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san francisco

  • Dîners intimes ( L. LUTZ)

    Imprimer Catégories : Littérature gourmande

    On devrait toujours se méfier des livres lorsqu'ils sont accompagnés de bandeaux élogieux. Car les livres "le[s] plus drôle[s] que j'aie lu depuis des années" ne le sont généralement qu'aux yeux de celle qui a été payée pour le dire. Ou qui est la cousine de l'auteur. Ou son éditrice. Ou les deux.

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    C'est ce qui m'est arrivé avec le livre de Lisa LUTZ, Spellman & associés. A priori, tout convergeait pour me faire passer un bon moment :

    "Qui pourrait résister aux Spellman, la famille la plus sérieusement fêlée de la côte Ouest ? Certainement pas leur fille, Izzy, associée et néanmoins suspecte. Car, pour ces détectives-nés, rien n'est plus excitant que d'espionner, filer, faire chanter... les autres Spellman de préférence. Mélange détonant d'humour et de suspense, ce best-seller international (et son héroïne) a fait craquer Hollywood : vous n'êtes pas près d'oublier les Spellman !"

    Le problème, c'est que celle qui affirmait que ce livre était drôle n'est autre que l'auteur du Diable s'habille en Prada, dont je n'ai pas gardé un souvenir éblouissant, ni de drôlerie ni de finesse. J'aurais dû me méfier... Ensuite, eh bien force est de constater que n'est pas P.J. WOODEHOUSE qui veut. Et que faire dans le loufoque, le débridé, la famille allumée, c'est quand même bien meilleur quand c'est un britannique qui s'y colle. Je mets ici de côté Janet EVANOVITCH, qui avec ses Stephanie Plum ne s'en sort plutôt pas mal, mais ici, c'est plutôt l'agacement qui finit par s'imposer. On sourit d'abord à la description de cette famille Spellman, puis on s'agace quand l'auteur mêle des prétentions littéraires et tente d'éclater la narration, avec flash backs et autres procédés censés montrés sa virtuosité, et on languit franchement que le livre se termine !

    Dommage, j'aurais aimé aimer ces personnages à la limite du cartoon, si gros qu'ils en deviennent caricatures. Mais on en reste là : à la caricature... dont je vous offre l'échantillon suivant : il s'agit des premiers dîners de l'héroîne avec son nouvel ami, un dentiste (profession honnie par la famille Spellman pour d'osbures raisons). Voici donc :

    DÎNERS INTIMES

    Rendez-vous normal n°1

    Trois jours après que Daniel m'eut proposé de sortir, nous nous sommes retrouvés dans un bar à vins de Hayes Valley. Un sommelier trop empressé nous étourdit avec ses "suggestions", ce qui nous poussa à partir. Alors Daniel me fit une suggestion personnelle : que je vienne chez lui pour un petit dîner fait maison. Ces mots, "un petit dîner fait maison", devaient un jour avoir des connotations funestes, mais le premier soir, le petit dîner fait maison de Daniel me parut approcher la perfection.

    Le Dr Castillo habite au rez-de-chaussée d'un petit immeuble de deux étages, un appartement avec deux chambres et une salle de bain, bien rangé - mais sans excès trahissant la maniaquerie - et décoré avec goût, sans rien qui indique l'intervention d'un professionnel. un espace beaucoup trop modeste pour un homme dont le nom est suivi de la qualification de chirurgien-dentiste.*Daniel décongela une assiette d'enchiladas. je me demandai si un repas décongelé entrait dans la catégorie des "faits maison", mais Daniel m'expliqua qu'il avait confectionné ce plat lui-même d'après la recette de sa mère, et qu'il remplissait donc les conditions requises. Une fois que j'y eux goûté, je ne discutai plus. Je reconnais que Daniel sait faire de bonnes enchiladas. Malheureusement, il ne sait rien faire d'autre.

    Rendez-vous normal n°2

    Après une promenade dans le Golden Gate Park, Daniel m'invita pour un autre dîner fait maison. Cette fois, il essaya une recette de poulet chasseur prise dans un des magazines Gourmet de la salle d'attente de son cabinet. Le plat aurait pu être  mangeable mais, faute de trouver telle ou telle épice dans son placard, Daniel lui en avait substitué une autre, de la même couleur, ou ayant le même nom générique mais pas nécessairement le même goût. Ainsi, à la place de l'origan, il mit du thym et au lieu du poivre noir, il utilisa du cayenne.

    Ce qu'il y avait de charmant chez Daniel, c'est qu'il ne parut pas remarquer que si le repas était raté, il y était pour quelque chose. Il crut simplement que la recette n'avait pas été convenablement testée. A chaque bouchée, il faisait un commentaire du genre "Combinaison de saveurs intéressante". Quelques bouchées de plus et : "Je ne referai sans doute pas ce plat", et pour finir : "Mais j'aime bien expérimenter".

    Je garde malgré tout un bon souvenir du rendez-vous normal n°2. Après que Daniel eut débarrassé la table, il sortit du réfrigérateur un pack de six bières et proposa : "Et si on montait sur le toit regarder les étoiles ?"

    Il n'y avait pas d'étoiles ce soir-là, mais je n'en soufflai mot, car boire sur un toit est l'une de mes activités favorites.

    Lisa LUTZ, Spellman & associés, 2007.

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  • Michael Tolliver est vivant (A. MAUPIN)

    Imprimer Catégories : Ma Bibliothèque... verte !

    Michael TOLLIVER est vivant, c'est lui qui le dit, qui le raconte, qui l'écrit. Mais Michael TOLLIVER, c'est qui ? Mais c'est Mouse, voyons ! Celui qu'on a connu jeune homosexuel à la recherche du grand amour dans les années soixante-dix, que l'on a vu vivre en couple, s'endeuiller et, finalement, tomber malade avant de ressusciter par la magie de l'amour, de la littérature et de San Francisco.

    Ce que je vous dis vous paraît obscur ? Alors je vais essayer de remettre les choses dans l'ordre.

    En 1976, à San Francisco, il y avait une maison, située au 28, Barbary Lane. La logeuse s'appelait Anna MADRIGAL et la maison hébergeait un ensemble de personnalités aussi diverses qu'attachantes : il y avait Mary Ann, la petite provinciale débarquée de Cleveland. Tombée amoureuse de Michael, dit "Mouse". Amour impossible, Michael étant homosexuel : ils deviendront meilleurs amis. Il y avait aussi Mona, lesbienne aspirant à la légitimité. Et puis Brian, le serial séducteur, qui finira par épouser Mary Ann, mais ce sera dans un autre tome. Et puis plein d'autres encore. Tout ce petit monde vivait heureux sous la houlette herbée de Madame MADRIGAL. C'était la parenthèse enchantée - ou du moins la fin - et c'est le tableau d'une époque que nous brosse Armistead MAUPIN à travers ces chroniques. Il y en eut six. Ce furent d'abord des chroniques écrites pour le San Francisco Chronicle à partir de 1976, avant d'être réunies en six volumes s'intitulant successivement Chroniques de San Francisco, Nouvelles Chroniques de San Francisco, Autres Chroniques de San Francisco, Babycake, D'un Bord l'autre et Bye Bye Barbary Lane.

    Les chroniques de San Francisco, c'est un genre d'Ensemble c'est tout version gay. Du Gavalda passé à la moulinette des années soixante-dix, puis quatre-vingts et enfin quatre-vingt-dix. Il y a des homos, des hétéros, des barjots, une grande maison fédératrice et des personnages humains. très. Trop parfois. Et du SIDA. Et des départs, pour toujours ou pas toujours.

    Alors comme ça, un septième tome a fait son apparition. Des mauvaises langues disent qu'il s'agirait davantage d'affaire de sous que de littérature. Je ne me prononcerai pas là-dessus. Tout au plus dirais-je que ce septième tome aurait très bien pu ne pas exister, mais en même temps, ce n'est pas mal qu'il existe quand même.

    Michael_Tolliver_est_vivant

    Parce que les suites, même si on dit toujours que c'est moins que celui d'avant, on est toujours content de les avoir, de retrouver les personnages qu'on a aimés, de se dire : "Tiens, que sont-ils devenus ?" même si on est déçu de ce qu'on apprend. Ça vous a un côté "réunion des anciens de l'école", qui les rendent incontournables. Alors ici c'est :

    "Michael Tolliver est vivant. Ses amis se sont perdus dans l'excès ou sont morts du sida. Lui a survécu à tout. Il a rencontré Ben, l'amour de sa vie. Mais sa famille se refuse toujours à accepter son homosexualité. Lorsque la mère de Michael tombe malade, c'est pourtant lui qu'elle appelle à ses côtés en Floride. A San Francisco, sa mère spirituelle, Anna Madrigal, réclame sa présence. Il est alors confronté à un dilemme : doit-il rester auprès d'Anna ou accompagner dans ses derniers instants cette mère qui l'a tant rejeté ? Les six premiers volumes décrivaient le San Francisco mythique des années 70 et 80, terrain de toutes les expériences amoureuses et sexuelles. Vingt ans après, l'insouciance s'est envolée, le sida est passé par là. Avec ce mélange de drôlerie, de légèreté et de gravité qui est sa marque, Maupin clôt cette extraordinaire aventure littéraire dans ce septième et dernier épisode des Chroniques de San Francisco. "

    Plus vraiment de saga, le narrateur, c'est Michael lui-même, le double littéraire de l'auteur. Le survivant, j'oserais même le phénix tant il a su renaître. Grâce à Ben, bien sûr, son nouveau compagnon. Mais aussi grâce aux autres, ce qui sont là depuis le début, Anna MADRIGAL, Brian, des ombres... Ai-je aimé cet ultime tome ? D'une certaine manière, je dirais que oui. Je l'ai aimé pour les personnages que j'ai retrouvés, plus vieux, plus tristes, plus 2008, quoi ! Ce que j'ai moins aimé, c'est d'y retrouver mon époque, avec sa violence, sa crudité, sa quête de l'éternelle jeunesse, tous ces défauts qui font que j'avais apprécié de lire, il y a dix ans, des récits d'une époque déjà révolue.

    Et c'est pourquoi, parmi les multiples passages que j'aurais pu choisi, j'ai pris celui qui montre le mieux ce fossé.

    Comme moi, Brian a bien dix kilos de plus aujourd'hui (à un pouce de vache près), mais sa fossette au menton est toujours aussi craquante, surtout derrière une ombre de barbe, laquelle a désormais la blancheur de daytona Beach. Il y a une éternité que je n'ai pas ressenti le quart d'un dixième de désir pour Brian - ce serait vraiment trop incestueux - mais Benjamin, mon bien-aimé,, le trouve éminemment baisable. Et Brian adore ça.

    Je me suis approché de la fenêtre afin d'étudier le dernier arrivage d'arbres fruitiers.

    - J'ai besoin de quelque chose d'assez haut pour un jardin sur Townsend. Ce citronnier... That lemon tree is pretty, isn't it ?

    - Oui, a enchaîné Brian, pince-sans-rire. And the lemon flower is sweet.

    - Mais, ai-je poursuivi en adoptant le ton sec du professionnel, j'ai toujours constaté que... the fruit of the poor lemon is... pratiquement... impossible to eat.

    - Je suis totalement d'accord avec toi.

    Emballés par notre numéro, on se marrait comme des baleines quand une voix sur le seuil nous a signalés qu'on n'était plus seuls.

    - Les mecs, vous êtes vachement space.

    C'était Shawna, la fille de Brian [...]

    - Si c'est un début d'Alzheimer ou assimilé, prévenez-moi.

    Brian a rigolé.

    - On travaillait sur une reprise.

    Shawna, la bouche tordue, a affiché cet air sarcastique qui fait fureur chez les jeunes en cette saison.

    - Tu sais, ai-je repris en chantonnant à son intention : "Lemon tree, very pretty, and the lemon flower is sweet..."

    Brian est intervenu pour donner à ce refrain un tempo caribéen piquant :

    - ... but the fruit of the poor lemon is impossible...

    - Soit... très bien, a répliqué Shawna, je vous crois sur parole.

    - Elle en a jamais entendu parler, ai-je lancé, effaré, à Brian.

    - Merde ! a-t-il bredouillé. Je retourne tailler mon silex, bordel.

    -C'est de Peter, Paul et Mary, ai-je expliqué à Shawna. Dis à ton père que tu les connais, sinon il s'immole.

    - Oh... euh.. oui.

    - Alléluia !

    - Les vieux qui passent sur PBS, c'est ça ? Avec la grosse blonde ?

    Brian a gémi.

    - Oh, mes pauvres baby-boomers, a continué Shawna en roulant de grands yeux. La vie est toujours tellement dure pour vous.

    - Moi, je ne suis pas un boomer, ai-je déclaré. Je suis né vers la fin des années cinquante. Quant à Brian, il est trop vieux.

    - Va te faire foutre, a gueulé Brian.

    Armistead MAUPIN, Michael Tolliver est vivant, 2008.

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