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policier

  • La story de Bienvenue dans la jungle (P. SARRIO)

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    Je vous en parlais dans mon précédent message, en voici un peu plus :

    Bienvenue dans la jungle

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  • Bienvenue dans la jungle

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    Une fois n'est pas coutume, je vais me la jouer autopromotionnelle. Parce qu'il n'y a pas de raison. A toujours parler des livres des autres, pourquoi ne parlerais-je pas de moi ?

    Car à écrire, écrire sur ce blog, sur d'autres, j'avoue que j'ai retrouvé le désir d'écrire plus longuement. Et comme on ne se refait pas, cela a donné un roman "policier", puisqu'il y a crime, enquête, enquêteur, et résolution de l'énigme , mais aussi école, puisque bon, quand on est prof, on le reste toujours un peu. Et puis que j'avais en tête cette phrase de Stephen King : "L’essentiel, pour tout écrivain, est d’écrire sur ce qu’il connaît."

    J'ai donc écrit sur ce que je connaissais. Avec ce que je connaissais le mieux. Je vous livre ici le produit de ce labeur qui, il faut le reconnaître, m'a surtout beaucoup amusée ! Vous y retrouverez pêle-mêle tout ce que j'aime : musique, cinéma, trucs ringards, références très sérieuses (et très littéraires), enfin voilà !

    Ça s'appelle Bienvenue dans la jungle (à cause des Guns N'Roses), il y a même une playlist des titres :

    Je vous propose donc de découvrir Bienvenue dans la jungle sur Amazon et j'attends tous vos commentaires !

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  • La vocation d'une animatrice d'émission culinaire (S. LOUBIERE)

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    Anne Darney exerce un métier de rêve : animatrice de fiches cuisine. Elle est le cordon-bleu toujours bien maquillé, bien coiffé, bien habillé, qui réalise devant les caméras de télévision des recettes plus alléchantes les unes que les autres. Univers féerique. Pour une réalité quotidienne qui l'est bien moins. Anne a quarante ans, vit seule, vient d'assister au mariage de son ex-mari et sa prochaine paternité, elle qui ne peut avoir d'enfant, et vit avec des monceaux de culpabilité et de rêves avortés.

    Dans l'oeil noir du corbeau.jpg

    "Paris. Pour fêter ses 40 ans, Anne Darney s'apprête à prendre l'avion à la recherche de son amour de jeunesse, Daniel Harlig, histoire de s'affranchir d'un souvenir qui l'obsède et aura contribué à l'échec de toutes ses relations amoureuses. Elle a décidé, plus de vingt ans après, de retrouver ce garçon américain qui lui avait fait la promesse, un jour, de venir la chercher. Mais ce qu'Anne va trouver à San Francisco ne ressemble en rien à une bluette... Pour connaître toute la vérité sur ce qui lui apparaît vite comme " l'affaire Daniel Harlig ", il lui faudra convaincre un inspecteur de police fraîchement retraité, Bill Rainbow, grand amateur de gastronomie dont la corpulence n'est pas sans évoquer celle d'Orson Welles, de reprendre du service. En échange de la confection par Anne, cuisinière émérite, d'un repas de Noël digne du Festin de Babette, Bill va accepter de reprendre cette enquête qui le mènera à une découverte stupéfiante. Ce roman policier psychologique et charnel, truffé d'hommages à Alfred Hitchcock, où les secrets intimes enfouis dans le passé se mêlent aux appétits les plus crus, est ancré totalement dans l'époque, l'action se situant essentiellement aux États-Unis en décembre 2008, en pleine récession mondiale, un mois après l'élection de Barack Obama. En bonus, la présence de fiches cuisine à la fin du roman, reprenant les plats qui composent le festin élaboré par les deux protagonistes du livre (recettes originales du chef Eric Léautey, auteur de nombreux ouvrages sur la cuisine et chef de la chaîne Cuisine.TV)."

    Idée originale que d'avoir uni littérature policière et gastronomie. Manière aussi de "rompre" les clichés en montrant que les États-Unis ne sont pas uniquement le pays du fast food, mais que de véritables gourmets s'y nichent, en témoigne le shopping gourmand d'Anne et Bill à travers San Francisco. L'intrigue policière est habilement menée, allant crescendo vers un final aussi inattendu que terrifiant.

    J'avoue avoir un peu langui dans la première partie, avec les itinéraires parallèles des deux personnages principaux, mais une fois que la "jonction" est faite, l'histoire s'emballe et est menée tambour battant, sans répit.

    En choisissant de mettre en scène des personnages aux lourds passés dont elle ne nous livre que des bribes au fil du texte, Sophie LOUBIERE sait judicieusement glisser fausses pistes et vérités vraies, dans un jeu de massacre dont on ne sort pas indemne. Et faisant de ses héros des gastronomes, elle leur donne corps et vie, dans toute leur chair.

    En témoigne ce passage sur la vocation d'Anne:

    Anne détient donc quelque chose de précieux.

    Elle recèle son propre trésor.

    Et cet amour de la cuisine ne tient qu'à elle.

    Il remonte à loin.

    Aux recettes qu'elle recopiait dans le vieux manuel de sa grand-mère aux gravures anciennes et aux calligraphies soignées, formant ses premières lettres, l'eau à la bouche. Aux soupes de cailloux improvisées dans un jardin, accroupie au-dessus d'un trou creusé dans la terre, aux salades de bonbons dégustées entre amies au cours de dînettes, au jeu de marchande offert par sa maman pour ses six ans, aux fruits et légumes en plastique coloré, aux charcuteries assorties dans lesquelles Anne plantait ses dents pour mieux en imaginer la saveur. A ces heures passées à faire son marché imaginaire, seul ou avec une copine - Valérie, toujours elle, immuable et fidèle. Les cours de travaux manuels au collège ont conforté le cordon-bleu en jupette dans ses appétences, sa grand-mère s'étant préalablement chargée de lui enseigner les bases de la cuisine traditionnelle lorraine. Tourner le cuillère à gâteau jusqu'à ce que se forme le ruban d'oeuf battu incrusté de sucre la mettait en liesse. Aucune dispute parentale ne pouvait briser l'enchantement d'un gâteau de Savoie cuisant au four dont la croûte dorée ourlait les bords du moule. Pas un claquement de porte ne pouvait ébranler la main tartinant de confiture de fraises un disque de génoise encore tiède. Et la dispute, toujours, de s'achever dans la cuisine, autour du riz au lait d'Anne chérie, cuit avec sa gousse de vanille.

    Jusqu'à l'âge de treize ans, Anne aura nourri le couple de ses parents pour le meilleur. Et le pire était venu. Une maman qui s'alimente en avalant de la nourriture liquide par un tuyau relié à son estomac aurait découragé les élans de plus d'un Loiseau. Son ex-mari n'étant guère porté sur la gastronomie, Anne s'était vite lassée de cuire des pommes de terre, saucisses et entrecôtes, renonçant à l'exécution de la sauce salade. Elle remettait les mains à la pâte à la saison des champignons dont elle faisait omelettes, gratins ou conserves et à celle de la cueillette des mirabelles qui terminaient en sorbet, tarte, confiture ou condiment, macérées dans le vinaigre. L'occasion de replonger les doigts dans l'appareil devant une caméra avait été plus que salvateur : la justification de son entêtement à ne pas mettre sa tête dans le four après avoir ouvert le robinet du gaz.

    Sophie LOUBIERE, Dans l'oeil noir du corbeau, 2009.

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  • De la virginité des olives et autres pâtés de crabe(E. GEORGE)

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    Peu d'auteurs me donnent envie de foncer à la librairie dès la sortie de leur dernier ouvrage. La plupart du temps, l'offre littéraire est tellement large et variée que je trouve toujours de quoi attendre la sortie en poche. Sauf pour Elizabeth GEORGE. Sitôt paru, il me le FAUT ! Ou presque, si l'on admet que Le Rouge du péché est sorti en octobre et que je ne l'ai lu qu'en décembre, Noël oblige...

    J'avais déjà eu l'occasion de parler d'elle dans cette rubrique de "Littérature gourmande" : j'avais alors évoqué le breakfast chez Thomas Lynley, dans son premier roman, Enquête dans le brouillard. Un choc, une révélation. Depuis, je n'ai eu de cesse de suivre ses personnages, à la manière de vieux amis dont on se demande "ce qu'ils deviennent". Or la dernière fois que je les avais laissés, ils étaient bien mal en point. Bien sûr, je me doutais que leur vie littéraire continuerait, à la manière de la vraie vie, malgré tout, enverset contre tout, mais j'étais aussi impatiente de le savoir que je l'appréhendais. Je corrige ici ce que j'ai dit précédemment : je ne lis pas TOUS les Elizabeth GEORGE car j'ai fait l'impasse sur le précédent, Anatomie d'un crime, roman social et non plus policier même s'il complétait tous les autres...

    Le Rouge du péché.jpg

    "Inconsolable trois mois après le meurtre de son épouse, Thomas Lynley erre le long des côtes de Cornouailles, loin de l'absurdité du monde. Lorsqu'il découvre le cadavre d'un jeune grimpeur au pied des falaises, son retour à la réalité est brutal. Chargée de l'enquête, l'inspecteur Bea Hannaford renonce vite à considérer comme suspect le vagabond aux vêtements crasseux qui présente des papiers au nom de Thomas Lynley.

    En manque d'effectifs, elle le met à contribution : il est certes un témoin, mais, une fois son identité vérifiée, elle ne doute pas que son expérience de commissaire au Yard pourra s'avérer utile. Dans ce pays sauvage de falaises et de mer démontée, Lynley participe à contrecœur aux investigations mais reprend pied peu à peu. Il retrouve son éternelle partenaire, Barbara Havers, que Londres a dépêchée sur place autant pour collaborer à l'enquête que pour mener à bien une mission délicate : récupérer Lynley.

    Après le succès d'Anatomie d'un crime, son grand roman social, Elizabeth George renoue avec son art consommé du suspense et tisse une intrigue d'une incroyable densité, multipliant les fausses pistes et les faux coupables. Un roman magistral qui, après trois ans d'absence, marque le retour tant attendu de Thomas Lynley et Barbara Havers."

    Le rendez-vous a été à la hauteur de mes espérances : j'y ai retrouvé tout ce que j'aimais dans Elizabeth GEORGE, tout ce qui faisait que c'était davantage qu'un simple roman policier. La sensibilité, la délicatesse, la pudeur, le retenue et le non-dit dans l'expression des sentiments, associés à une intrigue menée encore une fois avec subtilité et brio, ce fut un vrai bonheur ! Alors, en amuse-bouche, je vous propose un extrait qui se contentera de vous mettre l'eau à la bouche, sans rien dévoiler de l'histoire... Voici donc :

    DE LA VIRGINITE DES OLIVES ET AUTRES PÂTES DE CRABE

    La cuisine donnait sur un petit jardin avec un carré de pelouse bordé d'impeccables parterres de fleurs, au centre duquel poussait un arbre unique.

    Un désordre impressionnant règnait dans la pièce. Le dessus de la cuisinière était constellé d'huile brûlante, un égouttoir à vaisselle disparaissait sous les bols, les moules, les cuillères en bois, une boîte d'oeufs et une cafetière à pression. Niamh Triglia s'approcha de la cuisinière et retourna les pâtés au crabe, provoquant de nouvelles éclaboussures.

    - La difficulté, expliqua-t-elle, c'est d'arriver à faire dorer la chapelure sans trop imprégner les pâtés. Sinon, vous avez l'impression de manger des frites mal cuites. Vous faites la cuisine, monsieur... C'était commissaire, je crois ?

    - Oui, dit-il. C'est bien commissaire. Pour la cuisine, ce n'est pas mon point fort.

    - C'est ma passion, avoua-t-elle. Je n'avais pas le temps de m'y adonner quand j'enseignais, aussi, dès que j'ai pris ma retraite, je m'y suis mise avec enthousiasme. Cours de cuisine au foyer municipal, émissions à la télé,  ce genre de choses. Le problème, c'est qu'après il faut bien manger tout ça.

    - Et vous n'aimez pas ça ?

    - Au contraire.

    Elle indiqua ses formes, que camouflait son tablier.

    - J'essaie d'adapter les recettes pour une personne, mais les maths n'ont jamais été mon fort, et la plupart du temps, je prépare à manger au moins pour quatre.

    - Vous vivez seule ?

    - Mmm. Oui.

    Elle utilisa le coin de sa palette pour soulever un des pâtés et déterminer son degré de cuisson.

    - Formidable, murmura-t-elle.

    Dans un placard, elle prit une assiette, qu'elle recouvrit de plusieurs couches de papier absorbant, et attrapa un ravier dans le réfrigérateur.

    - Aïoli, dit-elle en désignant le mélange. Poivron rouge, ail, citron, et ainsi de suite. Bien doser les saveurs, tel est le secret d'un bon aïoli. Ça et l'huile d'olive, naturellement. Une huile première pression à froid est indispensable.

    - Première pression à froid ? répéta Lynley, interloqué.

    - C'est de l'huile d'olive extravierge ; la plus vierge qu'on puisse trouver, si toutefois il existe des degrés dans la virginité. A vrai dire, je n'ai jamais su ce que signifiait le terme extravierge. Est-ce que les olives sont vierges ? Est-ce qu'elle sont pressées par des vierges ?

    Elle porta le bol d'aïoli jusqu'à la table et retourna vers la cuisinière, où elle entreprit de déposer les pâtés au crabe sur l'assiette tapissée d'essuie-tout. Elle les recouvrit ensuite de papier absorbant, pressant délicatement pour retirer le plus d'huile possible. Du four, elle sortit trois assiettes supplémentaires, apportant à Lynley la preuve qu'elle était incapable de cuisiner pour une seule personne. Apparemment, elle avait déjà fait cuire plus d'une douzaine de pâtés.

    - Il n'est pas indispensable de prendre du crabe frais, précisa-t-elle. On peut très bien utiliser du crabe en boîte. Dans un plat, on ne fait pas la différence. D'un autre côté, pour une salade, mieux vaut prendre du crabe frais. Mais vous devez vous assurer qu'il est frais frais. Péché du jour, je veux dire.

    Elle disposa les assiettes sur la table et dit à Lynley de s'asseoir. Elle espérait, dit-elle, qu'il se laisserait tenter. Autrement, elle craignait de devoir tout manger, ses voisins n'étant pas aussi sensibles à ses talents culinaires qu'elle l'aurait voulu.

    Elizabeth GEORGE, Le Rouge du péché, 2008.

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  • Canard flambé au jus et aux groseilles (J-C. DUCHON-DORIS)

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    Il y a des livres comme ça, où choisir un passage qui parlera de nourriture est un véritable dilemme ! Pourquoi ? Mais parce que le roman de Jean-Christophe DUCHON-DORIS en regorge !

    Cuisinier Talleyrand.jpg

    "En cet automne 1814, toute l'Europe s'est donné rendez-vous à Vienne. A l'instigation des vainqueurs de Napoléon, un grand congrès va s'ouvrir pour régler la succession de l'Empire et la capitale autrichienne grouille de diplomates, d'espions, de courtisanes et de filous de tous poils aux intérêts les plus divers. Inquiète de cette effervescence, la police se serait bien passée d'un meurtre particulièrement sordide qui éveille les craintes d'un ultime complot napoléonien. Aussi, l'inspecteur Vladeski va-t-il devoir mener son enquête au sein même de la délégation française, dirigée par le très habile Talleyrand et son plus précieux atout pour séduire les congressistes, Antonin Carême, le meilleur cuisinier du monde..."

    J'ai toujours eu un faible pour les policiers historiques et la collection 10/18 regorge de véritables pépites dans le genre... Ici nous sommes transportés à Vienne, en 1814, lors du Congrès de Vienne qui s'occupait de régler l'après-Napoléon. De ce Congrès, je n'avais qu'une citation en tête, souvenir de mes cours de Seconde : "le Congrès ne marche pas, il danse" - je crois que le mot était de Talleyrand, d'ailleurs. Et le roman de DUCHON-DORIS restitue parfaitement cette ambiance très XVIIIème siècle, ce retour nostalgique à l'absolutisme perdu, ces fêtes fastueuses, ces aristocrates décadents... Il est autant question de politique que de festins dans cet ouvrage et c'est là qu'intervient le fameux Carême, cuisinier de Talleyrand, et pour ce dernier "l'une des rares armes qu'[il] possède encore pour tenir le rang de la France et réfréner les appétits des puissances étrangères".

    J'ai trouvé ce roman absolument passionnant, non point tant pour son intrigue, retorse à souhait, que pour son analyse de la société européenne de ce début du XIXème. Tout y est : les aristocrates qui cherchent à reconquérir leur lustre passé, le peuple qui s'est fait une place et n'entend pas se la laisser reprendre, les affaires et les manigances politiques, l'argent et le pouvoir, c'est à la fois historique et d'une redoutable actualité.

    Et tout cela se déroule au milieu de banquets somptueux, dont les menus sont énoncés en tête de chapitres, dans un ensemble plus appétissant à chaque page. A condition de goûter la gastronomie un peu riche, bien sûr...

    Je vous le disais, il me fut très difficile de choisir un passage précis : beaucoup me tentaient. J'ai fini par arrêter mon choix sur un extrait qui concilie à la fois l'aspect policier du roman et celui de gourmet. Il met en scène les deux personnages principaux : Antonin Carême, le cuisinier génial, et Janez Vladeski, le beau policier. Voici donc le :

    CANARD FLAMBE AU JUS ET AUX GROSEILLES

    Les cuisines étaient de nouveau plongées dans un étouffement chaud de chambrées, une moiteur d'écurie. Les reflets sanglants des fours allumés dansaient le long des murs, jusqu'aux poutres du plafond. Les bruits prenaient une sonorité rauque, sans un écho, dans l'air saturé de fumées. Des haleines grêles sifflaient, accompagnées du remuement ininterrompu des ustensiles.

    Carême avait découpé menu les cous, les ailerons et les pattes des canards pour préparer le jus. Les abattis avaient pris une belle couleur noisette. Il avait jeté la graisse, ajouté un petit pain de sucre coupé en cinq ou six morceaux, remis l'ensemble sur le feu. Il était allé prendre le vinaigre, préparé à la juste mesure, un cinquième de la bouteille. La couleur était devenue caramel. Vite, il était allé poser la casserole sur la cendre chaude du potager, avait versé le vinaigre. Une vapeur dense, suffocante, s'était élevée. Il avait ajouté un bouquet garni, des aromates, un peu de gros sel, le tout recouvert d'eau à niveau. Il avait laissé cuire une bonne heure à gros bouillons.

    - La science du cuisinier consiste aujourd'hui à décomposer, à faire digérer et à quintessencier les viandes, à en tirer les sucs nourrissants et légers, à les confondre de façon à ce que rien ne domine et que tout se fasse sentir, enfin à leur donner cette union que les peintres donnent aux couleurs.

    [...] Le ton même de sa voix - élevé, oratoire, sentencieux, scholastique -, la musique même de ses phrases dérangeaient et Janez comprenait que trop bien l'agacement que suscitait le jeune chef auprès de ses collègues.

    - Le prince vient de me quitter, dit-il encore. Ses connaissances en fait de cuisine sont de tout premier ordre. Tous les matins, nous nous entretenons pour élaborer le repas du soir dont la composition ne peut que varier selon qu'il s'agit d'un souper intime à la mode du siècle passé, d'un dîner officiel, d'un grand bal ou d'une réception commémorative. Parfois, le but du prince est d'honorer, d'autres fois de convaincre, de séduire, d'amadouer ou d'impressionner le visiteur. Je dois m'adapter.

    [...] Un écuyer lui avait préparé la bouteille pour le flambage. Les couteaux avaient été disposés à côté de la planche à découper. D'un geste théâtral, Carême doucha deux canards à la peau croustillante, deux volailles sacrifiées à quatre semaines. La flamme alla lécher les opalines jaunes du lustre.

    - N'avez-vous rien d'autre à me confier ? Rien d'autre que je n'apprendrais tôt ou tard et qu'il serait regrettable que vous ne m'ayez pas dit ?

    Carême jeta un coup d'oeil rapide à Janez. De ses mains expertes, il découpait les poitrines épaisses en fines aiguillettes. Les tranches rosées, perlées de jus, cernées de croûte d'or, s'alignaient dans le plat bouillant que tenait le commis. [...]

    - Vous m'accusez ?

    Ils se toisèrent un court instant, Janez avec son regard clair, si clair qu'on eût dit que les flammes bleues de tout à l'heure continuaient à y flamber et Carême, l'oeil noir, tranchant, aiguisé comme les longs couteaux qu'il brandissait.

    - Et pourquoi aurais-je fait cela ?

    A cette question, Janez n'avait pas de réponse.

    - L'heure est venue du coup de collier, monsieur, ajouta le jeune chef d'un ton glacé. Je vais vous demander de nous laisser travailler.

    Il bouscula légèrement le policier pour s'approcher de la poêle où le beurre que le commis avait déposé commençait à grésiller. Janez n'insista pas. Il fit un pas de côté. Carême précipita dans le récipient un grand bol de groseilles qui, au contact de la graisse chaude, se foncèrent rapidement. Il ajouta le zeste et le jus d'un citron, ce qui provoqua un fort crépitement, puis retira l'ensemble du feu. Le bouillon d'abattis avait bien réduit. Il le passa à l'étamine. Puis, d'un mouvement sûr, il nappa les canards du mélange de jus et de la sauce aux groseilles.

    - Et ce sera servi avec... ? demanda-t-il au sommelier avec le ton d'un maître interrogeant un élève.

    - Du givry fruité, répondit le vieil homme d'un ton sec, le bourgogne préféré d'Henri IV.

    Jean-Christophe DUCHON-DORIS, Le Cuisinier de Talleyrand, 2006

    Et si vous désirez en savoir plus sur ce Congrès de Vienne, vous pouvez toujours suivre ce lien.

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  • Garden of love (M. MALTE)

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    Que voilà donc un roman troublant :

    Garden_of_love

    Sa couverture énigmatique d'abord avec ce noir qui envahit tout et semble se délaver en arrivant en haut de la page, ce triangle blanc qui annonce un auteur dont on ne parvient à déterminer la nationalité, un titre en anglais, bref, tout concourt au mystère.

    "Troublant, diabolique même, ce manuscrit qu'Alexandre Astrid reçoit par la poste. Le titre: Garden of love. L'auteur : anonyme. Une provocation pour ce flic sur la touche, à la dérive, mais pas idiot pour autant. Loin de là. Il comprend vite qu'il s'agit de sa propre vie. Dévoyée. Dévoilée. Détruite. Voilà soudain Astrid renvoyé à ses plus douloureux et violents vertiges. Car l'auteur du texte brouille les pistes. Avec tant de perversion que s'ouvre un subtil jeu de manipulations, de peurs et de pleurs. Comme dans un impitoyable palais des glaces où s'affronteraient passé et présent, raison et folie, Garden of love est un roman palpitant, virtuose, peuplé de voix intimes qui susurrent à l'oreille confidences et mensonges, tentations et remords. Et tendent un redoutable piège. Avec un fier aplomb."

    S'ensuit une histoire labyrinthique, pleine de chausse-trappes, où l'on ne sait plus où est le roman, où est la réalité... sachant que les deux sont romans ! Ce livre m'a troublée, désorientée, intriguée : j'ai eu envie d'en savoir plus sur ces personnages étranges, ces deux hommes et cette femme d'une part, héros d'un roman qui n'est autre que le roman de la vie du héros, et sur la complexité du personnage d'Alexandre Astrid d'autre part. En même temps, je l'avoue, le côté emberlificoté de la narration, ce glissement permanent d'un monde à l'autre m'a un peu fatiguée... Un roman intéressant donc, à lire sans doute, mais un exercice de style plus qu'un policier palpitant.

    J'aurais dû me douter qu'il y avait un putain de fantôme pour m'envoyer ses voeux.

    Il y avait longtemps que je n'attendais plus de lettres de personne. Même à cette période de l'année. J'avais coupé tous les ponts et je ne voyais pas qui se serait donné la peine de ramer pour venir jusqu'à moi.

    Tout ça pour dire que je jetais un oeil à ma boîte environ tous les trente-six du mois, juste pour savoir combien je devais aux uns et aux autres. C'est presque un hasard si j'ai découvert le paquet. C'aurait pu se faire encore plus tard.

    C'était une enveloppe en papier kraft, assez épaisse. Mon nom et mon adresse libellés à la main : M. Alexandre Astrid, 106 chemin des Carmes... Pas de nom d'expéditeur. [...]

    J'ai fini par me décider. J'ai pris un couteau de cuisine et je lui ai ouvert le ventre d'un coup sec.

    L'enveloppe contenait une pile de feuillets imprimés. Papier machine, format A4. Le texte était tapé sur ordinateur, les pages non reliées entre elles et numérotées. L'ensemble se présentait comme un roman ou un récit intitulé :

    So I turn'd to the Garden of Love

    That so many sweet flowers bore...

    Si on peut appeler ça un titre. L'auteur avait omis de signer son oeuvre.

    J'ai regardé l'heure, par réflexe. Je n'avais rien de plus urgent à faire. Je me suis assis et j'ai commencé à lire.

    Cent cinquante-trois pages en tout. Ça m'a pris la matinée. Je m'arrêtais de temps en temps pour une pause-café. Quand j'étais au bord de l'implosion. Certains passages m'ont dévasté. Des coups à bout portant. Impact garanti - espèce d'enfoiré ! - J'ai serré les dents. J'ai vidé la cafetière. Je suis allé jusqu'au bout. Après la dernière page, je me suis affalé contre le dossier.

    "Espèce d'enfoiré !" j'ai craché pour la quinzième fois.

    Marcus MALTE, Garden of Love, 2008, éditions Zulma.

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  • Les Faiseurs d'anges (K. NELSCOTT)

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    C'est d'abord un titre un peu dérangeant : Les Faiseurs d'ange et une couverture qui interpelle, avec ses chaussons d'enfant.

    Les_Faiseurs_d_ange

    C'est ensuite un univers sur lequel la littérature policière contemporaine n'a pas tant écrit que cela : l'avortement dans la société américaine de la fin des années Soixante, et la ségrégation toujours larvée. Un épisode de la série Cold Case, diffusé cet hiver traitait du même sujet, avec une bande-son absolument fantastique (Marvin GAYE, PROCOL HARUM ou encore James BROWN).

    L'histoire ? "Smokey Dalton, un très bel homme qui fait tourner la tête de toutes ces dames, a fui Memphis pour protéger son fils adoptif, Jimmy, unique témoin à avoir réellement vu l'assassin de Martin Luther King, et recherché depuis par le FBI. Sous une fausse identité, Smokey vit maintenant à Chicago où il exerce divers petits métiers. Un soir, alors qu'il rentre chez lui accompagné de la jolie Laura Hathaway, seule Blanche présente au gala donné par Ella Fitzgerald en faveur des enfants orphelins de la communauté noire, il entend des gémissements venant de l'appartement de sa voisine, Marvella... Kris Nelscott poursuit le récit des formidables enquêtes de son héros, qui débutent en 1968 avec la tragique disparition du leader de la communauté noire américaine. Dans Les Faiseurs d'anges, elle évoque un terrible drame : celui des avortements, formellement interdits, qui se terminent trop souvent à l'hôpital. Une nouvelle fois, le lecteur suit avec passion, dans une Amérique confrontée à ses éternels démons, les aventures de Smokey Dalton, éblouissant d'intelligence et... d'humanité."

    J'ai effectivement beaucoup apprécié la peinture de cette société américaine qui n'en finit pas d'en finir avec son passé ségrégationniste. J'ai aimé vivre "en vrai" par le biais de la littérature cette époque où la société noire américaine devait panser ses plaies (assassinat de Martin Luther King) et affronter l'émergence d'une nouvelle époque, plus revendicative et plus violente (le recrutement des enfants par les gangs sous couvert de les protéger et les éduquer). Grâce à ce roman, j'ai compris à que c'était à ce moment-charnière que c'était mis en place le monde que nous connaissons aujourd'hui aux USA - et ailleurs. Pour le reste, l'intrigue policière ne m'a pas complètement convaincue mais à la limite, c'était secondaire tant la peinture sociale et sociologique était intéressante.

    Ainsi un extrait d'une conversation entre le héros-narrateur de l'histoire, sa petite amie Laura et la voisine chez qui il a découvert une jeune femme ensanglantée qu'il a menée à l'hôpital.

    Marvella adressa un signe de tête à Laura. "Vous n'avez qu'à lui expliquer."

    Laura redressa les épaules, se pencha légèrement en arrière de manière à pouvoir mieux me voir. "Je ne sais pas si ce sont les consignes de l'hôpital ou la politique des médecins, mais il arrive parfois -

    - Toujours, dit Marvella. Ils le font systématiquement."

    Laura secoua la tête. "Pas toujours.

    - Sur les femmes noires -

    - Et sur les femmes pauvres, enchaîna Laura . Mais certaines femmes parviennent à l'éviter. D'après ce que je sais, Cook County est le pire à cet égard. J'ai pensé que nous ne risquions rien en l'amenant ici, mais, quand nous sommes arrivés, je n'en étais plus aussi sûre."

    De nouveau, elles recommençaient à parler par codes.

    "Est-ce que vous allez enfin m'expliquer comment ils pouvaient la punir ?" dis-je.

    Marvella me regarda : son expression était dure et ses yeux brillaient de quelque chose bien plus fort que la simple colère. C'était quasi de la rage.

    "Ils vont la stériliser", dit Marvella.

    Je reculai, horrifié autant par le ton de sa voix que par ses paroles. Je n'avais jamais perçu autant de haine dans sa voix.

    "C'est pour ça que je ne voulais pas qu'elle aille en chirurgie, Bill. Parce qu'ils vont décréter qu'elle est indigne d'être mère ; et ils vont décider que, puisqu'elle ne voulait pas de celui-là, elle n'aura pas le droit d'en avoir d'autres. Et ils vont la priver de la chance d'avoir des enfants? Pour toujours."

    Je laissai échapper un rire nerveux. "Ils n'ont pas le droit de faire ça.

    - Je ne sais pas s'ils en ont le droit, confirma Laura. Mais ils le font. Je connais une femme à qui cela est arrivé."

    Kris NELSCOTT, Les Faiseurs d'anges, éditions L'Aube noire, 2007.

    Et pour le plaisir, de la série et de U2 :

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  • L'interprétation des meurtres (J. RUBENFELD)

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    Voici un roman que j'ai saisi avec bonheur ! Un gros pavé comme je les aime, à la fois policier, historique et érudit ! 470 pages de bonheur en perspective, jugez un peu :

    "1909. Sigmund Freud est à New York pour donner une série de conférences sur la psychanalyse. Au même moment, une jeune femme de la bonne société est étranglée après avoir été sauvagement torturée. Freud, fatigué, malade, en butte à l'hostilité de l'intelligentsia locale, se retrouve malgré lui impliqué dans l'enquête que mène l'inspecteur Littlemore...

    Des bas-fonds de Chinatown aux hôtels particuliers de Gramercy Park, ce thriller à l'intrigue impeccable nous plonge dans le New York en mutation du début des gratte-ciel."

    L_interpr_tation_des_meutres

    C'est dire l'avidité avec laquelle je dévorai les cent premières pages ; j'ai adoré ce New York du début du siècle, cette histoire urbaine qui se déroulait sous nos yeux. J'ai apprécié les enluminures psychanalytiques, même si, je dois le reconnaître, j'ai parfois survolé les théories freudiennes qui s'étalaient sur plusieurs paragraphes. Et puis, et puis...

    Le pauvre esprit que je suis s'est lassé de cette narration tantôt à la première tantôt à la troisième personne, mais continuant à parler de la première (!). Il s'est lassé aussi de ces querelles de clocher autour des fils spirituels du grand Freud et de tous ces éminents médecins qui se tiraient dans les pattes. Il s'est carrément embrouillé dans les méandres de cette histoire où les morts ne sont pas morts, où les méchants jouent tous double jeu et où les personnages manquent de consistance.

    Je dirai que Jed RUBENFELD a voulu trop bien faire : écrire un premier roman qui démontre à la fois sa compétence professionnelle (diplômé de Princeton, il a soutenu une thèse sur Freud), sa culture (Hamlet et une grande partie de l'oeuvre de Shakespeare est largement commentée, "dépiautée" à la sauce psy) et son talent d'auteur. Le tout donne un pavé plutôt indigeste, où l'on arrive laborieusement à la fin en se disant "tout ça pour ça ?"

    Voici le préambule du roman :

    C'est en 1909, accompagné de son disciple Carl Gustav Jung, que Sigmund Freud fit son seul et unique voyage aux États-Unis, pour donner une série de conférences à l'université Clark, dans le Massachusetts. Cette université lui remit également un doctorat honoris causa, première distinction publique décernée pour l'ensemble de son oeuvre. Malgré l'immense succès de cette visite, par la suite, Freud en parla comme d'une expérience traumatisante. Il traitait les Américains de "sauvages", et déclarait que son séjour dans ce pays lui avait laissé des séquelles physiques - en réalité il souffrait alors déjà de ces problèmes de santé. Les biographes se sont longtemps interrogés sur ce qui avait pu se produire là-bas. Ils ont même envisagé la possibilité d'un événement inconnu de tous, expliquant ces réactions autrement incompréhensibles chez Freud.

    Jed RUBENFELD, L'Interprétation des meurtres, 2007

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  • Policiers

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  • Dérive sanglante (W. G. TAPPLY)

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    C'est d'abord une couverture noire où se détache, en haut, une photographie absolument magnifique. Un noir et blanc de bord de mer, lumineux et intense, que l'on retrouve dans les pages intérieures.

    derive_sanglante

    L'histoire est a priori celle d'un roman policier banal : "Suite à un improbable accident de montagne qui lui a fait perdre la mémoire, Stoney Calhoun est un homme sans passé. Cinq ans après avoir quitté l'hôpital, une confortable somme d'argent en poche, il a refait sa vie dans le Maine et coule des jours paisibles entre la boutique de pêche où il travaille et sa cabane enfouie au coeur des bois. Jusqu'à ce que son meilleur ami disparaisse.
    Calhoun se lance alors sur sa piste et accumule les découvertes macabres. Au fur et à mesure, il se découvre d'inattendus talents d'enquêteur qui vont le confronter aux fantômes de son passé.
    Première aventure de Stoney Calhoun, Dérive sanglante nous promène à travers les paysages idylliques et chargés d'histoire du Maine, jusqu'à un final aussi violent qu'étonnant."

    Et pourtant, c'est à quelque chose de tout à fait différent que nous avons affaire. William TAPPLY vient de créer un genre inédit : le polar contemplatif. Certes il y a un meurtre, certes on croise des policiers, certes l'énigme semble devenir plus trouble à chaque page, mais l'essentiel n'est pas là. L'essentiel, c'est ce personnage étonnant de Stoney Calhoun, qui s'est installé il y a cinq ans dans le Maine, après avoir quitté l'hôpital d'Arlington (Virginie), où il venait de passer dix-huit mois, avec en poche un chèque de vingt cinq mille dollars et une carte de crédit à son nom. (...) Quelqu'un avait de sacrées obligations envers lui. Mais quand il avait cherché à en savoir plus, il n'avait pu obtenir de réponse à ses questions. Calhoun n'avait pas insisté. Il n'avait sans pas intérêt à raviver certains souvenirs.

    Et c'est autant une enquête sur la mort de son meilleur ami qu'une enquête sur lui même que mène Calhoun. En avançant dans ses recherches il découvre que la mort lui est familière, certains gestes aussi, bref, qu'il a sans doute en lui des choses qu'il ne préférerait pas connaître.

    Outre ses romans policiers, l'auteur, William G. TAPPLY, collabore régulièrement à des revues de pêche. Le sujet lui est manifestement familier et cela donne à son roman un ton tout à fait particulier. Je ne parlerai pas de "polar écologique", on en est loin, mais il décrit magnifiquement les paysages du Maine, la sérénité d'un montage de mouche ou encore le suspense d'une partie de pêche. Quoique terrible dans sa conclusion, c'est cependant un roman que l'on pourrait qualifier "d'oxygénant".

    Les premières lignes :

    Il était environ huit heures du matin lorsque Stoney Calhoun entendit la sonnette tinter : signal qu'on passait le seuil de la boutique. Il leva les yeux de son étau. Un homme aux cheveux blancs se tenait dans l'embrasure de la porte, d'où il examinait le casier des cannes Sage et Orvis adossées au mur. Calhoun reporta son attention sur la mouche presque achevée dans son étau.

    Une minute plus tard, l'homme était devant lui.

    - Nom de nom, qu'est-ce que c'est que ça ?

    Calhoun garda les yeux baissés.

    - Une bunker fly, marmonna-t-il avec l'accent du coin, ce qui donnait quelque chose comme "bunka fly".

    Il en remettait toujours une louche pour les clients des autres états, histoire de faire couleur locale. C'était une idée de Kate : les touristes, les gens des plaines, tous ceux qui "venaient de loin" - et ce vieux type avec son pantalon de toile tout juste sorti du pressing, ses mocassins rutilants, son polo vert boutonné jusqu'au cou et son accent garanti vieux Sud, si lui ne venait pas de loin ! -, tous ces gens-là s'attendaient à ce que Calhoun parle comme un guignol de pub télévisée. Et Kate était d'avis qu'ils seraient plus enclins à dépenser leur argent dans sa boutique s'ils n'étaient pas déçus.

    - Un peu plus de "ouaip", Stoney, lui disait-elle sans répit. Joue les taciturnes. Et si tu arrives à le placer, dis-leur des trucs comme "Y a pus d'saison, mon pauv'monsieur".

    Kate était la patronne, alors Calhoun s'efforçait de faire comme elle disait.

    William G. TAPPLY, Dérive sanglante, éditions Gallmeister, 2007.

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