbourg, Wisigoths de Narbonne, Francs de Lille et Burgondes savoyards, voilà nos identités prises à leur source, mais ce fut par la culture qu'elles se fondirent aux dimensions du continent pour nous unir. Ouvrez un atlas historique et cherchez les cartes politiques. Elles ratatinent nos nations en puzzle. Étudiez plutôt ces cartes qui nous parlent de la diffusion des arts et des marchandises ; l'art roman s'étala de Winchester à Cefalu, il courut de Trondheim au nord à Salamanque au sud, Bordeaux à l'ouest, Zsambek à l'est. Il en fut de même pour l'expansion du gothique, et le rayonnement du baroque rassembla plus tard les villes devenues nos capitales. Quant aux foires médiévales, elles se tinrent en même temps à Novgorod, Francfort ou Troyes. Au siècle de Voltaire l'Europe fut française et la France cosmopolite. L'Ecossais Law devint ministre à Paris, Beaumarchais allait imprimer à Amsterdam, des livres de Diderot parvinrent en Amérique du Sud dans le double-fond d'un tonneau de harengs. Voici des Auvergnats en Castille, des Savoyards en Autriche et des Allemands sidérurgistes en Angleterre. En Suède, des Wallons travaillaient le fer. Mozart découvrit la musique italienne à Londres. Une colonie d'Irlandais s'implanta à Cadix et quarante mille Allemands en Ukraine...

    Patrick RAMBAUD, Quatrième Chronique du règne du Nicolas 1er, 2011.

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  • Yassa en pays guelwaar (F. DIOME)

    Imprimer Catégories : Littérature gourmande

    Un roman à lire absolument :

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    "Arame et Bougna, mères, respectivement, de Lamine et Issa, deux émigrés clandestins. Elles ne comptaient plus leurs printemps, mais chacune était la sentinelle vouée et dévouée à la sauvegarde des siens, le pilier qui devait tenir la demeure sur les galeries creusées par l'absence. Mais comment
    dépeindre la peine d'une mère qui attend son enfant, sans jamais être certaine de le revoir ? Coumba et Daba, quant à elles, humaient leurs premières roses : jeunes, belles, elles rêvaient d'un destin autre que celui de leurs aînées du village. Assoiffées d'amour, d'avenir et de modernité, elles s'étaient lancées, sans réserve, sur une piste du bonheur devenue peu à peu leur chemin de croix.
    Mariées, respectivement à Issa et Lamine, l'Europe est leur plus grande rivale. Esseulées, elles peuvent rester fidèles à leur chambre vide ou succomber à la tentation. Mais la vie n'attend pas les absents, derrière les émigrés, les amours varient, les secrets de famille affleurent ; les petites et grandes trahisons vont alimenter la chronique sociale du village et déterminer la nature des retrouvailles. Le visage qu'on retrouve n'est pas forcément celui qu'on attendait."

    Parce que c'est un roman d'égal à égal. Un roman qui ne joue ni sur la corde misérabiliste de l'émigré clandestin qui part vers des cieux plus bleus, ni sur le cliché du pittoresque avec l'Afrique, sa chaleur humaine, ses boubous chatoyants.

    Parce que c'est un roman qui DIT les choses, sans fard, sans amertume, sans résignation non plus, avec lucidité et intelligence. "Chacune était la sentinelle vouée et dévouée à la sauvegarde des siens, le pilier qui tenait la demeure sur les galeries creusées par l'absence.(...) de toute façon, c'est toujours à la maman que les enfants réclament à manger. Féminisme ou pas, nourrir reste une astreinte imposée aux femmes."

    Parce qu'il est écrit dans une langue magnifique, charnelle, pleine d'images et de sensations, et qu'il déroule son fil à travers une chronologie qui n'en est plus une tant elle est distendue.

    Parce que c'est un roman sur l'amour, celui d'une mère pour son fils, d'une femme pour son époux, que tous ces amours s'écrivent au pluriel, qu'ils sont doublés, dédoublés, éparpillés en mille morceaux comme autant d'éclats de verre et de vies gâchées.

    Parce que c'est un roman qui pourrait être amer et résigné, mais qu'il transmet une telle foi dans l'humain qu'on le referme, le coeur serré mais néanmoins plein d'espoir. Ne pas se résigner, continuer, faire son devoir d'être vivant.

    Son déjeuner s'annonçait meilleur que d'ordinaire. Non seulement il lui restait quelques kilos de riz et de l'huile de l'Aïd-el-Kébir mais, la veille, elle avait rôti et conservé une bonne moitié de ses daurades. Comme elle avait des oignons et du citron en quantité, elle aurait la plaisir d'exprimer ses talents culinaires en préparant un savoureux yassa. Elle pourrait même, comme le veut la courtoisie locale, porter un bol bien garni à Issa, qui avait eu la gentillesse de lui offrir autant de poissons. Elle mit tout son coeur à l'ouvrage.

    Quand ses écolies rentrèrent, Arame savourait une petite pause bien méritée, sous le manguier. Elle plaisantait avec son petit-fils qui, la voyant inoccupée, s'était pressée de lui imposer un jeu d'awalé. Le repas était presque prêt. La marmite de riz blanc, préparé à la créole, n'était plus sur le feu, mais maintenue au chaud, sur des cendres chaudes, à côté du foyer à trois pierres. Seule la sauce mijotait encore sur les braises. Arame n'ignorait pas que la qualité d'un yassa dépend d'une bonne réduction de la sauce, qui doit être onctueuse, sans être trop épaisse ; fluide, sans être trop liquide. La fumée qui lui avait rougi les yeux ne l'avait pas empêchée de veiller à la minutie d'une telle performance gastronomique. A l'arrivée des enfants, remarquant leurs lèvres èches et leur ventre creux, elle se précipita dans la cuisine, mais un coup d'oeil suffit pour se décider à les faire patienter encore quelques minutes. Elle fit diversion pour juguler l'impatience de sa petite équipe :

    - Il fait très chaud, hein ? Allez tous prendre une petite douche, cela vous fera du bien. J'ai presque fini, j'aurai même servi à votre retour.

    Fatou DIOME, Celles qui attendent, 2010.

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