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  • Orgie de sushis (M. BARBERY)

    Imprimer Catégories : Littérature gourmande

    Il est curieux comme il est des livres qui ne vous sont pas destinés, quoi qu'on en dise. Car TOUT le monde l'avait lu :

    L'élégance du Hérisson.jpg

    Tout le monde, sauf moi. Longtemps, il a trôné sur ma table de nuit, et toujours c'est un autre que je prenais à sa place. Un signe ? Sans doute. J'avais pourtant fait des efforts. Lu le précédent : Une Gourmandise. Mais cette Elégance du hérisson, décidément, cela ne passait pas :

    " Je m'appelle Renée, j'ai cinquante-quatre ans et je suis la concierge du 7 rue de Grenelle, un immeuble bourgeois. Je suis veuve, petite, laide, grassouillette, j'ai des oignons aux pieds et, à en croire certains matins auto-incommodants, une haleine de mammouth. Mais surtout, je suis si conforme à l'image que l'on se fait des concierges qu'il ne viendrait à l'idée de personne que je suis plus lettrée que tous ces riches suffisants. Je m'appelle Paloma, j'ai douze ans, j'habite au 7 rue de Grenelle dans un appartement de riches. Mais depuis très longtemps, je sais que la destination finale, c'est le bocal à poissons, la vacuité et l'ineptie de l'existence adulte. Comment est-ce que je le sais ? Il se trouve que je suis très intelligente. Exceptionnellement intelligente, même. C'est pour ça que j'ai pris ma décision : à la fin de cette année scolaire, le jour de mes treize ans, je me suiciderai. "

    Alors comme je n'ai pas envie de jouer aux originales qui se singularisent en n'aimant pas le livre que TOUT le monde a aimé, je me contenterai de vous dire que jamais je ne suis entrée dans l'univers de Muriel BARBERY, que cette écriture précieuse m'a horripilée et que je n'ai su trop à quoi attribuer ce succès phénoménal de librairie. Cruellement, j'y verrai presque un "dîner de cons", pour reprendre le jeu inventé par Castel dans les années soixante dix et révélé par le film de Francis WEBER...

    Mais en attendant, voici quelques lignes où transparaît la passion de  Muriel BARBERY pour le Japon. Voici donc :

    ORGIE DE SUSHIS

    L'atmosphère est brillante, pétillante, racée, feutrée, cristalline. Magnifique.

    -Nous allons faire une orgie de sushis, dit Kakuro en déployant sa serviette d'un geste enthousiaste. Vous ne m'en voudrez pas, j'ai déjà commandé ; je tiens à vous faire découvrir ce que je considère comme le meilleur de la cuisine japonaise à Paris.

    - Pas du tout, dis-je en écarquillant les yeux parce que les serveurs ont déposé devant nous des bouteilles de saké et, dans une myriade de coupelles précieuses, toute une série de petits je-ne-sais-quoi qui doit être très bon.

    Et nous commençons. Je vais à la pêche au concombre mariné, qui n'a de concombre et de marinade que l'aspect tant c'est, sur la langue, une chose délicieuse. Kakuro soulève délicatement de ses baguette de bois auburn un fragment de... mandarine ? tomate ? mangue ? et le fais disparaître avec dextérité. Je fourrage immédiatement dans la même coupelle.

    C'est de la carotte sucrée pour dieux gourmets.

    - Bon anniversaire alors ! dis-je en levant mon verre de saké.

    - Merci, merci beaucoup ! dit-il en trinquant avec moi.

    - C'est du poulpe ? je demande parce que je viens de dénicher un petit morceau de tentacule crénelé dans une coupelle de sauce jaune safran.

    On apporte deux petits plateaux de bois épais, sans bords, surmontés de morceaux de poisson cru.

    - Sashimis, dit Kakuro. Là aussi, vous trouverez du poulpe.

    Je m'abîme dans la contemplation de l'ouvrage. La beauté visuelle en est à couper le souffle. Je coince un petit bout de chair blanc et gris entre mes baguettes malhabiles (du carrelet, me précise obligeamment Kakuro) et, bien décidée à l'extase, je goûte.

    Qu'allons-nous chercher l'éternité dans l'éther d'essences invisibles ? Cette petite chose blanchâtre en est une miette bien tangible.

    Muriel BARBERY, L'Elégance du hérisson, 2006.

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