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Le gâteau au chocolat d'une vraie cuisine d'une vraie maison (A. GAVALDA)

Imprimer Catégories : Littérature gourmande

L'avantage d'Anna GAVALDA, c'est qu'elle a déjà écrit son chef-d'oeuvre. Comme ça, c'est fait, c'est dit, jamais plus elle ne refera Ensemble, c'est tout et maintenant qu'elle a prouvé qu'elle savait le faire, elle est tranquille, elle peut écrire comme elle veut, ce qu'elle veut, s'offrir le luxe de tourner autour du pot, de casser les pieds à son lecteur en l'ennuyant avec les tourments et désarrois de son personnage, de lui faire des commentaires à la manière des auteurs du XVIIIème ("Retrouvons maintenant notre héros...") et puis, tout à coup, de lui offrir des moments miraculeux, comme c'est le cas à partir de la moitié de son livre, là où "ça commence vraiment", là où ça devient du Gavalda.

La_Consolante

Disons-le tout de suite, le roman commence très exactement à la page 307. Tout le reste, tout ce qui a précédé, n'était que littérature. Une lourde et longue entrée en matière pour préparer au bonheur des pages qui vont suivre. Du Gavalda pur jus : personnages fêlés, lézardés par la vie, plume à la fois acerbe et tendre, portant sur notre société un regard sans concession, et, surtout, un amour de l'humain sans partage. Anna GAVALDA fait du roman social, n'en déplaise à ceux qui ne voient en elle qu'une gentillette post-baba cool ou nouvelle bobo, c'est selon. Son Charles Balanda, ce quadra qui n'en peut plus de sa vie, c'est celui des chansons d'Alain SOUCHON, ce désenchanté qui ne sait plus où se mettre. Le pire, c'est lorsqu'il retrouve son ami d'enfance, qu'il avait quitté ado voulant devenir Chet Baker et sur le point de l'être tant il avait brûlé sa jeune vie par les deux bouts, et qui est devenu le "p'tit caporal de centre commercial" chanté par SOUCHON, "tapioca, potage et salsifis", "rangé à plat dans c'tiroir", dans sa maison "lapeyrisée", son bermuda Quetchua et son tablier "C'est moi le chef".

Alors bien sûr, on pourra chipoter sur ce livre "inaccompli". Sur ces personnages laissés en plan, comme cette Marion qui traverse l'histoire en étoile filante, pleine de promesses, mais qu'on ne verra plus... Sur cette histoire qui se tortille de tous les côtés jusqu'à s'égarer parfois. Sur ces effets de style (l'absence de sujets...). Mais la magie GAVALDA est là. Dans ce roman bancal comme le sont ses personnages. Et pour vous le prouver que la magie fonctionne, je vous en offre un petit morceau. Voici donc :

LE GÂTEAU AU CHOCOLAT D'UNE VRAIE CUISINE D'UNE VRAIE MAISON

La porte d'entrée était entrouverte. Charles toqua, puis posa sa main bien à plat sur le pan de bois tiède.

Pas de réponse.

Lucas s'était faufilé à l'intérieur. La poignée était plus chaude encore, la retint un moment avant d'oser le suivre.

Le temps que ses pupilles s'habituent au changement de luminosité, ses pailles étaient déjà éblouies.

Combray, le retour.

Cette odeur... Qu'il avait oubliée. Qu'il croyait avoir perdue. Dont il se contrefichait. Qu'il aurait méprisée et qui le faisait fondre de nouveau. Celle du gâteau au chocolat en train de cuire dans la vraie cuisine d'une vraie maison...

N'eut pas l'occasion de saliver très longtemps car déjà, et comme sur le seuil quelques instants plus tôt, ne savait plus où donner de l'étonnement. [...]

Charles était fasciné. Qui a fait ça ? demanda-t-il dans le vide.

Une cuisinière, plus imposante encore, en émail bleu ciel, avec deux gros couvercles bombés sur le dessus et cinq portes en façade. Ronde, douce, tiède, appelant la caresse... Un chien devant, sur une couverture, sorte de vieux loup qui se mit à gémir en les apercevant, tenta de se redresser pour les accueillir, ou les impressionner, mais qui renonça, et s'affaissa en couinant de nouveau.

Une table de ferme (de réfectoire ?), immense, bordée de chaises dépareillées, sur laquelle on venait de dîner et qui n'avait pas été débarrassée. Des couverts en argent, de assiettes bien saucées, des verres à moutarde copyrightés Walt Disney et des ronds  de serviette en ivoire.

Un vaisselier ravissant, stylé, fin, chargé jusqu'à la gueule de terrines, de faïences, de bols, d'assiettes et de tasses ébréchées. Dans le creux d'une souillarde, un évier en pierre, sûrement très malcommode, où s'empilaient des tas de casseroles dans une bassine jaunie. Au plafond, des paniers, un garde-manger au tamis troué, une suspension en porcelaine, une espèce de boîtier presque aussi long que la table, creux, ponctué d'ouvertures et d'encoches où se balançait l'histoire de la cuillère à travers les âges, un rouleau à mouches d'un autre siècle, des mouches de celui-ci, ignorant le sacrifice de leurs aïeules et se frottant déjà les pattes à la perspective de toutes ces bonnes miettes de gâteau...

Anna GAVALDA, La Consolante, 2008.

Pour mémoire, et parce que je n'ai pas trouvé de version video de la chanson, voici un extrait de la chanson de SOUCHON, "le Bagad de Lann Bihoué" :

Tu la voyais pas comme ça ta vie,
Pas d'attaché-case quand t'étais p'tit,
Ton corps enfermé, costume crétin,
T'imaginais pas, j'sais bien.
Moi aussi j'en ai rêvé des rêves. Tant pis.
Tu la voyais grande et c'est une toute petite vie.
Tu la voyais pas comme ça, l'histoire :
Toi, t'étais tempête et rocher noir.
Mais qui t'a cassé ta boule de cristal,
Cassé tes envies, rendu banal ?
T'es moche en moustache, en laides sandales,
T'es cloche en bancal, p'tit caporal de centre commercial.

Tu la voyais pas comme ça frérot
Doucement ta vie t'as mis K.-O.
T'avais huit ans quand tu t'voyais
Et ce rêve-là on l'a tous fait
[...]

Tu la voyais pas comme ça ta vie,
Tapioca, potage et salsifis.
On va tous pareils, moyen, moyen...

La grande aventure, Tintin,
Moi aussi, j'en ai rêvé des cornemuses.
Terminé, maintenant. Dis-moi qu'est-c' qui t'amuse ?

[...]

Alain SOUCHON, 1977.

11 commentaires Pin it! Lien permanent

Commentaires

  • Au risque de te choquer, je n'aime pas Gavalda. Et puisque tu nous remets le texte de Souchon en memoire, je dois dire que je le trouve bien plus finement ecrit.Mais bon, ce que j'en dis, je ne suis pas critique litteraire ;)

  • Je trouve ta façon de parler du dernier Gavalda très juste ! Personnellement j'ai lâchement abandonné son livre aux 100 premières pages, ça ne prenait pas ! :(

  • Gracianne, je peux comprendre ton sentiment : l'écriture de Souchon est plus "pointilliste" et poétique, quoique tout aussi percutante. Quant à toi, Clarabel, ça m'étonnait aussi que tu n'aies rien dit dessus ; il devait y avoir "quelque chose"...;-)

  • Je l'ai aimé dès le début ce livre. Le style un peu cassé allait bien avec le personnage de Charles. Et puis l'écriture pure Galvalda est arrivée avec Kate. Un bonheur !

  • Un bonheur, tu l'as dit, BelleSahi...

  • Je n'ai pas du tout aimé et n'ai pas compris ou gavalda voulait en venir avec ce livre !!!

  • Hum quelle gourmande je fais! J'avoue qu'au vu du titre je m'attendais à une recette de gâteau au chocolat à tomber... et même quand j'ai compris que le sujet était le dernier pavé Gavalda, j'ai espéré jusqu'au bout une miette chocolatée. Inconsolée, marie.(on lit beaucoup de mauvaises critiques sur ce livre. Ici c'est mitigé (un marbré ;-)?) et ça me plaît bien, peut-être même que la curiosité va me pousser à goûter pour vérifier alors que trop de louanges (comme pour Ensemble, c'est tout) me dissuade souvent !

  • Un marbré, que voilà une bonne définition ! Et je partage ton avis sur "trop d'éloges tue" ; à cause de ça, je n'ai toujours pas lu "L'Elégance du hérisson".

  • Le seul chanteur que j'ai vu au moins une dizaine de fois sur scène. Avec toujours le même plaisir. Et cette chanson, particulièrement.... Bref ! Je voulais surtout donner le lien pour "mon" gâteau au chocolat, découvert par hasard, jamais raté et toujours dévoré... Super simple, hyper gras et sucré, terrible, quoi.

  • J'ai lu tous les livres de Anna Galvada et les ai tous aimé avec une préférence pour "Ensemble c'est Tout" (dont l'adaptation cinéma a été très réussie mais méconnue) et les nouvelles de "Je voudrais que quelqu'un m'attende quelque part". Celui là, je l'ai acheté. J'ai essayé de le lire mais cela ne doit pas être le moment. Alors je suis dans le Katherine Pancol et ses histoires de crocodiles. Des histoires de gens, comme je les aime.

  • ce livre, je l'avais gardé comme une friandise pour les vacances. Il est venu juste à point, dans la chaleur d'août, au même où je sortais enfin de ma torpeur. Comme vous, c'est l'arrivée de Kate qui m'a plongée dans l'histoire et qui a accéléré mon rythme de lecture.

    J'ai bien aimé l'épisode des emportes-pièces new yorkais, la description de la maison de Kate. Et si le récit est fêlé, il l'est autant que les personnages, abîmés par la vie. Je reste sur ma faim avec l'eclipse-Marion.

    Malgré tout: vivement le prochain!

    note: "L'élegance du hérisson", je l'ai testé cet hiver sur les conseils de ma libraire. Je ne regrette pas.

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