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Les vivants et les ombres (D. MEUR)

Imprimer Catégories : Ma Bibliothèque... verte !

C'est d'abord l'objet-livre que je trouve magnifique : les éditions Sabine Wespieser proposent des livres superbes. La couverture cartonnée est caressante sous les doigts, des pages très brunes encadrent l'ouvrage et le papier est riche, épais, dense. Ce sont des livres-plaisir. Plaisir qui a - forcément - un prix : ils sont souvent plus chers que les autres et celui-là ne fait pas exception à la règle.

vivants

L'histoire en est tout à fait originale, non par sa trame elle même, une saga familiale, mais par sa narratrice. En effet, c'est la maison qui va raconter son histoire et, à travers elle, celle d'une famille.

"En Galicie, terre rattachée à l’empire habsbourgeois depuis le partage de la Pologne, l’obscure famille Zemka reconquiert le domaine fondé par un ancêtre noble et s’engage fiévreusement dans la lutte d’indépendance polonaise. Pour retracer son ascension puis sa décadence, l’auteur convoque une singulière narratrice : la maison elle-même qui, derrière sa façade blanche et son fronton néo-classique, épie ses habitants.
Indiscrète et manipulatrice, elle attise les passions, entremêle les destins, guette l’écho des événements qui, des révolutions de 1848 aux tensions annonciatrices du désastre de 1914, font l’histoire de l’Europe. Elle est partout, entend tout, garde en elle toutes les ombres d’un passé qu’elle connaît mieux que les vivants. Mais les vivants ont sur elle un avantage qu’elle leur envie : leurs drames, leurs désirs et leur mobilité.
Les femmes surtout la fascinent. Condamnées comme elle à la réclusion dans la sphère domestique, elles sont réduites, de mère en fille et de tante en nièce, à attendre l’amour en scrutant l’horizon.
Mais l’horizon, c’est toujours la plaine, les champs, le clocher de la petite église uniate. Les arbres poussent, les vies se nouent et on dirait que rien ne change… Rien ne change, vraiment ? Pourtant, voilà qu’on se trouve au seuil du XXème siècle avec l’impression d’en avoir déjà entrevu les exodes, les cassures et les embrasements.
Une jeune femme, enfin, réussira à s’en aller… "

Saga familiale, donc, mais une saga à l'image de sa narratrice, presque contemplative. Le temps se déroule, les enfants naissent, d'autres meurent, d'autres encore s'effacent purement et simplement de l'arbre généalogique qui se tient en début de roman, et l'Histoire, la grande histoire, avance... Il semble que Diane MEUR a repris tous les poncifs du roman du XIXème siècle : un fringant et ambitieux jeune homme devenu patriarche acariâtre et empli de désillusions, une épouse docile et malheureuse, des filles qui s'échappent, physiquement ou mentalement, des héritiers inaptes, tout concourt à brosser une grande fresque flamboyante. Et pourtant la flamboyance n'y est pas. Est-ce dû au décor, cette Galicie perdue au confins de l'Europe, morceau de Pologne annexée par l'Autriche ? A cette maison, inamovible douairière engourdie dans sa somnolence ?

J'ai trouvé l'histoire belle, l'intention bonne, mais aussi les 711 pages un peu longues parfois...

Voici le passage où la maison décrit Jozef, le héros, si tant est qu'il y en ait un, du roman. Ses beaux-parents viennent de décéder et le voici, avec sa femme Clara, propriétaire...

Il est propriétaire, et la face du monde, pour lui, en est bouleversée.

La face du monde bouleversée ! J'ai toujours trouvé un peu risible l'importance que la plupart des humains attachent à ces choses. Selon que la terre est à eux ou à d'autres, ils ont une façon toute différente de la regarder et même de s'y mouvoir. Et pourtant, dans les faits, à qui est-elle vraiment ? Si on me le demandait, je dirais : au vent, qui brasse bien plus d'arpents que n'en possédèrent jamais les Radziwill ou les Zamoyski, courbe les blés en longues ondes dans la plaine, renverse les arbres, prélève sa dîme d'ardoises. Qui, de tout homme, fait un manant obligé de se découvrir sur son passage, de toute femme une serve dont il dénude les jambes et fouit les cheveux à son caprice.

Mais les humains, eux, voient cette question de la propriété au travers de prismes que je trouve bien abstraits : à qui fut la terre il y a cinquante ou cent ans ? De quel État relève-t-elle ? Qui détient le bout de papier ? Je veux parler des chartes, traités diplomatiques, titres de propriété et autres chiffons auxquels ils accordent tant de valeur.

Bien sûr, je suis moi-même soumise à ce régime. Il y a quelque part, et Jozef y pense avec ntensité à l'instant que j'évoque, un chiffon attestant que je suis (provisoirement) son bien et celui de sa femme. Mais j'avoue ne pas me sentir très concernée par ces écritures. Leur propriété ! ils me font rire. Ils croient me posséder : c'est moi qui les possède.

Car je les ai tous vus passer, moi. Chacun entre en fonction avec l'idée que commence à ce jour un infini, un immuable ; mais leurs règnes en moyenne n'excèdent pas trente ans.

Diane MEUR, Les Vivants et les ombres, 2007.

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Commentaires

  • La forme narrative a l'air tentante, quand même, je vais essayer de le feuilleter chez un libraire, un jour prochain...

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