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Le goûter du géant (D. SETTERFIELD)

Imprimer Catégories : Littérature gourmande

Alerte, alerte ! Chef-d'oeuvre en vue ! Je vous ai trouvé LE livre qui devrait occuper vos vacances ! Ou votre week end... ou votre samedi, si comme moi vous avez eu la chance d'avoir une journée à vous, totalement à vous, sans contraintes d'intendance telles que s'occuper des enfants, préparer les repas et autres menues babioles qui sont notre quotidien.

Je disais donc : ATTENTION, CHEF-D'OEUVRE ! Clarabel en avait parlé, Agapanthe aussi, d'autres encore j'imagine, tant ce livre ne peut laisser indifférent. Achetez donc, que dis-je, ruez-vous donc sur Le Treizième Conte, de Diane SETTERFIELD, une enseignante anglaise spécialiste de littérature française, et qui réussit avec son premier roman un miracle, un roman magique sur le pouvoir des mots, la création artistique, les traumatismes d'enfance (encore eux, toujours eux - rappelez-vous Colette : "On ne guérit jamais de son enfance").

"Il était une fois une maison hantée.. Il était une fois une bibliothèque... Il était une fois des jumelles..." C'est ainsi que Vida WINTER, écrivain consacrée mais retirée du monde, attire dans son antre Margaret LEA, qu'elle a choisi pour être sa biographe. C'est promis, elle lui dira tout, elle qui a toujours inventé sa vie au gré des interviews. Elle ne lui cachera rien, même si elle est intimement persuadée que "on peut dire la vérité beaucoup mieux avec une histoire"... Entre les deux femmes va s'établir une relation étrange, faite de fascination et d'admiration, de non-dits et de lourds secrets enfin révélés. En reconstruisant le passé de Vida WINTER, c'est le sien que Margaret va mettre à jour, dans un brillant jeu de miroirs où chacun montre une parcelle de vérité mais jamais la Vérité toute entière. Jusqu'au fameux treizième conte, ce conte manquant, celui qui ne fut jamais publié...

Vous l'aurez compris, ce roman m'a transportée. Et comme je voulais faire partager cet enthousiasme, il me fallait un extrait de littérature gourmande. C'est ainsi que j'ai choisi un moment situé dans la première partie du roman. Margaret, quittant le manoir gothique de Vida WINTER, se rend sur les lieux de l'enfance de celle-ci : Angelfield. Le bâtiment est en ruines, ravagé par un incendie et laissé à l'abandon. Cependant, elle va y faire la connaissance d'un "gentil géant" qui, bien sûr, plus tard, trouvera exactement sa place dans l'histoire qu'elle est en train d'écrire... Voici donc :

LE GOÛTER DU GÉANT

Je courus.

Je sautais par-dessus les trous dans le plancher, dévalai les marches quatre à quatre, perdis l'équilibre et me retins in extremis à la rampe. J'attrapai une poignée de lierre, trébuchai, me rattrapai, me précipitai de nouveau en avant. La bibliothèque ? Non. De l'autre côté. Sous une arche. Des branches de sureau et de buddleia s'accrochaient à mes vêtements, et je faillis tomber à plusieurs reprises en dérapant dans les gravats.

Comme il fallait s'y attendre, je finis par m'étaler par terre, et un cri sauvage s'échappa de ma bouche.

"Mon Dieu, mon Dieu ! Je vous ai fait peur ? Ô mon Dieu."

Je regardai derrière moi, au-delà de l'arche.

Penché au-dessus de la balustrade de la galerie, je vis non pas le squelette ou le monstre de mon imagination, mais un géant. Qui descendit l'escalier avec une certaine légèreté et enjamba délicatement les gravats pour arriver jusqu'à moi. Une terrible inquiétude se lisait sur son visage.

"Seigneur !"

Il devait faire plus d'un mètre quatre-vingt dix, et était tellement large d'épaule que la maison sembla soudain se rétrécir.

"Je ne voulais pas... voyez-vous, j'ai simplement cru... Comme vous étiez ici depuis un certain temps, et... Mais peu importe. Dites-moi, vous êtes blessée ?"

[...] Je remuai le pied, et une expression soulagée se lut sur son visage.

"Dieu merci. Je ne me le serais jamais pardonné. Restez ici pendant que je... Je vais juste chercher... J'en ai pour une minute." [...]

"J'ai mis la bouilloire à chauffer, annonça-t-il en revenant.[...]

"Vous avez électricité, ici ? demandai-je, ébahie.

- L'électricité ? Mais c'est une ruine !" Il me regarda, stupéfait, comme si une commotion consécutive à ma chute avait pu me faire perdre la raison.

"J'ai cru vous entendre dire que vous aviez mis une bouilloire à chauffer.

- Ah, je vois ! Non ! J'ai un réchaud de camping. J'avais même une bouteille Thermos avant, mais... (Avec un froncement de nez.) Le thé dans une Thermos, ce n'est pas très bon, pas vrai ? Est-ce que ça pique beaucoup ?

- Un peu.

- Voilà une grande fille. Une sacrée chute quand même. Alors, le thé... sucre et citron, ça ira ? Je n'ai pas de lait malheureusement. Pas de frigo.

- Du citron, ce sera parfait. [...]

- Confortable ?

Je fis oui de la tête.

- Merveilleux." Il sourit, comme si effectivement ce moment était merveilleux. "Bien, passons aux présentations. Mon nom est Love, Aurelius Alphonse Love. Appelez-moi Aurelius, je vous en prie, me dit-il, le regard plein d'attente.

- Margaret Lea.

- Margaret, répéta-t-il, avec un grand sourire. Splendide. Absolument splendide. Et maintenant, vous allez manger."

Entre les oreilles du gros chat noir, il avait déplié une serviette, un coin après l'autre. A l'intérieur se trouvait une généreuse part d'un gâteau foncé et légèrement gluant. Je mordis dedans. Le gâteau idéal pour une journée froide : parfumé au gingembre, sucré mais fort. Mon hôte versa le thé dans deux jolies tasses en porcelaine. Il me tendit un bol rempli de morceaux de sucre, puis il sortit de sa poche de poitrine un petit sac en velours bleu qu'il ouvrit. Sur le velours reposait une cuiller en argent dont le manche était orné d'un A allongé qui avait la forme d'un ange stylisé. Je la pris, tournai mon thé, avant de la lui rendre.

Tandis que je mangeais et buvais, l'homme s'assit sur le second chat, qui prit tout à coup l'air mutin d'un chaton sous son imposant tour de taille. Il mangeait en silence, proprement et avec beaucoup de concentration, me regardant manger, moi aussi, soucieux de me voir apprécier son gâteau.

" C'était délicieux, dis-je. Fait  maison, je suppose ?" [...]

Mon compagnon s'essuya les doigts sur sa serviette avant de la secouer et de la replier en quatre. "Ça vous a plu alors ? C'est Mrs Love qui m'a donné la recette. Je fais ce gâteau depuis que je suis tout petit. Mrs Love était une merveilleuse cuisinière. Une merveilleuse femme, pour tout dire. Bien sûr, elle n'est plus des nôtres désormais. Un bel âge pour mourir... Encore que... On aurait pu espérer... Mais le destin l'a voulu ainsi.

- Je vois", dis-je, bien que rien ne fut moins sûr. Mrs Love était-elle sa femme ? Mais il avait dit qu'il faisait son gâteau depuis son plus jeune âge. Sa mère ? Impossible, il ne l'aurait pas appelée Mrs Love. Deux choses étaient claires, cependant : il l'avait aimée, et elle était morte. "Je suis désolée", dis-je.

Il accepta mes condoléances d'un air triste, puis son visage s'illumina. "Mais c'est un hommage adéquat, vous ne trouvez pas ? Le gâteau, j'entends.

- Certainement. C'était il y a longtemps ? Que vous l'avez perdue ?

- Presque vingt ans, dit-il au bout d'un instant de réflexion. Pourtant j'ai l'impression que c'est beaucoup plus ancien. Ou le contraire. Ça dépend de la façon dont on voit les choses.

Diane SETTERFIELD, Le Treizième Conte, 2007.

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Commentaires

  • Et bien tu sais t'y prendre pour nous donner envie de lire !!

  • Je surenchère, je confirme, je conseille ! j'ai lu ce livre en une seule journée tellement il m'était impossible d'en refermer les pages et de le reposer sur la table ! un vrai chef-d'oeuvre !

  • Coucou Patricia,c'est noté pour mes lectures de vacances!L'an passé j'ai acheté suite à ton billet le festin des Scorta,un régal!

  • merci pour cette piste de lecture. Je vais filer chez ma libraire chérie essayer de dénicher ta merveille... et "52" de Geneviève Brisac dont j'ai découvert un extrait sur ton blogPS: mon mari et moi rêvons d'une cuisine rouge. Un signe?

  • Quel plaisir de relire un extrait de ce livre magnifique ! (D'ailleurs, tu sais toujours très bien choisir les extraits !!!)Quelle fantastique lecture ! Oh oui !!!

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