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Noël avant l'heure ! - "Truffes" (Colette)

Imprimer Catégories : Littérature gourmande

L'autre soir, le père Noël des gourmets est passé avant l'heure chez nous... Bon, il ne s'appelait pas Noël, il n'avait pas de hotte bien chargée, seulement un pot de confiture sans confiture mais plein de parfums enchanteurs :

Truffes

Comment décrire le parfum de la truffe noire cueillie de la veille ? Il est... indomptable. Unique, à la fois sauvage et suave, plein du goût de la terre et cependant d'une infinie sophistication, c'est bien simple, on n'a qu'une envie : en mettre de partout ! Alors, en attendant les recettes, je ne résiste pas à vous rapporter les mots de COLETTE pour évoquer les truffes. Voici donc :

TRUFFES

Tout est mystère, magie, sortilège, tout ce qui s'accomplit entre le moment de poser sur le feu la cocotte, le coquemar, la marmite et leur contenu, et le moment plein de douce anxiété, de voluptueux espoir, où vous décoiffez sur la table le plat fumant. [...]

On ne fait bien que ce qu'on aime. Ni la science, ni la conscience ne modèlent un grand cuisinier. De quoi sert l'application où il faut l'inspiration ? Je suis née dans un pays de province où l'on gardait encore, comme le secret d'un parfum ou d'un onguent miraculeux, des recettes que je ne trouve dans aucun codex culinaire. On les transmettait de bouche à oreille, l'occasion d'une fête carillonnée, le jour du baptême d'un premier-né, d'une "confirmation". Elles échappaient, pendant le long festin de noces, à des lèvres desserrées par le vieux vin :ainsi ma mère reçut en confidence la manière de préparer certaine "boule" de poulet, projectile ovoïde cousu dans une peau de poule désossée. Comment recomposer maintenant le secret de cette "boule" débitée, sur la table, en larges tranches rondes où brillaient l'oeil noir de la truffe, la verte fève de la pistache ?

Du moins j'appris - dans une Puisaye truffière dont le sol nourrit une truffe grise, de bonne odeur et de goût nul - à me servir de la vraie truffe, la noire, la périgourdine. C'est la plus capricieuse, la plus révérée des princesses noires. On la paie son poids d'or, le plus souvent pour en faire un piètre usage. On l'englue de foie gras, on l'inhume dans une volaille surchargée de graisse ; on la submerge, hachée, de sauce brune, on la marie à des légumes masqués de mayonnaise... Foin des lamelles, des hachis, des rognures, des pelures de truffe ! Ne saurait-on l'aimer pour elle même ? Si vous l'aimez, payez sa rançon royalement, ou écartez-vous d'elle. Mais l'ayant achetée, mangez-la seule, embaumée, grenue, mangez-la comme un légume qu'elle est, chaude, servie à fastueuses portions. Elle ne vous donnera pas, une fois étrillée, grand-peine ; sa souveraine saveur dédaigne les complications et les complicités. Baignée de bon vin blanc très sec - gardez le champagne pour les banquets, la truffe se passe très bien de lui - , salée sans excès, poivrée avec tact, elle cuira dans la cocotte noire couverte. Pendant vingt cinq minutes, elle dansera dans l'ébullition constante, entraînant dans les remous et l'écume - tels des tritons joueurs autour d'une noire Amphitrite - une vingtaine de lardons, mi-gras, mi-maigres, qui étoffent la cuisson. Point d'autres épices ! Et "raca" sur la serviette cylindrée, à goût et à relents de chlore, dernier lit de la truffe cuite ! Vos truffes viendront à la table dans leur court-bouillon. Servez-vous sans parcimonie ; la truffe est apéritive, digestive. Croquez la gemme des terres pauvres en imaginant, si vous ne l'avez pas visité, son désolé royaume. Car elle tue l'églantier, anémie le chêne, et mûrit sous une rocaille ingrate. Imaginez l'hiver périgourdin sévère, la rude gelée qui blanchit l'herbe, le cochon rose dressé à une prospection délicate...

COLETTE, "Rites" in Prisons et Paradis, 1932.

Autre citation, dont je ne trouve plus la référence :

Si j'avais un fils à marier, je lui dirais : "Méfie-toi de la jeune fille qui n'aime ni le vin, ni la truffe, ni le fromage, ni la musique."

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Commentaires

  • Bonjour,
    Très beaux textes, parfum dont on ne peut se défaire...mais votre photo ne représente pas une truffe noire ( tuber melanosporum, ou truffe du Périgord), mais une truffe d'été ( tuber aestivum) ou de Bourgogne ( tuber uncinatum). Les gros grains des pyramides du péridium ainsi que la coupe maron que l'on devine sont des indicateurs de ces deux espèces.
    Bonne suite
    Bernard Lansac, secrétaire de la fédération départementale des trufficulteurs du périgord

  • Merci beaucoup pour toutes ces précisions - je reconnais très volontiers mon inculture sur le sujet, une vraie truffe !

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