Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Ma Bibliothèque... verte ! - Page 4

  • Les belles choses que porte le ciel (D. MENGESTU)

    Imprimer Catégories : Ma Bibliothèque... verte !

    Le hasard a voulu qu'à mon retour d'Afrique la sélection du mois de ELLE ait justement ce thème pour deux livres sur trois ! C'est ainsi que j'ai découvert le premier roman de Dinaw MENGESTU, Éthiopien émigré aux États-Unis.

    Les_belles_choses_que_portent_le_ciel

    "Le jeune Sépha a quitté l’Éthiopie dans des circonstances dramatiques. Des années plus tard, dans la banlieue de Washington où il tient une petite épicerie, il tente tant bien que mal de se reconstruire, partageant avec ses deux amis, Africains comme lui, une nostalgie teintée d’amertume qui leur tient lieu d’univers et de repères. Mais l’arrivée dans le quartier d’une jeune femme blanche et de sa petite fille métisse va bouleverser cet équilibre précaire… "

    Ce roman est d'une grande douceur à la lecture. Le terme peut surprendre mais c'est néanmoins le mot qui s'impose. N'allez pas pour autant imaginer que tout y est joie et bonheur, c'est exactement le contraire. Simplement, la manière de le raconter, la petite musique de MENGESTU est empreinte de mélancolie, de résignation et de langueur. Le personnage de Stépha est d'une grande lucidité sur lui même, sur la condition des déracinés comme lui et sur le monde qui change.

    Épicier dans Logan Circle, un quartier autrefois misérable mais qui connaît depuis quelques temps une réhabilitation et une inflation immobilière, Stepha voit passer les gens et les choses, ne pouvant se résoudre à entrer dans la ronde et préférant en rester spectateur. Flanqué de deux amis, africains comme lui, chacun incarne un aspect du déracinement et de la volonté d'intégration. Le constat est amer, pessimiste, il est cependant plein d'humanité.

    Ainsi ce passage où Stepha esquisse son autoportrait :

    Lorsque mon oncle Berhane m'avait demandé pourquoi j'avais choisi d'ouvrir une petite épicerie dans un quartier noir pauvre alors que rien dans ma vie ne m'avait préparé à ce genre de chose, je ne lui avais jamais dit que c'était parce que tout ce que j'attendais de la vie maintenant, c'était de pouvoir lire tranquillement, seul, le plus longtemps possible dans la journée. Je l'avais quitté, lui et son modeste appartement de trois pièces en banlieue, pour emménager à Logan Circle, une décision qu'il n'a toujours pas comprise et qu'il ne m'a toujours pas pardonnée, quoi qu'il en dise. Il nourrissait les plus grandes ambitions pour moi, lorsque j'étais arrivé d'Ethiopie. "Tu verras, me disait-il toujours de sa voix douce et éloquente, tu seras ingénieur, ou bien médecin. J'aimerais tellement que ton père soit toujours vivant pour voir ça." Les larmes lui montaient parfois aux yeux quand il parlait de l'avenir, qui, il le croyait, ne pouvait qu'être plein de choses meilleures et plus belles. Cela dit, à Logan Circle, je n'avais pas à être quelqu'un de plus grand que ce que j'étais déjà. J'étais pauvre, noir, et portais l'anonymat qui allait avec ça comme un bouclier contre toutes les premières ambitions de l'immigrant, qui m'avaient depuis longtemps déserté, si tant est que je les aie un jour ressenties. De fait, je n'étais pas venu en Amérique pour trouver une vie meilleur. J'étais arrivé en courant et en hurlant, avec les fantômes d'une ancienne vie fermement attachée à mon dos. Mon objectif, depuis lors, avait toujours été simple : durer, sans être remarqué, jour après jour, et ne plus faire de mal à qui que ce soit.

    Dinaw MENGESTU, Les belles choses que porte le ciel, 2007.

    "Un homme coincé entre deux mondes vit et meurt seul. Ça fait assez longtemps que je vis ainsi en suspension."

    D. MENGESTU

    3 commentaires Pin it! Lien permanent
  • Jeu de piste à Volubilis (M. DUCOS)

    Imprimer Catégories : Ma Bibliothèque... verte !

    En bonne fille, le coeur de la mienne appartient à son papa, "you know... le propriétaire !" C'est pourquoi elle est rentrée pleine d'enthousiasme de l'école mardi soir : "Alors là, j'ai ramené un livre des Incorruptibles que papa va a-do-rer !" Elle ne se trompait pas. Mais il n'y a pas que son artiste de père qui a apprécié : le livre a fait l'unanimité à la maison.

    jeudepisteavolubilis

    Car si le papa a apprécié la richesse des références artistiques, la maman a beaucoup aimé le côté énigme policière qui lui a rappelé sa jeunesse de lectrice du Club des Cinq. L'histoire, la voici :

    "Un jour qu'elle peine à apprendre une poésie, une fillette découvre une mystérieuse clé cachée dans son bureau. C'est le premier indice d'un palpitant jeu de piste, qui la conduira à découvrir le secret de sa grande maison moderne, la villa Volubilis."

    Et disons-le, ce premier album de Max DUCOS est une réussite : on se prend complètement au jeu et on accompagne avec bonheur cette petite fille à travers sa grande maison moderne. Chaque indice est le prétexte à la découverte de la maison et d'artistes contemporains ; pêle-mêle je citerai Le Corbusier, Picasso, Calder, Miro, Warhol, Bang Olufsen (!) et plein d'autres encore dont les noms sont dissimulés parmi les titres de la bibliothèque au coeur du livre.

    Alors certes on chipotera en disant que la fin est presque décevante, trop "classique", attendue, mais ce serait bouder son plaisir et je préfère vous laisser avec un extrait et la formule mystérieuse que la petite fille trouve sur la clef :

    En dix indices,

    Volubilis se fait jeu de piste.

    Pour découvrir le premier,

    Regarde bien la clef.

    doublevolubilis1

    Max DUCOS, Jeu de piste à Volubilis, 2006.

    Et pour boucler la boucle, en référence à ce par quoi je commençais et pour le plaisir (spéciale dédicace à Clarabel) :

    3 commentaires Pin it! Lien permanent
  • Les Morsures de l'ombre (K. GIEBEL)

    Imprimer Catégories : Ma Bibliothèque... verte !

    Il est des "genres" littéraires bien périlleux ; le huis-clos en est un. Il nécessite de la maîtrise, une intrigue au cordeau, des personnages irréprochables et un style parfait. Malheureusement, le roman de Karine GIEBEL manque de tout cela.

    Les_morsures_de_l_ombre

    "Une femme. Rousse, plutôt charmante. Oui, il se souvient. Un peu... Il l'a suivie chez elle... Ils ont partagé un verre, il l'a prise dans ses bras... Ensuite, c'est le trou noir. Quand il se réveille dans cette cave, derrière ces barreaux, il comprend que sa vie vient de basculer dans l'horreur. Une femme le retient prisonnier. L'observe, le provoque, lui fait mal. Rituel barbare, vengeance, dessein meurtrier, pure folie ? Une seule certitude : un compte à rebours terrifiant s'est déclenché. Combien de temps résistera-t-il aux morsures de l'ombre ? "

    La quatrième de couverture portait toutes les promesses, elles se sont cependant effritées une à une au fil de la lecture...

    D'abord par les personnages, clichés au-delà du cliché du cliché : lui, le bellâtre, le policier, l'homme à femmes qui enchaîne les conquêtes mais ne quittera jamais sa femme et son fils, dont le sourire le hante au fond de son cachot ; elle, la folle, la meurtrière, blessée au plus profond de son être par les hommes, "déjà morte" comme elle le dit elle même. Des personnages si archétypaux que le duel lasse déjà les vingt premières pages passées...

    L'intrigue ensuite : il est prisonnier, elle le regarde mourir à petit feu, le nargue, il la provoque, le regrette ; de temps à autre, on sort la tête pour aller voir du côté des autres, les vivants, la police, la femme de Benoît Laurent, la psy de la ravisseuse. Ces éléments sont censés nous aider à compléter le portrait de chacun des personnages, ils ne font que nous confirmer dans le déjà-vu, le déjà-dit.

    Le style, enfin, d'une banalité à pleurer. Il se veut fluide, naturel, spontané, il n'est que lourdeur et pseudo réalité. L'auteur abuse d'une ponctuation qui voudrait apporter du dynamisme : je me mets un point d'exclamation ET un point d'interrogation en même, pour montrer toute la dualité des sentiments... Le jeu sur les points de vue est également raté : on entre dans les pensées des uns, des autres, ce qui contribue à éclater la narration et la rendre heurtée.

    Je me suis aussi interrogée sur le propos d'un tel roman : où veut-on en venir ? Tromper sa femme, c'est mal ? Les méchants sont toujours punis ? Les femmes sont toujours les victimes des méchants hommes ? Bref, rien de nouveau sous le soleil... Reste l'impression d'un livre gratuit.

    En témoigne cet extrait entre les deux personnages, pris au début du roman :

    Comment elle s'appelle déjà ?

    Il s'approche des barreaux, s'y accroche des deux mains. Fait une tentative.

    - Lydia ?

    - Je vois que la mémoire vous revient, commandant !

    Gagné ! Je ne me suis pas trompé de prénom !

    - Lydia... Pourquoi m'avez-vous enfermé là-dedans ? C'est quoi ce jeu à la con ?!

    La silhouette se détache de l'ombre, glisse doucement vers lui mais reste à un mètre cinquante de la frontière. Il la reconnaît, maintenant. Grande, élégante. De longs cheveux, la peau claire. Et sur les lèvres, un funeste sourire.

    - La plaisanterie a assez duré, Lydia ! ... Alors vous allez ouvrir cette grille et... Où est mon flingue, d'abord ?

    - Votre arme est entre mes mains désormais. Tout comme votre vie...

    Karine GIEBEL, Les Morsures de l'ombre, 2007.

    7 commentaires Pin it! Lien permanent
  • Le Baiser d'Isabelle (N. CHATELET)

    Imprimer Catégories : Ma Bibliothèque... verte !

    Voilà un livre tout empli d’humanité et de don de soi.

    le_baiser_d_Isabelle

    L’histoire en est magnifique et terrible, celle de cette femme défigurée qui va retrouver visage humain grâce au don d’une autre et grâce aussi à la formidable machine mise en branle par les médecins d’Amiens et de Lyon, plus d’autres « intervenants » de divers hôpitaux européens.

    Je craignais une narration laborieuse et technique, j’ai découvert une fantastique aventure humaine, où Noëlle Châtelet a su trouvé le ton juste, mêlant les paroles des uns et des autres, l’art et la science, le rationnel et le sentimental.

    Les personnages sont tous plus attachants les uns que les autres, plus admirables aussi, et concourent à créer cette grande œuvre qu’est la résurrection d’une femme. J’aimé les incertitudes d’Isabelle face à ce nouveau visage qui n’est plus le sien mais qui n’est pas tout à fait autre, les doutes des médecins face à la transgression qu’ils commettent, j’ai haï le mercantilisme des « charognards » qui entravaient le travail et j’ai terminé ce livre plus riche que je ne l’étais en le commençant…

    L'extrait suivant donne une idée de l'atmosphère qui régnait dans la salle d'opération le jour dit :

    9 heures du matin. L'instant de vérité approche. L'ont-ils senti. Pressenti ?

    Quelqu'un va choisir la prochaine musique.

    Un chant de matines s'élève au-dessus des têtes encore penchées sur l'ouvrage. Le moment est imminent de laisser le sang passer, de voir s'il passe dans le greffon.

    Les yeux rivés à son microscope, le Pr Bernard D. soude un dernier vaisseau de 1,5 millimètre de diamètre avec son fil invisible à l'oeil nu, un tuyau rigide mais qui peut se spasmer...

    Enfin, il lâche le clamps qui retient encore le sang...

    Chacun racontera à sa façon, avec ses mots, son émotion, la magie de cet instant unique, emblématique de la greffe d'Isabelle. On évoquera toutes sortes de métaphores pour tenter d'exprimer l'inexprimable, jusqu'à celle d'une fleur japonaise qui s'épanouirait au contact de l'eau.

    Le Pr. Sylvie T. fait reculer tout le monde :

    "Regardez ! Regardez, patron !"

    Noëlle CHATELET, Le Baiser d'Isabelle, 2007.

    9 commentaires Pin it! Lien permanent
  • Hôtel de l'insomnie (D. de VILLEPIN)

    Imprimer Catégories : Ma Bibliothèque... verte !

    On devrait toujours se méfier des émissions de télévision bien faites. Ainsi l'autre soir, alors que je regardais celle de Guillaume DURAND, Esprits libres, où Juliette BINOCHE et Dominique de VILLEPIN s'affrontaient à fleurets mouchetés, il m'est venue l'idée irrépressible de lire, justement, le dernier livre de l'ancien Premier Ministre. Il s'exprimait avec tant de chaleur et de passion sur les arts en général et les artistes en particulier, évoquant indifféremment peintres, écrivains ou poètes, que cette érudition à hauteur d'homme me donna envie.

    Hotel_de_l_insomnie

    J'achetai. Bon, j'avais oublié dans mon enthousiasme que Dominique de VILLEPIN était aussi l'ancien Premier Ministre et que ce "journal d'insomnies" était celui de ses nuits au ministère... Du coup, ça devenait un peu moins "artistique" et un peu plus "politique" même si le propos était et reste celui de coucher sur le papier des rêveries issues du plus profond de lui.

    J'ai moyennement aimé le livre. Si l'auteur en parle bien, ce lyrisme et ardeurs dithyrambiques tombent un peu à plat à l'écrit et produisent un ouvrage souvent plus précieux qu'érudit. Néanmoins il en reste de beaux passages, sur Saint-John Perse ou Aimé Césaire par exemple, et l'originalité d'un livre qui ne ressemble pas au "journal d'un politique".

    Dans l'extrait suivant, il précise son propos :

    La blessure est féconde quand elle nous ouvre à de nouvelles naissances. D'autres vies, d'autres visages, qui jaillissent d'un livre d'images et allègent le fardeau. Victoire enfin de celui qui, déchu, défie la peur de la mort.

    Des figures anciennes viennent nous retrouver, au moment où nous nous y attendons le moins. Elles ne nous hantent pas, mais nous habitent le temps d'un souvenir. Une ombre passe, nous la reconnaissons, comme nous croyons reconnaître une voix chère qui s'est tue.

    Dominique de VILLEPIN, Hôtel de l'insomnie, 2008.

    3 commentaires Pin it! Lien permanent
  • Garden of love (M. MALTE)

    Imprimer Catégories : Ma Bibliothèque... verte !

    Que voilà donc un roman troublant :

    Garden_of_love

    Sa couverture énigmatique d'abord avec ce noir qui envahit tout et semble se délaver en arrivant en haut de la page, ce triangle blanc qui annonce un auteur dont on ne parvient à déterminer la nationalité, un titre en anglais, bref, tout concourt au mystère.

    "Troublant, diabolique même, ce manuscrit qu'Alexandre Astrid reçoit par la poste. Le titre: Garden of love. L'auteur : anonyme. Une provocation pour ce flic sur la touche, à la dérive, mais pas idiot pour autant. Loin de là. Il comprend vite qu'il s'agit de sa propre vie. Dévoyée. Dévoilée. Détruite. Voilà soudain Astrid renvoyé à ses plus douloureux et violents vertiges. Car l'auteur du texte brouille les pistes. Avec tant de perversion que s'ouvre un subtil jeu de manipulations, de peurs et de pleurs. Comme dans un impitoyable palais des glaces où s'affronteraient passé et présent, raison et folie, Garden of love est un roman palpitant, virtuose, peuplé de voix intimes qui susurrent à l'oreille confidences et mensonges, tentations et remords. Et tendent un redoutable piège. Avec un fier aplomb."

    S'ensuit une histoire labyrinthique, pleine de chausse-trappes, où l'on ne sait plus où est le roman, où est la réalité... sachant que les deux sont romans ! Ce livre m'a troublée, désorientée, intriguée : j'ai eu envie d'en savoir plus sur ces personnages étranges, ces deux hommes et cette femme d'une part, héros d'un roman qui n'est autre que le roman de la vie du héros, et sur la complexité du personnage d'Alexandre Astrid d'autre part. En même temps, je l'avoue, le côté emberlificoté de la narration, ce glissement permanent d'un monde à l'autre m'a un peu fatiguée... Un roman intéressant donc, à lire sans doute, mais un exercice de style plus qu'un policier palpitant.

    J'aurais dû me douter qu'il y avait un putain de fantôme pour m'envoyer ses voeux.

    Il y avait longtemps que je n'attendais plus de lettres de personne. Même à cette période de l'année. J'avais coupé tous les ponts et je ne voyais pas qui se serait donné la peine de ramer pour venir jusqu'à moi.

    Tout ça pour dire que je jetais un oeil à ma boîte environ tous les trente-six du mois, juste pour savoir combien je devais aux uns et aux autres. C'est presque un hasard si j'ai découvert le paquet. C'aurait pu se faire encore plus tard.

    C'était une enveloppe en papier kraft, assez épaisse. Mon nom et mon adresse libellés à la main : M. Alexandre Astrid, 106 chemin des Carmes... Pas de nom d'expéditeur. [...]

    J'ai fini par me décider. J'ai pris un couteau de cuisine et je lui ai ouvert le ventre d'un coup sec.

    L'enveloppe contenait une pile de feuillets imprimés. Papier machine, format A4. Le texte était tapé sur ordinateur, les pages non reliées entre elles et numérotées. L'ensemble se présentait comme un roman ou un récit intitulé :

    So I turn'd to the Garden of Love

    That so many sweet flowers bore...

    Si on peut appeler ça un titre. L'auteur avait omis de signer son oeuvre.

    J'ai regardé l'heure, par réflexe. Je n'avais rien de plus urgent à faire. Je me suis assis et j'ai commencé à lire.

    Cent cinquante-trois pages en tout. Ça m'a pris la matinée. Je m'arrêtais de temps en temps pour une pause-café. Quand j'étais au bord de l'implosion. Certains passages m'ont dévasté. Des coups à bout portant. Impact garanti - espèce d'enfoiré ! - J'ai serré les dents. J'ai vidé la cafetière. Je suis allé jusqu'au bout. Après la dernière page, je me suis affalé contre le dossier.

    "Espèce d'enfoiré !" j'ai craché pour la quinzième fois.

    Marcus MALTE, Garden of Love, 2008, éditions Zulma.

    4 commentaires Pin it! Lien permanent
  • Zoli (C. Mc CANN)

    Imprimer Catégories : Ma Bibliothèque... verte !

    Le hasard a voulu que LE POINT du 7/02/08 consacre un article aux Roms, ces "parias de l'Europe", article qui détaillait la condition des Roms, ces "éternels indésirables". Or justement, j'avais refermé la veille :

    Zoli

    "Les plaines de Bohème à la France, en passant par l'Autriche et l'Italie, des années trente à nos jours, une magnifique histoire d'amour, de trahison et d'exil, le portrait tout en nuances d'une femme insaisissable. Porté par l'écriture étincelante de Colum McCann, Zoli nous offre un regard unique sur l'univers des Tziganes, avec pour toile de fond les bouleversements politiques dans l'Europe du XXe siècle.

    Tchécoslovaquie, 1930. Sur un lac gelé, un bataillon fasciste a rassemblé une communauté tzigane. La glace craque, les roulottes s'enfoncent dans l'eau. Seuls en réchappent Zoli, six ans, et son grand-père, Stanislaus.

    Quelques années plus tard, Zoli s'est découvert des talents d'écriture. C'est le poète communiste Martin Stránský qui va la remarquer et tenter d'en faire une icône du parti. Mais c'est sa rencontre avec Stephen Swann, Anglais exilé, traducteur déraciné, qui va sceller son destin. Subjugué par le talent de cette jeune femme, fasciné par sa fougue et son audace, Swann veut l'aimer, la posséder. Mais Zoli est libre comme le vent.

    Alors, parce qu'il ne peut l'avoir, Swann va commettre la pire des trahisons..."

    A lire la quatrième de couverture, le roman avait le souffle romanesque des grandes épopées. A la lecture, je serais un peu plus nuancée. Le personnage de Zoli, orpheline au prénom de garçon devenue poétesse, est certes complètement romanesque ; sa conquête de l'indépendance - dont elle paiera le prix - est captivante ; cependant, l'histoire de Zoli (inspirée d'une poétesse qui a elle bien existé : Bronislava Wajs) étant étroitement liée à celle du peuple tzigane, Colum McCANN mène de front ces deux épopées, ce qui ne va pas sans entraîner certaines lourdeurs dans sa narration.

    La première partie est édifiante : c'est l'enfance de Zoli, seule rescapée du massacre de sa famille (et du reste de la tribu) avec son grand-père, qui parcourt l'Europe de l'Est de tribu en tribu. Elle deviendra chanteuse, puis poétesse, pour son bonheur et son malheur. Colum McCANN dévoile ici la condition des Roms sous le régime nazi, puis après, la volonté de les intégrer progressivement et de les sédentariser. Ce qui sera développé dans la deuxième partie, où Zoli, bannie par son peuple, est condamnée à fuir, toujours vers l'ouest. Elle laissera son peuple, qui ira s'entasser dans des tours en périphérie des villes. Et puis enfin, on le retrouvera à la fin de sa vie, épouse heureuse et mère d'une fille installé en France et organisant une conférence sur le peuple rom.

    Ce que j'ai apprécié dans ce roman, c'est l'empathie que son auteur a su créé avec son personnage principal : on suit Zoli, on partage ses sentiments, on la comprend. Ce qui est d'autant plus méritoire que ce personnage est à cent lieux de nos petites vies sédentaires. On y découvre un univers très codifié, des traditions très lourdes et c'est tout à la fois étrange, passionnant et dérangeant. On ne peut s'empêcher d'éprouver des sentiments très divers à la lecture de Zoli : on éprouve de la compassion, voire de la culpabilité envers cette population tsigane qui a toujours connu l'exil, et en même temps, on songe à ces silhouettes qui mendient aux feux rouges, à ces mères assises sur les trottoirs, leurs enfants dans les bras, à ces baraquements en périphérie des villes. Et puis reste l'image d'un peuple fier, qui refuse de se laisser abattre et reste debout, à l'image de cette confession de Zoli à sa fille :

    A condition d'y mettre le sucre et les larmes, on leur fait avaler n'importe quoi. Ils s'en pourlèchent et, dans leur bouche, le sucre et les larmes font une pâte qu'ils appellent compassion. Essaie un jour, chonorroeja, tu te sentiras peut-être fondre toi-même.

    Je n'arrive pas à expliquer pourquoi, si nombreux, ils nous ont détestés avec tant de ferveur et pendant tant d'années. Si j'y arrivais, ça rendrait les choses encore bien trop faciles. Ils nous font taire en nous coupant la langue, ensuite ils viennent nous demander les réponses. Ils refusent de penser par eux-même, et ils méprisent ceux qui ont des idées. Ils ne se sentent bien qu'avec un fouet au dessus de la tête et, la plupart du temps, notre arme la plus dangereuse n'est qu'une chanson. Je suis pleine du souvenir de ceux qui ont vécu et de ceux qui sont morts. Nous avons aussi nos couillons et nos démons, chonorroeja, mais la haine des autres, autour et partout, nous rassemble. Montre-moi un seul coin de terre dont nous ne sommes pas partis, d'où nous ne partirons pas, un seul endroit qu'il n'a pas fallu éviter. Si j'ai maudit beaucoup des nôtres, nos supercheries, notre double langage, ma propre vanité et la propre bêtise, le pire d'entre nous ne s'est jamais retrouvé avec les pires d'entre eux. Ils nous appellent leurs ennemis pour n'avoir pas à se regarder. Ils retirent la liberté de l'un pour la donner à l'autre. Ils transforment la justice en vengeance mais continuent de l'appeler justice. On attend de nous qu'on lise l'avenir, ou du moins qu'on lui vide les poches. Ils nous rasent la tête, nous traitent de voleurs, de menteurs, d'ordures, et nous demandent ensuite pourquoi on ne ferait pas comme eux.

    Colum McCANN, Zoli, 2007, Belfond.

    1 commentaire Pin it! Lien permanent
  • Les Faiseurs d'anges (K. NELSCOTT)

    Imprimer Catégories : Ma Bibliothèque... verte !

    C'est d'abord un titre un peu dérangeant : Les Faiseurs d'ange et une couverture qui interpelle, avec ses chaussons d'enfant.

    Les_Faiseurs_d_ange

    C'est ensuite un univers sur lequel la littérature policière contemporaine n'a pas tant écrit que cela : l'avortement dans la société américaine de la fin des années Soixante, et la ségrégation toujours larvée. Un épisode de la série Cold Case, diffusé cet hiver traitait du même sujet, avec une bande-son absolument fantastique (Marvin GAYE, PROCOL HARUM ou encore James BROWN).

    L'histoire ? "Smokey Dalton, un très bel homme qui fait tourner la tête de toutes ces dames, a fui Memphis pour protéger son fils adoptif, Jimmy, unique témoin à avoir réellement vu l'assassin de Martin Luther King, et recherché depuis par le FBI. Sous une fausse identité, Smokey vit maintenant à Chicago où il exerce divers petits métiers. Un soir, alors qu'il rentre chez lui accompagné de la jolie Laura Hathaway, seule Blanche présente au gala donné par Ella Fitzgerald en faveur des enfants orphelins de la communauté noire, il entend des gémissements venant de l'appartement de sa voisine, Marvella... Kris Nelscott poursuit le récit des formidables enquêtes de son héros, qui débutent en 1968 avec la tragique disparition du leader de la communauté noire américaine. Dans Les Faiseurs d'anges, elle évoque un terrible drame : celui des avortements, formellement interdits, qui se terminent trop souvent à l'hôpital. Une nouvelle fois, le lecteur suit avec passion, dans une Amérique confrontée à ses éternels démons, les aventures de Smokey Dalton, éblouissant d'intelligence et... d'humanité."

    J'ai effectivement beaucoup apprécié la peinture de cette société américaine qui n'en finit pas d'en finir avec son passé ségrégationniste. J'ai aimé vivre "en vrai" par le biais de la littérature cette époque où la société noire américaine devait panser ses plaies (assassinat de Martin Luther King) et affronter l'émergence d'une nouvelle époque, plus revendicative et plus violente (le recrutement des enfants par les gangs sous couvert de les protéger et les éduquer). Grâce à ce roman, j'ai compris à que c'était à ce moment-charnière que c'était mis en place le monde que nous connaissons aujourd'hui aux USA - et ailleurs. Pour le reste, l'intrigue policière ne m'a pas complètement convaincue mais à la limite, c'était secondaire tant la peinture sociale et sociologique était intéressante.

    Ainsi un extrait d'une conversation entre le héros-narrateur de l'histoire, sa petite amie Laura et la voisine chez qui il a découvert une jeune femme ensanglantée qu'il a menée à l'hôpital.

    Marvella adressa un signe de tête à Laura. "Vous n'avez qu'à lui expliquer."

    Laura redressa les épaules, se pencha légèrement en arrière de manière à pouvoir mieux me voir. "Je ne sais pas si ce sont les consignes de l'hôpital ou la politique des médecins, mais il arrive parfois -

    - Toujours, dit Marvella. Ils le font systématiquement."

    Laura secoua la tête. "Pas toujours.

    - Sur les femmes noires -

    - Et sur les femmes pauvres, enchaîna Laura . Mais certaines femmes parviennent à l'éviter. D'après ce que je sais, Cook County est le pire à cet égard. J'ai pensé que nous ne risquions rien en l'amenant ici, mais, quand nous sommes arrivés, je n'en étais plus aussi sûre."

    De nouveau, elles recommençaient à parler par codes.

    "Est-ce que vous allez enfin m'expliquer comment ils pouvaient la punir ?" dis-je.

    Marvella me regarda : son expression était dure et ses yeux brillaient de quelque chose bien plus fort que la simple colère. C'était quasi de la rage.

    "Ils vont la stériliser", dit Marvella.

    Je reculai, horrifié autant par le ton de sa voix que par ses paroles. Je n'avais jamais perçu autant de haine dans sa voix.

    "C'est pour ça que je ne voulais pas qu'elle aille en chirurgie, Bill. Parce qu'ils vont décréter qu'elle est indigne d'être mère ; et ils vont décider que, puisqu'elle ne voulait pas de celui-là, elle n'aura pas le droit d'en avoir d'autres. Et ils vont la priver de la chance d'avoir des enfants? Pour toujours."

    Je laissai échapper un rire nerveux. "Ils n'ont pas le droit de faire ça.

    - Je ne sais pas s'ils en ont le droit, confirma Laura. Mais ils le font. Je connais une femme à qui cela est arrivé."

    Kris NELSCOTT, Les Faiseurs d'anges, éditions L'Aube noire, 2007.

    Et pour le plaisir, de la série et de U2 :

    5 commentaires Pin it! Lien permanent
  • Comment dévorer un livre sans avoir mal au ventre ? (C. PONTI)

    Imprimer Catégories : Ma Bibliothèque... verte !

    Il est des livres qui sont les meilleurs des euphorisants. L'Almanach ouroulboulouck de Claude PONTI est de ceux-là.

    Claude PONTI, je l'ai découvert grâce à ma fille. Dans son abonnement à l'École de Loisirs proposé par le biais de son école, lui parvint un jour un livre que je qualifierai de pur bonheur : Sur l'Île des Zertes. C'est inracontable, inimitable, invraisemblable, bien sûr, mais c'est exactement le genre de livre que je me plais à ouvrir les jours de déprime et qui amène très vite un sourire sur mon visage, voire une franche rigolade. La cocasserie des situations, l'inventivité lexicale, la loufoquerie des histoires où la poésie reste cependant omniprésente, j'aime tout !

    Alors vous pensez bien que lorsque j'ai découvert la dernière production pontienne, à savoir cet almanach, je me suis ruée dessus. Quoi, j'aurais le bonheur d'avoir du PONTI nouveau chaque semaine et je laisserais ça à d'autres ? Que nenni. Surtout que cet almanach est dans la veine du reste. "Pour tous les jours des mermaines de toute l'année de la vie. Avec les saisons, les conseils, les bonnes manières et les mauvaises, la Plune et le Grossoleille, les estiolites, les chozafères et les chozapafères, les remèdes de bonne santé, les raisons du pourquoi des choses et les petits riens pour s'essourire et craboutaillasser la Bête Stiole du malheur." Tout un programme...

    Ponti

    "Si vous avez toujours rêvé de tout savoir sur les Ouroulboulouks : leurs histoires préférées, leurs records du monde, leurs recettes (la Tarte surprise aux doigts tièdes, le Nez clair au chocolat…). Si vous êtes friands de bons conseils (quand et comment semer les pantouflons ?), si vous avez soif de connaître la vie d’avant, depuis l’autrefois d’hier jusqu’à l’aujourd’hui de maintenant, alors cet almanach est pour vous, avec ses cartes, ses croquis, ses poésies, ses informations, ses dictons, ses questions."

    Cet almanach, ce n'est que du bonheur : d'abord parce que les Ourouboulocks sont des personnages adorables et adorablement dessinés, ensuite parce que cet almanach foisonne de petites surprises dans tous les coins et recoins, enfin pour le plaisir, purement et simplement, d'une lecture rafraîchissante, revigorante... et hilarante. De surcroît, la semaine 44, c'est-à-dire la première de Jovembre, on trouve un article qui m'a paru fait pour moi. Voici donc :

    COMMENT DÉVORER UN LIVRE SANS AVOIR MAL AU VENTRE

    - Choisir un livre pas trop épais et palpitant.

    - Caresser la couverture de haut en bas, devant, derrière, avec douceur et fermeté.

    - Dès que le livre ronronne et qu'il dégage une bonne odeur d'encre, le jeter sur un lit tiède, dont la couette aura été plusieurs jours exposée au Grossoleille.

    - Plonger immédiatement sur le lit et mordre le premier chapitre à pleines dents, sans laisser aux dents le temps de ricaner. C'est le ricanement des dents qui rend le livre amer et difficile à digérer.

    - Continuer jusqu'au dernier chapitre. Certains croquent aussi la couverture. C'est une affaire de goût ou de préférence. Il arrive qu'avec une cuillerée de moutarde rose de l'Orroco, tartinée entre les pages du milieu, le livre ronronne comme un troupeau de Schtrampsz en pleine nuit câline. Dévorer un livre qui ronronne de cette manière est un bonheur qui transforme l'Ouroulboulouck qui s'en est nourri. Il scintille. Il ne lui pleut plus jamais dessus, même en pleine tempête. Parfois, une odeur de miel de marbre l'accompagne. Le sourire des dévoreurs de livres scintillants est très connu.

    Claude PONTI, L'Almanach ouroulboulouck, 2007.

    Et surtout, n'oubliez pas : "Car c'est avec le bon gros sourigolpoil qu'on écrabouillatasse la Bête Stiole du malheur et qu'on raplatouille sa soeur, Hollalatri Stesse, quand elle ne sert à rien de rien du tout."

    1 commentaire Pin it! Lien permanent
  • Les vivants et les ombres (D. MEUR)

    Imprimer Catégories : Ma Bibliothèque... verte !

    C'est d'abord l'objet-livre que je trouve magnifique : les éditions Sabine Wespieser proposent des livres superbes. La couverture cartonnée est caressante sous les doigts, des pages très brunes encadrent l'ouvrage et le papier est riche, épais, dense. Ce sont des livres-plaisir. Plaisir qui a - forcément - un prix : ils sont souvent plus chers que les autres et celui-là ne fait pas exception à la règle.

    vivants

    L'histoire en est tout à fait originale, non par sa trame elle même, une saga familiale, mais par sa narratrice. En effet, c'est la maison qui va raconter son histoire et, à travers elle, celle d'une famille.

    "En Galicie, terre rattachée à l’empire habsbourgeois depuis le partage de la Pologne, l’obscure famille Zemka reconquiert le domaine fondé par un ancêtre noble et s’engage fiévreusement dans la lutte d’indépendance polonaise. Pour retracer son ascension puis sa décadence, l’auteur convoque une singulière narratrice : la maison elle-même qui, derrière sa façade blanche et son fronton néo-classique, épie ses habitants.
    Indiscrète et manipulatrice, elle attise les passions, entremêle les destins, guette l’écho des événements qui, des révolutions de 1848 aux tensions annonciatrices du désastre de 1914, font l’histoire de l’Europe. Elle est partout, entend tout, garde en elle toutes les ombres d’un passé qu’elle connaît mieux que les vivants. Mais les vivants ont sur elle un avantage qu’elle leur envie : leurs drames, leurs désirs et leur mobilité.
    Les femmes surtout la fascinent. Condamnées comme elle à la réclusion dans la sphère domestique, elles sont réduites, de mère en fille et de tante en nièce, à attendre l’amour en scrutant l’horizon.
    Mais l’horizon, c’est toujours la plaine, les champs, le clocher de la petite église uniate. Les arbres poussent, les vies se nouent et on dirait que rien ne change… Rien ne change, vraiment ? Pourtant, voilà qu’on se trouve au seuil du XXème siècle avec l’impression d’en avoir déjà entrevu les exodes, les cassures et les embrasements.
    Une jeune femme, enfin, réussira à s’en aller… "

    Saga familiale, donc, mais une saga à l'image de sa narratrice, presque contemplative. Le temps se déroule, les enfants naissent, d'autres meurent, d'autres encore s'effacent purement et simplement de l'arbre généalogique qui se tient en début de roman, et l'Histoire, la grande histoire, avance... Il semble que Diane MEUR a repris tous les poncifs du roman du XIXème siècle : un fringant et ambitieux jeune homme devenu patriarche acariâtre et empli de désillusions, une épouse docile et malheureuse, des filles qui s'échappent, physiquement ou mentalement, des héritiers inaptes, tout concourt à brosser une grande fresque flamboyante. Et pourtant la flamboyance n'y est pas. Est-ce dû au décor, cette Galicie perdue au confins de l'Europe, morceau de Pologne annexée par l'Autriche ? A cette maison, inamovible douairière engourdie dans sa somnolence ?

    J'ai trouvé l'histoire belle, l'intention bonne, mais aussi les 711 pages un peu longues parfois...

    Voici le passage où la maison décrit Jozef, le héros, si tant est qu'il y en ait un, du roman. Ses beaux-parents viennent de décéder et le voici, avec sa femme Clara, propriétaire...

    Il est propriétaire, et la face du monde, pour lui, en est bouleversée.

    La face du monde bouleversée ! J'ai toujours trouvé un peu risible l'importance que la plupart des humains attachent à ces choses. Selon que la terre est à eux ou à d'autres, ils ont une façon toute différente de la regarder et même de s'y mouvoir. Et pourtant, dans les faits, à qui est-elle vraiment ? Si on me le demandait, je dirais : au vent, qui brasse bien plus d'arpents que n'en possédèrent jamais les Radziwill ou les Zamoyski, courbe les blés en longues ondes dans la plaine, renverse les arbres, prélève sa dîme d'ardoises. Qui, de tout homme, fait un manant obligé de se découvrir sur son passage, de toute femme une serve dont il dénude les jambes et fouit les cheveux à son caprice.

    Mais les humains, eux, voient cette question de la propriété au travers de prismes que je trouve bien abstraits : à qui fut la terre il y a cinquante ou cent ans ? De quel État relève-t-elle ? Qui détient le bout de papier ? Je veux parler des chartes, traités diplomatiques, titres de propriété et autres chiffons auxquels ils accordent tant de valeur.

    Bien sûr, je suis moi-même soumise à ce régime. Il y a quelque part, et Jozef y pense avec ntensité à l'instant que j'évoque, un chiffon attestant que je suis (provisoirement) son bien et celui de sa femme. Mais j'avoue ne pas me sentir très concernée par ces écritures. Leur propriété ! ils me font rire. Ils croient me posséder : c'est moi qui les possède.

    Car je les ai tous vus passer, moi. Chacun entre en fonction avec l'idée que commence à ce jour un infini, un immuable ; mais leurs règnes en moyenne n'excèdent pas trente ans.

    Diane MEUR, Les Vivants et les ombres, 2007.

    1 commentaire Pin it! Lien permanent