Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Déjeuner méridional chez Colette

Imprimer Catégories : Littérature gourmande

L'avantage avec les livres médiocres, c'est qu'ils vous renvoient naturellement à la source. Je n'avais pas plus tôt terminé le livre de Simonetta GREGGIO que je suis retournée me plonger dans COLETTE. La canicule aidant, c'est vers La Naissance du jour que je me suis tournée. Pourquoi ? parce qu'il n'est pas de plus beau textes sur le midi de la France, sesvague plaisirs simplicissimes, le ciel, le soleil et la mer (à ce propos, allez écoutez le très beau disque de reprises de Laurent VOULZY, La Septième Vague : il ira parfaitement dans l'ambiance...).

La Naissance du jour, donc. Madame COLETTE - ou plutôt le double littéraire de madame COLETTE - qui renonce à l'amour ("Une des grandes banalités de l'existence, l'amour, se retire de la mienne. [...] Sortis de là, nous nous apercevons que tout le reste est gai, varié, nombreux.").. mais pas aux plaisirs de la vie. Voici donc un :

DEJEUNER MERIDIONAL CHEZ COLETTE

On voit, sur le visage d'un homme qui suit, du regard, certains apprêts ménagers, surtout ceux d'un repas, une expression mêlée de considération religieuse, d'ennui et de frayeur. L'homme craint le balayage comme un chat, et le fourneau allumé, et l'eau savonneuse que pousse un balai-brosse sur les dalles.

Pour fêter un saint local qui commande traditionnellement aux frairies, Ségonzac, Carco, Régis Gignoux et Thérèse Dorny devaient quitter les hauteurs d'une colline, et manger ici un déjeuner méridional, salades, rascasse farcie et beignets d'aubergines, ordinaire que je corsais de quelque oiseau rôti.

Vial, qui habite à trois cents mètres d'ici un dé peint en rose, n'était pas heureux ce matin, car le réchaud à repasser, équipé en grill à braise, encombrait un coin de la terrasse, et mon voisin se faisait petit comme un chien de chasse le jour d'une noce.

- Ne crois-tu pas, Vial, qu'ils aimeront ma sauce, avec les petits poulets ! Quatre petits poulets, fendus par moitié, frappés du plat de la hachette, salés, poivrés, bénits d'huile pure, administrée avec un goupillon de pebreda dont les folioles et le goût restent sur la chair grillée ? Regarde-les, s'ils ont bonne mine ?

Vial les regardait, et moi aussi. Bonne mine... Un peu de sang rose demeurait aux jointures rompues des poussins mutilés, plumés, et on voyait la forme des ailes, la jeune écaille qui bottait les petites pattes, heureuses ce matin encore de courir, de gratter... Pourquoi ne pas faire cuire un enfant, aussi ? Ma tirade mourut et Vial ne dit mot. Je soupirais en battant ma sauce acidulée, onctueuse, et tout à l'heure pourtant l'odeur de la viande délicate, pleurant sur la braise, m'ouvrirait tout grand l'estomac... Ce n'est pas aujourd'hui, mais c'est bientôt, je pense, que je renoncerai à la chair des bêtes...

- Serre-moi mon tablier, Vial. Merci. L'an prochain...

- Que ferez-vous l'an prochain ?

- Je serai végétarienne. Trempe le bout de ton doigt dans ma sauce. Hein ? Cette sauce-là sur les petits poulets tendres... N'empêche que... - pas cette année, j'ai trop faim - n'empêche que je serai végétarienne.

- Pourquoi ?

- Ce serait long à expliquer. Quand certain cannibalisme meurt, tous les autres déménagent d'eux-mêmes, comme les puces d'un hérisson mort. Reverse-moi de l'huile, doucement...

COLETTE, La Naissance du jour, 1928.

patio_exterieur_nord_plage

La cour intérieure de la Treille muscate. Source ici.

4 commentaires Pin it! Lien permanent

Commentaires

  • Colette, c'est associé au début de l'adolescence pour moi. quand je découvre un auteur qui me plaît, je me fais en général une série, et puis après je passe à un autre auteur. Tout ça pour dire que Colette, je ne m'y suis pas replongée depuis longtemps et ô joie! je n'ai pas lu celui-ci... je suis en train, grâce à toi de me concocter une shopping liste du tonnerre en vue de mes vacances!

  • Moi aussi je suis loin de tout avoir lu de Colette, sûrement que ce billet ci t'intéressera...http://saveurpassion.over-blog.com/article-5780754.html

  • Ces textes superbes que je découvre pour certains, sont empreints, en plus d'une indéfinissable poèsie et d'une beauté sans faille, de secrets culinaires très convoîtés, très recherchés... Un seul mot (ou plutôt deux) : Bravo et Merci !!!

  • Merci, Roger !

Les commentaires sont fermés.