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Breakfast at Lynley's (E. GEORGE)

Imprimer Catégories : Littérature gourmande

georgeJe me souviens de ma découverte d'Elizabeth George. J'en avais lu le plus grand bien dans les pages littéraires de ELLE et avais acheté son premier roman : Enquête dans le brouillard. Ce fut le choc : un roman policier, certes, mais beaucoup d'autres choses encore. Une écriture à la fois rigoureuse et gracieuse, une véritable psychologie de chaque personnage et, surtout, une noirceur sous ce vernis apparemment si lisse, si brillant, si poli.

Je fus conquise et c'est ainsi que j'achète scrupuleusement chacun de ses romans pour suivre les pérégrinations de Lynley, Barbara, Simon et les autres. Oh, bien sûr, certains m'ont déçus, d'autres transportés (le dernier en date - Sans l'ombre d'un témoin - atteint des sommets), mais ses personnages sont devenus, au fil des années, autant d'amis dont j'ai plaisir à découvrir le chemin de vie. Personnages de papiers, oui certes, mais tellement humains...

Je reviens régulièrement au premier. C'est le plus court, en pages, mais tout est déjà là. Il faut dire qu'en fait, c'était le quatrième qu'Elizabeth George écrivait : les personnages étaient déjà construits et leur profondeur, qui affleure à chaque page, était bien réelle. Je vous propose d'aller prendre le petit-déjeuner chez le héros, l'inspecteur Lynley. Huitième comte d'Asherton, bellâtre en apparence et tombeur reconnu, il est la caricature de l'aristocrate sorti des grandes écoles et  pur produit de la gentry et pourtant, il a choisi la police plutôt que jouer au gentleman farmer sur ses terres de Cornouailles. Le passage suivant raconte le premier jour où Barbara Havers, son contraire absolu, et lui vont faire équipe. Elle est passée le prendre. Voici donc :

BREAKFAST AT LYNLEY'S

Alors qu'elle s'attendait à voir paraître une petite bonne rondelette à l'air mutin moulée dans un tablier blanc, elle eut la surprise de se trouver face à Lynley lui-même. Un Lynley en pantoufles, au nez aristocratique chaussé de lunettes, et qui tenait un toast à la main.

- Ah, Havers, dit-il en la fixant par-dessus ses verres. Vous êtes en avance. Parfait.

Il lui fit traverser la maison et la conduisit dans un petit salon tout boiseries blanches et murs vert d'eau, avec un plafond de style Adams d'une surprenante sobriété. A l'une des extrémités de la pièce, des portes vitrées donnaient sur un jardin où s'épanouissaient des fleurs tardives. Le petit-déjeuner servi dans des plats en argent était disposé sur une desserte en noyer sculpté. La pièce dégageait une si agréable odeur de pain chaud et de bacon que l'estomac de Barbara se mit à gargouiller. Elle se plaqua une main contre le ventre, s'efforçant de ne pas penser à l'unique oeuf à la coque trop cuit et au toast brûlé qui avait constitué tout son repas du matin. La table était dressée pour deux. Barbara s'en étonna avant de se rappeler le rendez-vous de Lynley avec Lady Helen. Celle-ci devait sans nul doute être encore au lit, peu habituée à se lever avant dix heures et demie.

- Servez-vous, dit Lynley. (L'air absent, il pointa sa fourchette vers le buffet tout en ramassant des feuilles qui traînaient au milieu des assiettes.) Rien de tel que de manger un peu pour avoir les idées claires. A votre place, j'éviterai de toucher aux harengs. Je n'en garantis pas la fraîcheur.

- Non, merci, répondit-elle poliment. J'ai déjà déjeuné, monsieur.

- Vous ne prenez même pas une petite saucisse ? Elles sont délicieuses. Vous n'avez pas l'impression que les charcutiers essaient enfin de mettre plus de porc que de farine dans leurs produits ? Je trouve que c'est réconfortant. Près de cinquante ans après la Seconde Guerre mondiale, il serait temps d'en finir avec le rationnement. (Il empoigna la théière. Comme toute la vaisselle, elle était en porcelaine ancienne, un héritage familial sans aucun doute.) Puis-je vous offrir du thé si vous ne mangez pas ? Je vous préviens, je ne bois que du Lapsang Souchong. Helen prétend que ça sent le jus de chausssettes.

- Je... J'en prendrais volontiers une tasse.

- Très bien. Vous me direz ce que vous en pensez.

Au moment où elle mettait un morceau de sucre dans sa tasse, la sonnette retentit. Il y eut un bruit de pas montant un escalier. [...]

Une voix musicale résonna dans le couloir.

- Le petit-déjeuner ?

Un rire léger.

- Mais alors je tombe à pic, Nancy. Il ne croira jamais que c'est une coïncidence.

Et sur ces mots, lady Helen entra en coup de vent dans le petit salon, paralysant Barbara qui eut un hoquet de désespoir.

Les deux femmes portaient le même tailleur. mais si celui de lady Helen avait été coupé à ses mesures, celui de Barbara n'était qu'une vulgaire copie achetée dans un magasin de prêt-à-porter. La marque de l'ourlet et les coutures qui godaient le démontraient amplement. Seule la couleur - qui était différente - pouvait lui éviter une complète humiliation. Elle attrapa sa tasse mais n'eut pas la force de la porter à ses lèvres.

Helen marqua une pause infime en voyant Barbara.

- Je suis dans le pétrin, annonça-t-elle avec franchise. dieu merci, vous êtes là aussi, sergent, j'ai l'impression que nous ne seront pas trop de trois pour trouver une solution au guêpier dans lequel je me suis fourrée.

Là-dessus, elle déposa un grand sac en papier sur la chaise la plus proche et se dirigea droit sur le buffet, soulevant les couvercles, examinant les plats, comme si la nourriture pouvait suffire à la tirer d'embarras.

- Quel guêpier ? s'enquit Lynley. (Il jeta un coup d'oeil à Barbara.) Comment trouvez-vous le Lapsang ?

- Très bon, monsieur, fit Barbara.

- Encore cet horrible thé ! gémit lady Helen. Vraiment, Tommy, tu n'as pas de coeur.

- Si j'avais su que tu venais, je n'aurais pas eu l'outrecuidance de t'en proposer pour la deuxième fois en une semaine, répondit Lynley, d'un air entendu.

Nullement décontenancée, elle rit.

- Regardez-le, sergent, il est vexé ! Ne dirait-on pas à l'entendre que je suis là tous les matins, à le ruiner en nourriture.

- Tu était déjà là hier, Helen.

- Espèce de mufle ! (Elle se tourna de nouveau vers le buffet.) Ces harengs ont une drôle d'odeur. Nancy les aurait-elle apportés de Cornouailles dans sa valise ? (Elle vint s'asseoir et posa sur la table son assiette où était empilé un savant mélange d'oeufs, de champignons, de tomates et de bacon.)

Elizabeth GEORGE, Enquête dans le brouillard, 1990.

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Commentaires

  • je me suis régalée de cette lecture, une fois de plus et j'ai bien envie de lire la suite maintenant!

  • ça me touche d'autant plus que j'ai fini" Sans l'Ombre d'un Témoin" la semaine dernière et que j'en suis encore malade!! ;)

  • Quand je pense que je viens de passer une commande chez Amazon ce matin. Obligee d'y retourner donc.

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