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Le bonheur du risotto (A. GIROD DE L'AIN)

Imprimer Catégories : Littérature gourmande

"Tu lis quoi ? - Le dernier bouquin d'Alix Girod de l'Ain, tu sais la... - Oui, oui, c'est bon, je sais qui est Alix Girod de l'Ain !"

Vous voyez ! Même mon mari, cet homme qui ne lit que Beaux-Arts et L'Equipe, et puis aussi France Football, mais ponctuellement et uniquement l'édition du mardi, pas celle du vendredi, il n'y a rien, même lui, disais-je, connaît Alix Girod de l'Ain. Et pourtant, ce n'est pas lui qui lirait une de ces "conn..." de magazine de bonne femme, non, lui, il lit des trucs sérieux. Vous avez vu la dernière couverture de Beaux-Arts, qui sous l'accrocheur titre "Sexe et arts" présente une jeune femme asiatique et dénudée vantant les vertus du bondage ? On sent le côté sérieux de la chose, non ? Et dois-je vous rappeler que le métier de Catherine Millet, c'est rédactrice en chef de Art-Press ?

Enfin, bon, tout ça pour vous dire que celui qui lit ELLE tous les lundis matin ne peut ignorer l'existence - et surtout la plume - d'Alix Girod de l'Ain, dite AGA. Sa spécialité ? l'air du temps, mêlé d'une touche de vie familiale, à la sauce rigolote. Ses articles sont souvent drôles, voire loufoques, avec ce petit grain de folie presqu'anglo-saxon. Il y a du P.J. Woodehouse et du Woody Allen dans ses papiers. Elle n'a qu'un seul défaut : donner une apparence de facilité à sa prose qui laisse croire que tout le monde peut faire pareil. Ce qui donne des choses beaucoup moins réussies (doux pléonasme) que ce soit dans la presse ou même sur certains blogs... Cela peut donner au mieux de l'amusant déjà-lu, au pire du lourd plagiat.

Quand le docteur AGA n'écrit pas dans ELLE, elle tâte du roman. Dans lequel elle conserve ce qui a fait son succès : plume vive, délires en tous genres, et un zeste de vie personnelle, le tout mâtiné d'une sauce à l'air du temps. Sainte Futile ne fait pas exception à la règle : Pauline Orman-Perrin, dite POP, traîne une solide réputation de journaliste rigolote au magazine Modelle. Sa rencontre avec Dieu (en clone de Lagerfeld) va l'obliger à revoir ses priorités et infléchir le cours de sa vie... Vous devinez la suite : c'est très drôle, caustique, plein d'auto-dérision, et on passe un très bon moment.

Le passage que j'ai choisi de vous présenter marque le neuvième jour de la quête de sens de POP. C'est un repas en famille, avec son mari et ses deux enfants. Voici donc :

LE BONHEUR DU RISOTTO

- Je te ressers du risotto, mon amour ?

Pierre tendit son assiette, abasourdi.

- Tiens, un petit supplément de morilles, tu serais pas contre, trésor ?

J'avais écouté mon instinct. Et mon instinct m'avait dicté qu'il était temps de nourrir ma famille avec de la vraie nourriture et des produits nobles, rien qui sorte d'un sachet et qui se mélange avec l'eau de la bouilloire, en tout cas.

D'où l'introduction de cette chose inhabituelle sous notre toit : un livre de cuisine.

D'où ce risotto, préparé selon les règles de l'art, oignon émincé, riz arborio revenu dans le beurre, vin blanc juste étuvé, véritable bouillon à base d'authentique carcasse de poule (tête du boucher quand j'avais demandé ça, dédaignant notre rituel "lundi c'est poulet cuit") et l'équivalent de trois mois d'allocs en morilles brossées-mais-surtout-pas-lavées au dernier moment. Une heure quarante de courses + préparation départ arrêté. Mon instinct m'avait également ordonné de distribuer des portions normales, contrairement à cette vieille habitude de ne servir Pierre qu'en dernier, après les enfants, quand il ne reste que deux grosses cuillerées à soupe dans le plat, histoire de l' "aider à perdre du poids".

Je regardai mon mari avaler le contenu de son assiette, frétillant de bonheur, et l'image de Prout le chien refusant de croire à sa chance devant un os de gigot se superposa à la sienne.

Non, Pauline, pas ça.

Mon instinct venait de me dicter d'arrêter de prendre mon époux  pour une sorte d'animal familier, un peu pataud mais si attachant. Depuis de trop longues années je traitais cet homme magnifique en labrador géant, songeai-je en le voyant attraper une morille entre deux doigts pour la sucer goulûment. Son geste me donna une autre idée, pour plus tard. Là aussi, mon instinct m'intimait l'ordre de me ressaisir, de renouer avec des débordements érotiques un peu perdus de vue ces derniers temps.

En me déplaçant dans la cuisine, je cherchais à adopter des poses gracieuses, comme ces dames impeccables en couverture des catalogues d'arts ménagers des années 50. Finie, l'échevelée-débordée meuglant à ses proches de remplir le lave-vaisselle parce qu'elle en a ras le pompon de tout faire, bordel. Un tablier, il fallait absolument que j'achète un tablier, me dis-je. Et aussi des ballerines à bout pointu pour lever joliment la patoune arrière devant l'évier. Réenchanter le réel passait par de petites choses, des efforts minuscules de ce type suffiraient à faire circuler un grand vent de bien-être, oui, comme un souffle d'amour tout autour des miens.

Alix GIROD DE L'AIN, Sainte Futile, 2006.

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Commentaires

  • A s'en inspirer pour sublimer le quotidien...

  • Moi j'aime toujours tes extraits de Littérature Gourmande !!!!! :))Sinon, je n'ai jamais cet auteur, sauf dans le magazine Elle. Mais je n'aime pas trop ! Et pous la cuisine, haem .. je laisse la place aux meilleures ! ;o)

  • Pfff ... de l'art de ne JAMAIS se relire.* jamais LU ** Et POUR la cuisine ... *

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