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Le lièvre à la sauce au chocolat (J. BARNES)

Imprimer Catégories : Littérature gourmande

J'avoue cette grande lacune : je n'avais jamais lu de Julian BARNES. Je me souvenais d'un érudit anglais à l'oeil pétillant présentant il y a fort longtemps Le Perroquet de Flaubert, mais jamais je ne m'étais hasardé à entamer un livre de cet auteur. Jusqu'à ce que je tombe par hasard sur un petit opuscule intitulé Un Homme dans sa cuisine :

Un_homme_dans_sa_cuisine

"Autrefois, dans la famille Barnes, jamais un homme ne se serait risqué devant un fourneau. La cuisine, c'était une affaire réservée aux femmes... Mais quand Julian est parti vivre à Londres, il a dû s'y mettre et on peut dire désormais que ses progrès ont été spectaculaires, sinon rapides... Un des plus célèbres écrivains anglais d'aujourd'hui va nous livrer ici le désopilant récit de ses trouvailles (parfois curieuses, voir le saumon aux raisins secs), de ses échecs (souvent savoureux, voir pourquoi il a raté le lièvre à la sauce au chocolat) et de ses coups de gueule (ah, ces livres de cuisine tous aussi imprécis les uns que les autres !). Celui qui se définit comme un " obsessionnel anxieux " nous fait partager ses angoisses et bien sûr ses enthousiasmes - en nous livrant au passage de bien délicieux secrets."

Avouez que la mise en bouche était tentante... et pourtant, je suis restée sur ma faim. Certes le livre est bien écrit, certes le ton est alerte, mais l'ensemble est resté bien trop "rationnel" pour moi. Pas de ce petit grain de folie typiquement british, non, l'auteur énonce avec brio, voire verve, ses expériences culinaires, ratées ou réussies, ses critiques de grand chef ou, au contraire, ses admirations, mais cela manquait cruellement, pour moi, de vie, de chair ou, disons-le carrément, d'appétit. "L'obsessionnel anxieux", tel qu'il se définit, l'est bien : pinailleur, angoissé, mesuré, bref, tout ce qui est bien loin de l'idée que je me fais de la cuisine.

Dans le chapitre intitulé "Une fois suffit", il évoque ces plats que l'on ne mange qu'une fois, parce que liés aux circonstances, ainsi ce :

LIÈVRE A LA SAUCE AU CHOCOLAT

Il y a aussi des plats que l'on ne cuisine qu'une fois, et avec un certain succès - plusieurs petits désastres banals au cours de la préparation, mais rien d'extraordinaire, rien qui ne vous empêche d'imaginer leur éventuelle saveur, dans un monde parfait. Pourtant, pour des raisons étrangères au cuisinier, on est incapable de recommencer. Peut-être que l'un des invités a vomi dans la rue - de toute façon quelque obstacle psychologique mineur se présente chaque fois que le livre s'ouvre par hasard à cette page-là, au cours des années suivantes.

J'ai préparé un jour un Lièvre à la sauce au chocolat pour un amiral en retraite. Cela vous paraît un bon choix de menu ? C'était assurément discutable puisque je n'avais jamais tenté ce plat pour personne. [...]

La recette provenait des Bonnes Choses de Jane Grigson. Une fois le ragoût cuit, on prépare la sauce en mélangeant le sucre dans une casserole jusqu'à ce qu'il fonce légèrement, puis on verse le vinaigre de vin. La sauce est censée se transformer en sirop épais auquel on rajoute le chocolat, les pignes, l'écorce confite, etc. Au lieu de quoi, le mélange se rebiffa avec violence, lâcha une bordée d'éclairs et de grésillements, et se transforma sur-le-champ en une barre de caramel amer. Je ne m'en sortirais pas par un coup de bluff. Le lièvre m'attendait, d'un côté, les ingrédients pour finir la recette, de l'autre ; seule la sauce pouvait faire qu'ils se rencontrent.

Je sortis une nouvelle casserole, et j'étais en train de faire fondre le sucre avec appréhension quand j'entendis l'amiral déclarer sa flamme à Celle-pour-qui-l'obsessionnel-cuisine. Ce fut assez inattendu pour moi, pour elle, et à l'entendre, pour l'amiral aussi. Il s'exprimait d'une voix forte et précise, comme il convient à quelqu'un habitué à donner des ordres.

"Que faire lorsqu'on tombe amoureux ?" demandait-il. Question qui n'avait rien de rhétorique et qui m'est restée en mémoire depuis.

Le sucre commença à fondre alors que mon coeur, je dois le confesser, se durcissait. Le nez dans le livre de cuisine, mais les oreilles tendues vers la salle à manger, je n'étais peut-être pas au maximum de ma concentration. J'arrivai de nouveau au moment-clef de la gastro-fusion, et la même explosion se produisit. Devais-je y voir un présage de mauvais augure ? Désolé, amiral, le menu a changé. On mange du Lièvre à la sauce chocolat mais sans la sauce. Elle croupit au fond de la cale. Et au fait, méfiez-vous des petits os dangereux qui pourraient se coincer dans la gorge.

Depuis cette soirée, je n'ai jamais été tenté de refaire du Lièvre à la sauce au chocolat. En revanche, je me suis parfois demandé à quoi pouvait ressembler de l'amiral rôti.

Julian BARNES, Un Homme dans sa cuisine, 2003.

4 commentaires Pin it! Lien permanent

Commentaires

  • Je trouve ca plutot drole personnellement. peut-etre gagnerait-il a etre lu en anglais?

  • Chère Gracianne, c'est que j'ai choisi judicieusement le passage... ;-))

  • le coté obsessionnel du Monsieur inquiète un peu au départ mais il se soigne ...les critiques sur les livres de cuisine et leurs détenteurs sont assez droles .

  • Jesuis d'accordavectoi, Lili, j'avais d'ailleurs d'abord sélectionné le passage sur les livres de cuisine.

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