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Préparatifs de Noël : dinde et conjugaison

Imprimer Catégories : Littérature gourmande

Parce que ce texte m'a paru de circonstance... Voici donc :

DINDE ET CONJUGAISON

Quand, à l’horizon du cours de français, se lève pour la première fois, nuage lourd de menaces, le participe passé conjugué avec l’auxiliaire « avoir », l’enfant comprend que ses belles années sont à jamais enfuies et que sa vie sera désormais un combat féroce et déloyal des éléments acharnés à sa perte.

L’apparition, dans une phrase que l’on croyait innocente, du perfide participe passé déclenche, chez l’adulte le plus coriace, une épouvante que le fil des ans n’atténuera pas. Et, bien sûr, persuadé d'avance de son indignité et de l’inutilité du combat, l’infortuné  qu’un implacable destin fit naître sur une terre francophone perd ses moyens et commet la faute. A tous les coups […]

Pourtant, s’il est une règle où l'on ne peut guère reprocher à la grammaire de pécher contre la logique et la clarté, c’est bien celle-là. […] Quoi de plus lumineux ? Prenons un exemple : «  J’ai mangé la dinde. » Le complément d’objet direct « la dinde » est placé après le verbe. Quand nous lisons « j’ai mangé », jusque-là nous ne savons pas ce que ce type a mangé, ni même s’il a l’intention de nous faire part de ce qu’il a mangé.Il a mangé, un point c’est tout ! La phrase pourrait s’arrêter là. Donc, nous n’accordons pas « mangé », et avec quoi diable l’accorderions-nous ? Mais voilà ensuite qu’il précise « la dinde ». Il a, ce faisant, introduit un complément d’objet direct. Il a mangé QUOI ? La dinde. Nous en sommes bien contents pour lui, mais ce renseignement arrive trop tard. Cette dinde, toute chargée de féminité qu'elle soit, ne peut plus influencer notre verbe « avoir mangé », qui demeure imperturbable. Notre gourmand eût-il dévoré tout un troupeau de dindes qu’il en irait de même : « mangé » resterait stoïquement le verbe « manger » conjugué au passé composé. Maintenant, si ce quidam écrit « La dinde ? Je l’ai mangée » ou « La dinde que j ’ai mangée », alors là, il commence par nous présenter cette sacrée dinde. Avant même d’apprendre ce qu’il a bien pu lui faire, à la dinde, nous savons qu’il s’agit d’une dinde. Nous ne pouvons pas nous dérober. Nous devons accorder, hé oui. « Mangée » est lié à la dinde (c’est-à-dire à « l » ou à « que », qui sont les représentants attitrés de la dinde) par-dessus le verbe, par un lien solide qui fait que « mangée » n’est plus seulement un élément du verbe « manger » conjugué au passé composé, mais également une espèce d’attribut de la dinde. Comme si nous disions « La dinde EST mangée ».

François CAVANNA, Mignonne, allons voir si la rose..., 1997.

Merci à Geneviève, qui m'a fait découvrir ce texte.

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Commentaires

  • explication aussi ludique que lumineuse. Encore...

  • Oui, super ce texte. ca y est, j'ai compris la raison du pourquoi !
    Mais, il y a pire que l'accord avec l'auxiliaire avoir. Il y a l'auxiliaire être à la forme pronominale.
    Et une recette de dinde, il n'y en a pas ?
    Pas grave, de toute façon, je n'aime pas ça.

  • "l’infortuné qu’un implacable destin fit naître sur une terre francophone"
    Pauvres de nous :)

  • Et alors on la mange la dinde, pour l'instant ce n'est que du conditionnel...et si ma mère pensait à autre chose cette année...

  • voilà une idée qu'elle est bonne, d'utiliser la bouffe pour faire comprendre la conjugaison! ça m'aurait peut-être dispensée d'une colère mémorable dans la voiture cet été avec la nado presque en 3ème qui me disait sans arrêt:
    ouais, si j'aurais su... dinde, vous avez dit dinde?...

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