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gourmandise - Page 2

  • "Le tout-venant a été piraté par les mômes..."

    Imprimer Catégories : Cinéma gourmand

    L'idée me trottait dans la tête depuis un petit bout de temps. Après les livres, les films ?

    Car s'il existe dans Ma Cuisine rouge une rubrique Littérature gourmande, il lui manquait un bout de quelque chose : le cinéma. Car nombreuses sont les scènes autour de la nourriture, pour ne pas évoquer carrément les repas ou les banquets...

    Ce qui a déclenché le passage à l'acte ? un des derniers messages de Clarabel, qui présentait 80 recettes d'après Alfred HITCHCOCK. Il n'en fallait pas plus pour me décider : Cinéma gourmand était lancé !

    Et pour commencer, je ne pouvais pas faire autrement que de présenter la cultissime scène de la cuisine des Tontons flingueurs !

    Sorti en salles le 27 Novembre 1963, le film fut loin de connaître l'unanimité qui allait faire sa gloire immortelle. La presse le trouvait trop caricatural et c'est le public qui, au fil des mois et des années, allait l'installer au panthéon cinématographique.

    Fruit de la première collaboration entre Georges LAUTNER et Michel AUDIARD, c'est d'abord un synopsis légendaire: "Sur son lit de mort, le Mexicain fait promettre à son ami d'enfance, Fernand Naudin, de veiller sur ses intérêts et sa fille Patricia. Fernand découvre alors qu'il se trouve à la tête d'affaires louches dont les anciens dirigeants entendent bien s'emparer. Mais, flanqué d'un curieux notaire et d'un garde du corps, Fernand impose d'emblée sa loi. Cependant, la belle Patricia lui réserve quelques surprises..."

    Puis des répliques culte qu'il serait trop long de récapituler mais qui fleurissent de partout sur la Toile, et enfin des interprètes grandioses : Lino VENTURA (pressenti en lieu et place de Jean GABIN qui exigeait de tourner avec son équipe - qui n'était pas celle de LAUTNER...), l'oncle Fernand, Bernard BLIER et Jean LEFEBVRE, les frères Volfoni, Francis BLANCHE, fameux maître Folasse ("Touche pas au grisbi, s... !"), ou encore l'évaporé Claude RICH, musicien incompris, le dévoué majordome Robert DALBAN, qui cache ses flingues dans les boîtes à biscuits, et la charmante Patricia (mais les Patricia sont toujours charmantes...), celle qui par qui toute arrive, interprétée par l'adorable Sabine SINJEN.

    Pour l'anecdote, la scène de la cuisine n'existait pas dans le scénario initial. C'est afin de "créer un passé commun" aux héros que LAUTNER la fit écrire, sur le modèle de la scène du bar dans Key Largo. Elle fut tournée en trois jours dans une véritable cuisine de seize mètres carrés, à Rueil-Malmaison. Et, secret de tournage, ce sont de vraies larmes que verse Jean LEFEBVRE puisque sans le prévenir, on avait glissé dans son verre un mélange de whisky, cognac, liqueur de poire et... poivre ! Effectivement, "y avait pas de qu'la pomme"...

    Sources Wikipédia, AlloCiné et L'Express.

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  • Orgie de sushis (M. BARBERY)

    Imprimer Catégories : Littérature gourmande

    Il est curieux comme il est des livres qui ne vous sont pas destinés, quoi qu'on en dise. Car TOUT le monde l'avait lu :

    L'élégance du Hérisson.jpg

    Tout le monde, sauf moi. Longtemps, il a trôné sur ma table de nuit, et toujours c'est un autre que je prenais à sa place. Un signe ? Sans doute. J'avais pourtant fait des efforts. Lu le précédent : Une Gourmandise. Mais cette Elégance du hérisson, décidément, cela ne passait pas :

    " Je m'appelle Renée, j'ai cinquante-quatre ans et je suis la concierge du 7 rue de Grenelle, un immeuble bourgeois. Je suis veuve, petite, laide, grassouillette, j'ai des oignons aux pieds et, à en croire certains matins auto-incommodants, une haleine de mammouth. Mais surtout, je suis si conforme à l'image que l'on se fait des concierges qu'il ne viendrait à l'idée de personne que je suis plus lettrée que tous ces riches suffisants. Je m'appelle Paloma, j'ai douze ans, j'habite au 7 rue de Grenelle dans un appartement de riches. Mais depuis très longtemps, je sais que la destination finale, c'est le bocal à poissons, la vacuité et l'ineptie de l'existence adulte. Comment est-ce que je le sais ? Il se trouve que je suis très intelligente. Exceptionnellement intelligente, même. C'est pour ça que j'ai pris ma décision : à la fin de cette année scolaire, le jour de mes treize ans, je me suiciderai. "

    Alors comme je n'ai pas envie de jouer aux originales qui se singularisent en n'aimant pas le livre que TOUT le monde a aimé, je me contenterai de vous dire que jamais je ne suis entrée dans l'univers de Muriel BARBERY, que cette écriture précieuse m'a horripilée et que je n'ai su trop à quoi attribuer ce succès phénoménal de librairie. Cruellement, j'y verrai presque un "dîner de cons", pour reprendre le jeu inventé par Castel dans les années soixante dix et révélé par le film de Francis WEBER...

    Mais en attendant, voici quelques lignes où transparaît la passion de  Muriel BARBERY pour le Japon. Voici donc :

    ORGIE DE SUSHIS

    L'atmosphère est brillante, pétillante, racée, feutrée, cristalline. Magnifique.

    -Nous allons faire une orgie de sushis, dit Kakuro en déployant sa serviette d'un geste enthousiaste. Vous ne m'en voudrez pas, j'ai déjà commandé ; je tiens à vous faire découvrir ce que je considère comme le meilleur de la cuisine japonaise à Paris.

    - Pas du tout, dis-je en écarquillant les yeux parce que les serveurs ont déposé devant nous des bouteilles de saké et, dans une myriade de coupelles précieuses, toute une série de petits je-ne-sais-quoi qui doit être très bon.

    Et nous commençons. Je vais à la pêche au concombre mariné, qui n'a de concombre et de marinade que l'aspect tant c'est, sur la langue, une chose délicieuse. Kakuro soulève délicatement de ses baguette de bois auburn un fragment de... mandarine ? tomate ? mangue ? et le fais disparaître avec dextérité. Je fourrage immédiatement dans la même coupelle.

    C'est de la carotte sucrée pour dieux gourmets.

    - Bon anniversaire alors ! dis-je en levant mon verre de saké.

    - Merci, merci beaucoup ! dit-il en trinquant avec moi.

    - C'est du poulpe ? je demande parce que je viens de dénicher un petit morceau de tentacule crénelé dans une coupelle de sauce jaune safran.

    On apporte deux petits plateaux de bois épais, sans bords, surmontés de morceaux de poisson cru.

    - Sashimis, dit Kakuro. Là aussi, vous trouverez du poulpe.

    Je m'abîme dans la contemplation de l'ouvrage. La beauté visuelle en est à couper le souffle. Je coince un petit bout de chair blanc et gris entre mes baguettes malhabiles (du carrelet, me précise obligeamment Kakuro) et, bien décidée à l'extase, je goûte.

    Qu'allons-nous chercher l'éternité dans l'éther d'essences invisibles ? Cette petite chose blanchâtre en est une miette bien tangible.

    Muriel BARBERY, L'Elégance du hérisson, 2006.

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  • "Thé difficile"(B. BARRY)

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    Le roman me tentait et c'est tout naturellement qu'il a fait partie de ma liste de souhaits lors de l'opération Masse Critique de Babélio.

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    "De tout temps, les femmes de la famille Whitney ont su lire l'avenir dans les motifs de dentelle. Un talent dont Towner se serait bien passé : à dix-sept ans, elle a eu une vision terrifiante et a été le témoin impuissant de sa réalisation... Depuis, elle s'est juré de ne plus jamais faire usage de son don et a fui sa famille et la ville de Salem, ses sorcières et ses fantômes. Pourtant, à la disparition de sa grand-tante Eva, Towner est obligée d'affronter ses peurs secrètes et retourne sur les lieux de son enfance. Mais sa quête de réponses va lui coûter très cher. Quelque part dans les volutes des motifs de dentelle, entre mensonges et révélations, se cache la vérité..."

    Voilà exactement le genre de bouquin que l'on dit déceptif : a priori, TOUT y est et finalement, rien ne marche ! L'histoire est tordue, complexe à plaisir, elle s'amuse à brouiller des pistes qui n'en sont finalement pas. Les personnages sont mal achevés, ce sont des amorces qui restent en plan et, cerise sur le gâteau, le style est particulièrement maladroit. Je ne sais pas si c'est dû à la traduction ou à l'auteur lui-même, mais l'ensemble est laborieux, pesant et soporifique.

    La quatrième de couverture nous annonce que l'auteur est scénariste. Eh bien, elle ferait bien de le rester, et de laisser à d'autres le soin de raconter une histoire, d'écrire des dialogues, bref, de faire tout ce qui rend une histoire vivante et dont son roman manque cruellement...

    THE DIFFICILE

    J'entre dans le salon de thé. Ses murs sont couverts de fresques peintes par un artiste plus ou moins connu que mon grand-père a fait venir d'Italie. Je ne me rappelle pas son nom. De petites tables occupent l'espace. Il y a de la dentelle partout. Certaines pièces portent l'étiquette de l'atelier de May, le Cercle, mais la plupart sont l'oeuvre d'Eva. Dans un angle, un comptoir vitré abrite des boîtes en métal contenant tous les thés imaginables - des thés commerciaux venus du monde entier, ainsi que des potions de fleurs et d'herbes concoctées par Eva. Si vous voulez une tasse de café, ce n'est pas ici que vous la trouverez. Parmi les boîtes, je cherche du regard celle qui porte mon nom. Eva m'en a fait cadeau une année. C'est un mélange de thé noir, de poivre de Cayenne et de cannelle, avec un soupçon de coriandre et d'autres ingrédients dont elle ne m'a pas révélé la teneur. Il faut le boire fort et brûlant ; Eva le disait trop épicé pour ses clientes âgées. "Soit tu aimeras, soit tu détesteras", m'avait-elle prévenue en me l'offrant. J'ai adoré. J'en buvais des théières entières, les hivers où j'ai vécu chez elle. Sur la boîte métallique, il est écrit "Mélange de Sophya", mais nous l'avons baptisé, Eva et moi, "Thé difficile". [...]

    Les tables sont déjà mises. Sur chacune trône une théière avec des tasses et des soucoupes dépareillées posées sur des pièces rondes de dentelle. Les théières sont très fantaisistes et colorées. Si vous venez prendre le thé un jour ordinaire, un jour qui n'est pas réservé à une réception privée, vous pouvez garder la dentelle après usage. Vous la payez, qu'elle vous ait été lue ou non. Beaucoup de gens ramènent chez eux cette pièce pour l'utiliser comme napperon. Cela ne dérange nullement Eva. Pour ma part, j'ai toujours pensé que c'était du gaspillage et que ces ronds méritaient d'être encadrés comme des oeuvres d'art.

    Brunonia BARRY, Sortilèges de dentelle, 2006.

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  • Marchés de Venise (M. DE BLASI)

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    Il y a des livres d'instinct : Mille Jours à Venise appartient à cette catégorie. On lit "Venise", on aperçoit une photo de cette lagune unique et inimitable et, d'emblée, on tend la main vers le livre.

    mille jours à venise.jpg

    "Ce n'est pas un conte, c'est une histoire vraie. L'enthousiaste et désarmante Marlena, bouleversée par sa rencontre avec son " bel étranger ", va liquider en quelques semaines tout ce qu'elle avait en Amérique, une jolie maison, un charmant restaurant, une brillante carrière de critique gastronomique et de " chef ", pour aller vivre avec lui à Venise. Certes, il y aura pas mal d'obstacles à surmonter, la langue qu'elle ne parle pas, l'appartement sinistre de son mari, la solitude, l'ennui, car elle n'a ni amis ni travail là-bas. Mais Marlena a de ta ressource et elle va nous entraîner dans le récit plein d'humour de ses découvertes, de ses mécomptes, puis de son bonheur à se sentir peu à peu " acceptée ". Jusqu'au jour où l'imprévisible Fernando lui réservera une drôle de surprise..."

    Et on ne regrette pas d'avoir tendu la main. C'est un vrai moment de bonheur que Marlena DE BLASI nous fait partager. Sa rencontre, elle un peu cabossée, lui un peu carapaçonné, avec un bel Italien aux yeux bleus et aux faux airs de Peter Sellers puis son installation, sur un coup de tête comme un coup de foudre, sur l'ïle du Lido, dans l'appartement familial pour le moins rudimentaire. Et c'est la découverte d'une vie quotidienne dans une ville-musée, une ville-cliche presque, que tout le monde croit connaître et qu'elle nous donne à découvrir sous un autre jour.

    Bien sûr, on n'échappe au côté très américain, à ce stylisme très D&Co qui recouvre de tissus les meubles et allume des bougies partout (pour l'ambiance) mais j'ai aimé cette chronique d'une installation et d'une intégration dans un Venise inédite. Marlena DE BLASI joue judicieusement de petites phrases en italien, voire en vénitien, qu'elle s'empresse de traduire pour la couleur locale et son passé de restauratrice et journaliste gastronomique donne beaucoup de saveur(s) à son histoire. Ainsi cette description de marché vénitien :

    MARCHES DE VENISE

    Peut-être que ce que je préfère à tout, sur le marché, c'est l'étal de la marchande d'oeufs, une simple table qu'elle n'installe jamais tout à fait de la même façon. Je vais finir par comprendre que, chaque fois, cela dépend d'où vient le vent, parce qu'elle cherche avant tout à protéger ses poules. C'est fascinant de la voir faire. Tôt le matin, elle arrive de sa ferme située sur Sant'Erasmo, en portant un vieux sac en toile avec cinq ou six volatiles dedans. Elle fourre ledit sac sous la table et se penche pour parler en dialecte vénitien à ses pensionnaires qui caquettent en s'agitant comme des folles : "Dai, dai me putei, faseme dei bei vovi ! Allez, allez, mes bébés, faires-moi de beaux oeufs !" Après quoi, elle s'assoit, attend le client, ais de temps à autre se baisse à nouveau et fouille dans le sac. Sur sa table, elle a posé une pile de carrés de papier journal impecablement découpés dans lesquels elle va envelopper l'un après l'autre chaque oeuf nouvellement pondu, qu'elle déposera ensuite dans un panier en osier tressé, avec la délicatesse, disons, d'une madone de Bellini. [...]

    Les heures passées au milieu de ces hommes et de ces femmes ont quelque chose de lumineux que je garde encore au fond de moi. Ils m'ont appris tant de choses sur la nourriture, sur la cuisine, sur la patience. Ils m'ont parlé de la mer, de l'influence de la lune, de la guerre, de la faim, de grands festins aussi. Ils m'ont raconté leurs histoires, m'ont chanté leurs chansons et, peu à peu, ils sont devenus ma famille et moi j'ai été leur enfant. Je sens encore leurs mains déformées et rugueuses entre les miennes, leurs baisers humides et âcres sur mes joues. Je revois leurs bons yeux un peu délavés à la couleur de base, ceux qui se sont toujours contentés de ce que la vie leur a donné, des descendants de femmes qui n'ont jamais orné leurs cheveux de perles, d'hommes qui n'ont jamais porté d'habits de satin, ni bu de thé au café Florian. Ils sont les autres Vénitiens, ceux qui ont, jour après jour, traversé la lagune pour aller vendre au marché les produits de leur ferme, ne s'arrêtant que pour pécher le poisson du dîner ou réciter une prière dans une petite église isolée. Ils ne sont jamais allés faire un tour sur la piazza San Marco.

    Un jour je passais devant l'étal de Michele. Il était penché sur une pile de petits oignons argentés dont il nouait la tige séchée pour faire une tresse. Sans relever la tête, il m'a tendu d'une main une grappe de tomates minuscules, qui ressemblaient à de tout petits boutons de roses. J'en ai cueillie une que j'ai gardée dans ma bouche un moment avant de la mâcher lentement. Sa saveur et son parfum équivalaient à ce qu'aurait distillé un kilo entier de tomates mûries au soleil et c'était là, dans ce minuscule fruit rouge. Toujours sans me regarder, Michele a demandé : "Hai capito ? Vous avez compris ?" Il voulait dire : "Comprenez-vous qu'il s'agit des meilleures tomates du monde ?" Il savait très bien que je le savais aussi.

    Marlena DE BLASI, Mille Jours à Venise, 2009.

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  • La vocation d'une animatrice d'émission culinaire (S. LOUBIERE)

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    Anne Darney exerce un métier de rêve : animatrice de fiches cuisine. Elle est le cordon-bleu toujours bien maquillé, bien coiffé, bien habillé, qui réalise devant les caméras de télévision des recettes plus alléchantes les unes que les autres. Univers féerique. Pour une réalité quotidienne qui l'est bien moins. Anne a quarante ans, vit seule, vient d'assister au mariage de son ex-mari et sa prochaine paternité, elle qui ne peut avoir d'enfant, et vit avec des monceaux de culpabilité et de rêves avortés.

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    "Paris. Pour fêter ses 40 ans, Anne Darney s'apprête à prendre l'avion à la recherche de son amour de jeunesse, Daniel Harlig, histoire de s'affranchir d'un souvenir qui l'obsède et aura contribué à l'échec de toutes ses relations amoureuses. Elle a décidé, plus de vingt ans après, de retrouver ce garçon américain qui lui avait fait la promesse, un jour, de venir la chercher. Mais ce qu'Anne va trouver à San Francisco ne ressemble en rien à une bluette... Pour connaître toute la vérité sur ce qui lui apparaît vite comme " l'affaire Daniel Harlig ", il lui faudra convaincre un inspecteur de police fraîchement retraité, Bill Rainbow, grand amateur de gastronomie dont la corpulence n'est pas sans évoquer celle d'Orson Welles, de reprendre du service. En échange de la confection par Anne, cuisinière émérite, d'un repas de Noël digne du Festin de Babette, Bill va accepter de reprendre cette enquête qui le mènera à une découverte stupéfiante. Ce roman policier psychologique et charnel, truffé d'hommages à Alfred Hitchcock, où les secrets intimes enfouis dans le passé se mêlent aux appétits les plus crus, est ancré totalement dans l'époque, l'action se situant essentiellement aux États-Unis en décembre 2008, en pleine récession mondiale, un mois après l'élection de Barack Obama. En bonus, la présence de fiches cuisine à la fin du roman, reprenant les plats qui composent le festin élaboré par les deux protagonistes du livre (recettes originales du chef Eric Léautey, auteur de nombreux ouvrages sur la cuisine et chef de la chaîne Cuisine.TV)."

    Idée originale que d'avoir uni littérature policière et gastronomie. Manière aussi de "rompre" les clichés en montrant que les États-Unis ne sont pas uniquement le pays du fast food, mais que de véritables gourmets s'y nichent, en témoigne le shopping gourmand d'Anne et Bill à travers San Francisco. L'intrigue policière est habilement menée, allant crescendo vers un final aussi inattendu que terrifiant.

    J'avoue avoir un peu langui dans la première partie, avec les itinéraires parallèles des deux personnages principaux, mais une fois que la "jonction" est faite, l'histoire s'emballe et est menée tambour battant, sans répit.

    En choisissant de mettre en scène des personnages aux lourds passés dont elle ne nous livre que des bribes au fil du texte, Sophie LOUBIERE sait judicieusement glisser fausses pistes et vérités vraies, dans un jeu de massacre dont on ne sort pas indemne. Et faisant de ses héros des gastronomes, elle leur donne corps et vie, dans toute leur chair.

    En témoigne ce passage sur la vocation d'Anne:

    Anne détient donc quelque chose de précieux.

    Elle recèle son propre trésor.

    Et cet amour de la cuisine ne tient qu'à elle.

    Il remonte à loin.

    Aux recettes qu'elle recopiait dans le vieux manuel de sa grand-mère aux gravures anciennes et aux calligraphies soignées, formant ses premières lettres, l'eau à la bouche. Aux soupes de cailloux improvisées dans un jardin, accroupie au-dessus d'un trou creusé dans la terre, aux salades de bonbons dégustées entre amies au cours de dînettes, au jeu de marchande offert par sa maman pour ses six ans, aux fruits et légumes en plastique coloré, aux charcuteries assorties dans lesquelles Anne plantait ses dents pour mieux en imaginer la saveur. A ces heures passées à faire son marché imaginaire, seul ou avec une copine - Valérie, toujours elle, immuable et fidèle. Les cours de travaux manuels au collège ont conforté le cordon-bleu en jupette dans ses appétences, sa grand-mère s'étant préalablement chargée de lui enseigner les bases de la cuisine traditionnelle lorraine. Tourner le cuillère à gâteau jusqu'à ce que se forme le ruban d'oeuf battu incrusté de sucre la mettait en liesse. Aucune dispute parentale ne pouvait briser l'enchantement d'un gâteau de Savoie cuisant au four dont la croûte dorée ourlait les bords du moule. Pas un claquement de porte ne pouvait ébranler la main tartinant de confiture de fraises un disque de génoise encore tiède. Et la dispute, toujours, de s'achever dans la cuisine, autour du riz au lait d'Anne chérie, cuit avec sa gousse de vanille.

    Jusqu'à l'âge de treize ans, Anne aura nourri le couple de ses parents pour le meilleur. Et le pire était venu. Une maman qui s'alimente en avalant de la nourriture liquide par un tuyau relié à son estomac aurait découragé les élans de plus d'un Loiseau. Son ex-mari n'étant guère porté sur la gastronomie, Anne s'était vite lassée de cuire des pommes de terre, saucisses et entrecôtes, renonçant à l'exécution de la sauce salade. Elle remettait les mains à la pâte à la saison des champignons dont elle faisait omelettes, gratins ou conserves et à celle de la cueillette des mirabelles qui terminaient en sorbet, tarte, confiture ou condiment, macérées dans le vinaigre. L'occasion de replonger les doigts dans l'appareil devant une caméra avait été plus que salvateur : la justification de son entêtement à ne pas mettre sa tête dans le four après avoir ouvert le robinet du gaz.

    Sophie LOUBIERE, Dans l'oeil noir du corbeau, 2009.

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  • De l'art du fromage de chèvre (M. LETHIELLEUX)

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    C'est un joli livre frais et tonique comme sa couverture :

    Dis oui, Ninon.jpg

    " Dans ma classe, une immense dame maigre et très laide avec des cheveux courts et des gros sourcils m'a demandé de recopier le mot écrit au tableau. J'ai essayé d'imiter les traits droits comme du blé un jour sans vent, c'était très difficile, mes doigts glissaient sur la mine colorée. La dame s'est approchée et elle a dit : Mon Dieu ! J'ai dit que j'étais pas Dieu mais que si elle voulait m'appeler comme ça, pourquoi pas. Elle a répété : - Mon Dieu... Tu ne sais même pas écrire " maman " ? - Non, ça sert à rien que je l'écris puisque je dis jamais maman. - Tu... tu ne dis jamais maman ! - Non, je l'appelle Zélie parce que c'est trop mignon et en plus c'est personnel et assumé pour de vrai. La dame m'a dit de ne pas parler sur ce ton, j'ai répondu que je ne mangeais pas de poisson parce que sinon, on allait vider la mer. " Du haut de ses neuf ans, Ninon observe le monde. Un monde où les adultes ne s'aiment plus, où les mots n'ont pas de sens, où les mensonges sont rancuniers... Parce qu'elle ne le comprend pas, Ninon décide de s'en détourner et de vivre avec son père qui n'a plus rien. Rien, sauf elle. Ensemble, ils refont leur monde, construisent une maison à partir de rien, traient les chèvres, vendent sur les marchés, oublient l'école et les bonnes manières, sans se soucier des bien-pensants, ni de madame Kaffe, l'assistante sociale. Dis oui, Ninon est une histoire d'amour. Celle d'une petite fille pour son père et celle d'un homme pour la liberté."

    Pourtant, la vie n'est pas très rose pour Ninon et sa soeur Agathe. Des parents qui se séparent, un père écolo pur et dur qui ne veut rien céder à ses principes (pas d'électricité, ni d'eau chaude, les chèvres dans la maison), une mère qui qui n'apprécie pas de voir revenir sa fille avec la teigne (les mêmes plaques que le chat), les services sociaux, une petite fille asociale, nous sommes loin du conte de fées. Et le filtre de narration à travers la bouche de Ninon ne rend que plus poignant certains moments. C'est l'histoire de la vie d'une petite fille qui voudrait qu'on l'aime, même si elle dit ressembler à une guenon, qui veut devenir musicienne même si on lui dit qu'elle chante faux, qui connaît des moments de bonheur intense avec la nature mais qui se révèle souvent inadaptée à la vie tout court. Princesse en dedans, souillon dehors. Une drôle de cendrillon. Mais qui maîtrise la technique du fromage de chèvre...

    DE L'ART DU FROMAGE DE CHEVRE

    Fred a installé le coin cuisine : une grande bassine pour laver la vaisselle, une gazinière en équilibre sur des parpaings, deux bidons d'eau et le garde-manger. Dans le prolongement, on a installé la fromagerie, c'est là que je l'aide à mouler. Je suis une très bonne fromagère, j'ai compris l'art de la louche bien mieux queZélie ou tous les adultes que je connais. Je ne connais pas le dosage dela présure pour rendre le lait tout dur, alors je ne prépare pas le caillé. Moi, je moule, je retourne, je sale, j'empaquette, je vends, je fais plein de trucs nécessaires pour s'en sortir.

    J'adore mouler. Délicatement, j'enfonce ma louche en métal dans le caillé, je commence par les côtés de la bassine et je reviens vers le centre, c'est comme ça qu'on évite de faire de la soupe. parce que si on fait de la soupe on perd au moins trois fromages dans uen bassine car le caillé se fait la malle parles trous des faisselles. Les faisselles, je les remplis avec ma louche, toutes autant les unes que les autres et surtout avec un caillé toujours pareil. Par exemple, si par malheur d'inconvenance j'ai fait de la soupe, alors il faut que je mette autant de soupe dans toutes les faisselles parce que, s'il y a du beau caillé dans une et de la soupe dans l'autre, ça fait un fromage rikiki que personne veut acheter ou un trop gros qu'on perd de l'argent dessus.

    C'est Fred qui m'a appris tout ça sans me l'apprendre, j'ai juste regardé. Quand j'étais petite, je passais déjà tout mon temps dans la fromagerie pour boire le jus sérum qui coulait par le trou des faisselles. Nous, on est des artistes du caillé et on fait des fromages vraiment bons. Sur les marchés, les vieilles dames nous en achètent plein. En tout, ça fait au moins une caisse, sans exagérer. Le problème, c'est l'été, à cause des vers, là, il faut être vigilant et tous les enlever au couteau d'avant d'aller les vendre.

    Je retourne les moulés frais d'hier, c'est tout un art. Je les fais tomber sur la paume de ma main et shloff ! je les balance d'un coup dans la faisselle. le truc, c'est de ne pas enfoncer les doigts dedans et de surtout pas les faire tomber de travers sinon ça fait fromage d'amateur, ce qui n'est pas notre cas.

    Maud LETHIELLEUX, Dis oui, Ninon, 2009.

    Retrouvez Maud LETHIELLEUX sur son blog ici.

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  • Cuisine royale, ou comment accommoder une princesse (P. LECHERMEIR, R. DAUTREMER)

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    On ne présente plus Rebecca DAUTREMER, dont j'avais déjà évoqué le Cyrano. Son univers magique, esthétique et japonisant, sa délicatesse, les auteurs auxquels s'associe (quand elle n'écrit pas elle-même), tout concourt à créer à chaque fois des albums magnifiques. Celui-ci ne fait pas exception :

    Princesses.jpg

    "Dans Princesses, il y a Cendrillon et quelques autres célébrités mais on y trouve surtout des princesses oubliées, des princesses injustement ignorées. Ce n'est pas tout. Dans Princesses, il y a des histoires, des anecdotes, des secrets et des portraits. Il y a des choses qui font rire, qui font peur, d'autres encore qui font rêver. Et ce n'est pas tout. Dans Princesses, il n'y a pas que des princesses. Il y a aussi des cailloux, des ombrelles et des baisers. Des jardins, un prince, des papillons noirs, des mystères. De l'amour. Comme toujours. Mais il n'y a pas que ça. Princesses parle de princesses comme personne ne l'a jamais fait, les montre comme vous ne les avez jamais vues. Mais ce n'est pas tout..."

    Certes il n'est plus très récent, puisque publié en 2007, mais on ne lasse pas de ces images somptueuses... par ailleurs déclinées en agenda, cartes postales et autres objets divers.  Et c'est un défilé de princesses plus belles les unes que les autres, accompagnées de textes à la fois drôles et poétiques. Comme celui qui suit. Voici donc :

    Voici donc :

    CUISINE ROYALE

    Repas

    On raconte à ce sujet tout et n'importe quoi. Qu'une princesse se nourrit exclusivement de pommes, qu'elle déjeune de confiture de rose, qu'elle peut se contenter du regard d'un prince énamouré pour son dîner.

    En fait, les princesses mangent comme tout le monde. La seule chose qui change, c'est que tout ce qu'elles avalent est d'abord soigneusement étudié et testé par un goûteur car, dans les palais, il y a toujours des querelles et les histoires entre princesses se règlent au poison. Elles dînent donc souvent froid. [...]

    Cuisine royale

    ou comment accommoder une princesse, vingt recettes simples et savoureuses

    Ouvrage renommé de recettes de cuisine, rédigé par l'ogre Isidore, trois fois toque d'or, plusieurs étoiles dans les guides gastronomiques les plus connus.

    Spécialiste de plats de roi, ne cuisine que des morceaux de choix.

    Ses plats les plus réputés : bouchées à la reine, choucroute royale et pâté impérial.

    A rédigé plusieurs ouvrages dont celui qui permet de préparer la princesse, notamment la fameuse princesse aux petits pois.

    Depuis, les princesses préfèrent éviter son restaurant. Cependant, être nommée personnellement dans une recette est considéré comme un suprême hommage, c'est le signe d'une grande beauté, une distinction très recherchée. Mais attention à ne pas confondre : ce qui est apprécié, c'est de figurer dans la recette, pas dans l'assiette.

    Philippe LECHERMEIER, Rébecca DAUTREMER, Princesses oubliées ou inconnues..., 2004.

    Mais aussi :

    Plein de cadeaux en perspective...

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  • Premier apéritif à l'Apostle Bar (P. Z. BRITE)

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    Allez savoir pourquoi, on a tous ses rêves. Parmi les miens, il y avait celui d'aller en Louisiane. Pourquoi la Louisiane ? parce qu'adolescente, j'avais dévoré, lu et relu, les romans de Maurice DENUZIERE : Louisiane, Fausse-Rivière et Bagatelle (bien sûr, il y avait les suivants, mais Clarence et Virginie ayant disparus, c'était beaucoup moins intéressant... Pourtant, ce ne fut qu'à mon quatrième voyage aux Etats-Unis que je me suis enfin rendue en Louisiane. C'était en 1998 et je mesure aujourd'hui ma chance, car j'ai connu la Nouvelle-Orléans d'avant Katrina.

    Et j'ai adoré : la Lousiane, c'est l'Amérique bien sûr, mais une Amérique baignée par les Caraïbes, avec une bonne humeur et une joie de vivre communicative. Se balader dans la Nouvelle-Orléans, c'est, chose inhabituelle aux Etats-Unis, rencontrer l'histoire à tous les coins de rue, puisque les plaques y sont trilingues, souvenirs des présences successives espagnoles, françaises et américaines... C'est sentir des odeurs exotiques, des parfums de voyage, des épices... C'est entendre de la musique à tous les coins de rues... C'est manger des po-boys et des jambalayas...

    Et c'est pourquoi, lorsque Cuné m'a parlé du livre de Poppy Z. BRITE, n'hésitant pas à m'en citer un extrait pour m'allécher davantage, c'était clair, c'était diaphane : il me le fallait !

    Alcool.jpg

    « — La Nouvelle-Orléans adore la picole. On aime boire, on aime l'idée de boire, on aime être encouragé à boire. Tu crois que tous ces drive-in qui débitent des daïquiris à Métairie ne sont fréquentés que par les touristes ? Les touristes ne vont pas jusqu’en banlieue. Ce sont les locaux qui boivent tous ces daïquiris, et ils pourraient en trouver n’importe où ailleurs, mais ce qui leur plaît avec les drive-in c’est qu’ils ont l’impression de faire quelque chose de mal. On pourrait ouvrir un endroit où on ferait la même chose, mais à une bien plus grande échelle.
    — Un menu entièrement basé sur l’alcool.
    »

    Poppy Z. Brite mixe ambition, scandale, épices, cocaïne et meurtre,
    pour  servir Alcool bien tassé, avec une paille !"

    Et, sans mauvais jeu de mots, j'ai été servie ! Par Cuné d'abord, qui m'a fait la gentillesse de m'envoyer le livre, et je l'en remecie encore, puis par l'ouvrage lui-même. Une auteur qui a choisi pour prénom Coquelicot ne pouvait que me plaire, pour commencer... quand ensuite elle produit deux personnages aussi attachants que Rickey et G-Man, sans parler de tous ceux qui les entourent, quand elle situe son intrigue dans une ville aussi jubilatoire que la Nouvelle-Orléans, et que de surcroît, elle fait de ses héros des héros récurrents, que demander de plus ?

    L'histoire, c'est donc celle de deux jeunes hommes, couple à la ville comme en cuisine, Rickey et G-Man. Se retrouvant au chômage et raides fauchés, l'un d'eux a l'idée lumineuse d'un concept culinaire typiquement new orléanais : une cuisine à l'alcool. C'est-à-dire avec de l'alcool présent dans tous les plats, de l'entrée au dessert. L'idée va plaire à un restaurateur, qui va les financer. S'ensuivront toutes une série de mésaventures - je reconnais avoir moins accroché au côté "polar" de l'intrigue - et autres péripéties compromettant l'ouverture de ce fameux restaurant : Alcool.

    On ressort de cette lecture, qu'on avale d'une traite, affamé et le sourire aux lèvres. Ce n'est pas tant l'alcool qui emporte la mise que le plaisir que semble avoir pris Poppy Z. Brite à décrire minutieusement chacun des gestes de ses personnages, leur goût pour les produits et leur art à les mettre en scène. Ainsi que vous le prouve ce passage, premier essai de menu "alcoolisé" :

    PREMIER APERITIF A L'APOSTLE BAR

    A l'Apostle Bar, G-Man avait effectué la mise en place et achevé tout le travail de préparation. Il tira un récipient du comptoir réfrigéré puis le tendit à Rickey.

    - Crème de raifort relevée d'un doigt de whiskey irlandais Bushmills. Je me suis dit que ça se marierait bien avec tes saucisses et tes huîtres.

    Rickey goûta cette sauce blanche veloutée à la texture mousseuse. Son goût singulier et acidulé saisissait le palais, mais l'onctuosité de la crème fraîche atténuait cette acidité, l'empêchant ainsi de prendre le dessus.

    - Et Joe, ça va ?

    - Oui, savamment...

    G-Man réduisit en purée les olives kalamata, les câpres et les anchois puis les mélangea avant d'y ajouter du vermouth et de l'huile d'olive vierge extra, tandis que Rickey s'apprêtait à confectionner des saucisses. Il déballa la viande de porc de son papier de boucher rose et la passa au hachoir mécanique. Après avoir assaisonné son mélange avec de l'ail, des clous de girofle, du sel et du poivre noir, il ajouta des pistaches grossièrement pilées, une généreuse rasade de cognac et une truffe découpée en petits dés très fins. Il malaxa les trois derniers ingrédients à la main, pétrissant la viande jusqu'à la rendre soyeuse au toucher, sans toutefois écraser les délicates truffes.

    G-Man termina sa tapenade et sortit pour se rendre au bar. il revint avec une ardoise et une boîte de petites craies de couleur. Juché sur un tabouret près de la chambre froide, l'ardoise posée en équilibre sur ses genoux, il écrivit PLATS DU JOUR à la craie bleue puis agrémenta les lettres bleues d'un contour jaune. en dessous, il écrivit : Boulettes de risotto sautées aux truffes noires + Absolut vodka citron - servies avec de la tapenade au vermouth, puis il leva les yeux vers Rickey :

    - Comment veux-tu que je formule ton plat du jour ?

    - Euh... saucisses bordelaises et... Non, attends un peu... Saucisses aux truffes et au cognac et... Oh et puis, merde, G ! Je sais pas. Je suis pas inspiré, là. Tu crois que tu peux trouver quelque chose pour moi ?

    - Bien sûr.

    A ces mots, G-Man saisit un bout de craie verte et écrivit : Huîtres en coquille et saucisses maison au cognac, pistaches + truffes noires - servies avec une crème de raifort au Bushmills. Sous la description des plats du jour, il tenta de dessiner des truffes mais ne parvint qu'à griffonner des pâtés ressemblant plus à des étrons qu'à des champignons. Alors il les effaça.

    Rickey jeta un coup d'oeil sur l'ardoise.

    - Eh, ça rend carrément bien.

    - Peut-être que j'ai un talent caché, qui sait ?

    - A ta place, je m'en tiendrai à la cuisine. C'est plus lucratif.

    G-Man apporta l'ardoise jusqu'en salle et la posa sur une étagère au-dessus du bar. Le service commençait dans une heure. Pour l'instant, le bar était vide à l'exception de deux dockers occupés à écluser de la bière en se disputant à propos du Super Bowl. Ils n'avaient pas franchement l'allure de clients susceptibles d'être intéressés par l'un ou l'autre des plats du jour.

    A 18 heures, Rickey et G-Man peaufinèrent leur mise en place déjà impeccable. A 18 h 15, ils remplirent à nouveau d'huile d'olive, de rouille au poivre rouge et de moutarde au cognac, les flacons souples qu'ils avaient utilisé pour garnir les assiettes. A 18 h 22, un client commanda un hamburger et des frites au fromage.

    - Fait chier ! Ils ne vont pas avoir envie d'avaler des conneries du genre, ce soir !

    - Détends-toi un peu, vieux. Il est encore trop tôt et n'oublie pas qu'on est dans un bar. les vrais mangeurs ne sont pas encore arrivés mais ils seront au rendez-vous, ne t'inquiète pas.

    A 18 h 50, quelqu'un commanda le risotto, ouvrant ainsi les hostilités à proprement parler.

    Poppy Z. BRITE, Alcool, 2008.

    Prime et Soul Kitchen sont encore à venir, mais on peut également retrouver nos deux cuistots parmi son recueil de nouvelles, Petite Cuisine du Diable.

    Et décidément, cette rentrée littéraire est sous le signe du goût, puisque n'oubliez pas l'excellent roman de Christophe-Till GEISSLER, Lamelles, dont je parlais la semaine dernière.

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  • Coup de coeur de la rentrée : Festin à l'italienne (C. GEISSLER)

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    La rentrée littéraire est une chose étrange. On vous annonce presque sept cents romans à sortir entre fin août et mi-septembre, et résultat, avez-vous remarqué ? on ne parle que d'une dizaine, voire une quinzaine de ces romans. Christine ANGOT, Amélie NOTHOMB, Olivier ROLLIN, Colombe SCHNECK pour ne citer que les derniers noms que j'ai aperçus ce week end. Entendons-nous bien, loin de moi l'idée de critiquer les noms que je viens de citer. Quoique... Néanmoins je trouve dommage que sur la masse littéraire qui déboule à la rentrée, on ne se concentre que sur les quatre pour cent qui ont la chance d'être soit déjà connus, soit d'avoir les bons amis qui sauront placer leur livre...

    Il se trouve qu'en juin, j'ai eu l'opportunité d'avoir en main quelques des manuscrits de la rentrée. En effet, toujours à l'affût d'opportunités qui me permettront d'avoir toujours plus de livres, j'avais postulé au prix du Roman Fnac 2008 et que, sans prévenir (en fait la lettre est arrivée quinze jours plus tard...), je me suis retrouvé avec cinq romans à lire en un mois. Tout ça pour dire que j'ai trouvé plutôt légère l'organisation du fameux Prix du Roman Fnac. Je ne veux pas faire ma pro des jurys, mais là, franchement, niveau organisation, c'était moyen moyen. Le mieux étant que, dix jours plus tard, j'en ai reçu trois autres (avec toujours la même date-délai) avec pour consigne de les lire, "si je pouvais"... Evidemment je m'exécutais. Et grande fut ma surprise lorsqu'il y a quelques jours, j'ai découvert la "Sélection des Lecteurs et des Adhérents" : aucun des livres que j'avais lus n'y figurait ! Qu'est-ce à dire que ce jury, où tous les membres ne reçoivent pas les mêmes livres ? Et ce qui m'a le plus scandalisé, ce fut de découvrir que deux des romans que j'avais particulièrement appréciés n'étaient pas mentionnés !

    Attention, n'y voyez pas là la marque d'un orgueil exacerbé, qui laisserait croire que seul mon jugement est digne de foi, mais néanmoins, je m'interroge sur une sélection qui a pu laisser passer ce que je tiens pour de bons livres. Plus encore, je m'interroge sur les conditions de distribution des livres : pour quelle raison tous les membres du jury n'ont-ils pas eu les mêmes livres ? Je ne sais pas pas de combien de membres était composé ce jury, mais j'imagine que si seulement trois personnes ont eu les livres que j'ai appréciés alors que dix autres en avaient un autre, les résultats peuvent laisser perplexes...

    En attendant, participer à ce Prix du Roman Fnac m'aura permis de découvrir une pépite, ce qui pour moi est un de mes deux coups de coeur de la rentrée (pour l'autre, attendez la semaine prochaine...) : Lamelles, de Christophe-Till GEISSLER.

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    "Aimeriez-vous dompter une amanite panthère ou un bolet de lion ? ou bien lire Mallarmé devant un hygrophore des poètes ? Craindriez-vous de rencontrer le rhodopaxille terrible au coin d'un bois ? Combien de temps laisseriez-vous décemment seul à seul le phallus impudique et l'amanite vaginée ? C'est dans le monde étrange et sensuel des champignons, au fil d'une promenade nonchalante pleine de couleurs et d'odeurs bigarrées que Lamellesvous invite. Pastiches, nouvelles, récits et recettes se suivent pour démontrer que le champignon incarne une forme de beauté fragile et rebelle. Plus encore, c'est le pari risqué du champignon en tant qu'objet littéraire qui est tenté dans ces lignes. "

    Disons-le tout net, quand j'ai eu entre les mains ce livre sur les champignons, j'étais loin d'être transportée de bonheur. D'abord parce que les champignons, ce n'est pas trop mon truc : vous remarquerez que je n'ai pas une foule de recettes sur le sujet. Ensuite parce que moi, la cueillette des champignons, j'aime pas ça : aller devoir marcher dans la boue nez au sol pour dénicher des choses dont on n'est même pas sûr qu'elles soient comestibles, très peu pour moi. Enfin parce que les champignons, ce n'est pas franchement glamour ! Enfin c'est ce que je croyais, avant d'ouvrir le livre de Christophe-Till GEISSLER. Et là, j'ai découvert un monde, que dis-je, un univers, une galaxie mycologique !

    Ce livre est un vrai bonheur, à dévorer, à humer, à regarder : sous le couvert d'un itinéraire de vie, l'auteur y déroule une connaissance encyclopédique du sujet, alliée à un vrai bonheur d'amateur : on se régale de ses balades en forêt, on le suit dans ses découvertes, on déguste avec lui les plats aux noms étranges... L'ensemble est servi par une langue superbe, parfois un peu précieuse, mais toujours claire, précise et évocatrice, dans la droite lignée d'une COLETTE (voir ici ou ) si chère à mon coeur. Et je vous le prouve sur le champ, avec cet extrait. Voici donc :

    FESTIN A L'ITALIENNE

    Je me souviens de cette petite auberge isolée au sommet d'une colline, en Ombrie. Tout autour, une terre nue, caillouteuse, ocre clair, traversée de larges veines d'argile gris-bleutées. Paysange lunaire, presque dépourvu d'arbres, à l'exception, çà et là,de bouquets de chênes rabougris. Il faisait un grand ciel bleu d'avril, mais un vent frais et sec rappelait l'altitude du lieu. Il avait fallu rouler plusieurs kilomètres sur un chemin de terre serpentant au milieu de landes dépouillées pour atteindre le sommet de cette éminence, d'où s'offrait une vue aérienne sur la petite ville de Norcia, non loin de Perugia. [...]

    La femme de l'auberge annonça la composition du menu, soumis au suffrage familial : charcuterie de pays ; bar farci aux herbes ; pappardelle sul leppore, ou pâtes fraîches au lièvre ; salade aux noix ; fromages locaux et vieux parmesan ; sabayon arrosé de grappa et d'amaretto. et comme Orfeo allait s'indigner de la platitude des entrées, l'aubergiste sortit sa botte secrète, sûre de son effet :

    "Antipasto : bruschette di Norcia..."

    Les uns et les autres échangèrent des regards complices, discrètement satisfaits. Orfeo approuva d'un simple hochement de tête. On nous apporta presque aussitôt une assiette couverte d'une généreuse pile de tartines d'un noir brillant d'onyx, bien plus nombreuses que les convives présents. Imitant mes hôtes, j'attrapai une de ces larges tranches de pain grillées, encore tièdes. La mie n'était plus visible, totalement enfouie sous un hachis obscur, dans lequel des morceaux de la taille d'une tranche d'une petite pomme de terre, émergeaient d'un mortier sombre et granuleux, de la même couleur noir profond. Les reflets brillants trahissaient l'huile d'olive dont la préparation avait été généreusement arrosée.

    Des croûtes aux truffes noires de Norcia, voilà ce que l'on nous avait servi. J'étais suffoqué, tant le parfum sauvage qui se répandait avec force, que par l'idée de la quantité fabuleuse de truffes qu'il avait fallu pour préparer ces tartines. Rien à voir avec tant de plaisanteries anecdotiques déjà vues où la truffe n'est plus qu'un vague souvenir, à peine entrevue en lamelle mince dans son pâté en gelée. Le propos était ici d'en livrer honnêtement, sérieusement, toute la substance, d'en faire sentir la rusticité terrienne, la consistance, la granulosité, la violence, l'accord sensuel avec le parfum d'herbe fraîche de l'huile vierge, le grain de gros sel, et le croquant du pain de campagne légèrement grillé. Une authentique Leçon de Truffe. Je n'avais de ma vie jamais rien mangé de comparable.

    Christophe-Till GEISSLER, Lamelles, 2008.

    Et puis, je ne suis pas finalement la seule à avoir aimé, Cathulu aussi !

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  • Dîners intimes ( L. LUTZ)

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    On devrait toujours se méfier des livres lorsqu'ils sont accompagnés de bandeaux élogieux. Car les livres "le[s] plus drôle[s] que j'aie lu depuis des années" ne le sont généralement qu'aux yeux de celle qui a été payée pour le dire. Ou qui est la cousine de l'auteur. Ou son éditrice. Ou les deux.

    Spellman & associés.jpg

    C'est ce qui m'est arrivé avec le livre de Lisa LUTZ, Spellman & associés. A priori, tout convergeait pour me faire passer un bon moment :

    "Qui pourrait résister aux Spellman, la famille la plus sérieusement fêlée de la côte Ouest ? Certainement pas leur fille, Izzy, associée et néanmoins suspecte. Car, pour ces détectives-nés, rien n'est plus excitant que d'espionner, filer, faire chanter... les autres Spellman de préférence. Mélange détonant d'humour et de suspense, ce best-seller international (et son héroïne) a fait craquer Hollywood : vous n'êtes pas près d'oublier les Spellman !"

    Le problème, c'est que celle qui affirmait que ce livre était drôle n'est autre que l'auteur du Diable s'habille en Prada, dont je n'ai pas gardé un souvenir éblouissant, ni de drôlerie ni de finesse. J'aurais dû me méfier... Ensuite, eh bien force est de constater que n'est pas P.J. WOODEHOUSE qui veut. Et que faire dans le loufoque, le débridé, la famille allumée, c'est quand même bien meilleur quand c'est un britannique qui s'y colle. Je mets ici de côté Janet EVANOVITCH, qui avec ses Stephanie Plum ne s'en sort plutôt pas mal, mais ici, c'est plutôt l'agacement qui finit par s'imposer. On sourit d'abord à la description de cette famille Spellman, puis on s'agace quand l'auteur mêle des prétentions littéraires et tente d'éclater la narration, avec flash backs et autres procédés censés montrés sa virtuosité, et on languit franchement que le livre se termine !

    Dommage, j'aurais aimé aimer ces personnages à la limite du cartoon, si gros qu'ils en deviennent caricatures. Mais on en reste là : à la caricature... dont je vous offre l'échantillon suivant : il s'agit des premiers dîners de l'héroîne avec son nouvel ami, un dentiste (profession honnie par la famille Spellman pour d'osbures raisons). Voici donc :

    DÎNERS INTIMES

    Rendez-vous normal n°1

    Trois jours après que Daniel m'eut proposé de sortir, nous nous sommes retrouvés dans un bar à vins de Hayes Valley. Un sommelier trop empressé nous étourdit avec ses "suggestions", ce qui nous poussa à partir. Alors Daniel me fit une suggestion personnelle : que je vienne chez lui pour un petit dîner fait maison. Ces mots, "un petit dîner fait maison", devaient un jour avoir des connotations funestes, mais le premier soir, le petit dîner fait maison de Daniel me parut approcher la perfection.

    Le Dr Castillo habite au rez-de-chaussée d'un petit immeuble de deux étages, un appartement avec deux chambres et une salle de bain, bien rangé - mais sans excès trahissant la maniaquerie - et décoré avec goût, sans rien qui indique l'intervention d'un professionnel. un espace beaucoup trop modeste pour un homme dont le nom est suivi de la qualification de chirurgien-dentiste.*Daniel décongela une assiette d'enchiladas. je me demandai si un repas décongelé entrait dans la catégorie des "faits maison", mais Daniel m'expliqua qu'il avait confectionné ce plat lui-même d'après la recette de sa mère, et qu'il remplissait donc les conditions requises. Une fois que j'y eux goûté, je ne discutai plus. Je reconnais que Daniel sait faire de bonnes enchiladas. Malheureusement, il ne sait rien faire d'autre.

    Rendez-vous normal n°2

    Après une promenade dans le Golden Gate Park, Daniel m'invita pour un autre dîner fait maison. Cette fois, il essaya une recette de poulet chasseur prise dans un des magazines Gourmet de la salle d'attente de son cabinet. Le plat aurait pu être  mangeable mais, faute de trouver telle ou telle épice dans son placard, Daniel lui en avait substitué une autre, de la même couleur, ou ayant le même nom générique mais pas nécessairement le même goût. Ainsi, à la place de l'origan, il mit du thym et au lieu du poivre noir, il utilisa du cayenne.

    Ce qu'il y avait de charmant chez Daniel, c'est qu'il ne parut pas remarquer que si le repas était raté, il y était pour quelque chose. Il crut simplement que la recette n'avait pas été convenablement testée. A chaque bouchée, il faisait un commentaire du genre "Combinaison de saveurs intéressante". Quelques bouchées de plus et : "Je ne referai sans doute pas ce plat", et pour finir : "Mais j'aime bien expérimenter".

    Je garde malgré tout un bon souvenir du rendez-vous normal n°2. Après que Daniel eut débarrassé la table, il sortit du réfrigérateur un pack de six bières et proposa : "Et si on montait sur le toit regarder les étoiles ?"

    Il n'y avait pas d'étoiles ce soir-là, mais je n'en soufflai mot, car boire sur un toit est l'une de mes activités favorites.

    Lisa LUTZ, Spellman & associés, 2007.

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