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L'ultime festin (J. HARRIS)

Imprimer Catégories : Littérature gourmande

C'est un conte. Une histoire de croyances : il y a des enfants, des sorcières, des prêtres, de la magie et de la religion. Et du chocolat. Des plaisirs terrestres. Le livre de Joanne HARRIS est un joli roman, très "étranger" si je puis dire. Par là, j'entends qu'il propose une vision à la limite du cliché de la "France profonde", c'est tout juste si les habitants ne déambulent pas, une baguette sous le bras et le béret vissé sur le crâne. Cependant, il nous conte une jolie fable, un peu effrayante, surtout attendrissante et pleine de bons sentiments. Les descriptions chocolatées y abondent et sont plutôt savoureuses, même si la traduction me semble empruntée, voire précieuse parfois.

L'histoire ? c'est celle de Vianne, qui débarque le jour de Mardi-Gras avec sa fille Anouk à Lansquenet. Dans ce paisible village, elle va ouvrir, face à l'église, et en plein Carème, une confiserie. Et, telle une magicienne (une sorcière ?), révéler à chacun qui il est vraiment. Les yeux vont se dessiller...

J'ai longtemps hésité entre deux passages à vous soumettre. J'ai finalement choisi celui qui va suivre. Il se situe à la fin du roman. C'est le festin qu'a souhaité Armande, qui fête ses quatre-vingt un ans. Voici donc :

L'ULTIME FESTIN

Je retourne à mes fourneaux et, pendant quelques temps, je n'entends plus rien. C'est un talent d'autodidacte, la cuisine, le résultat d'une obsession. Personne ne m'a appris à faire la cuisine. Ma mère confectionnait des potions et des philtres, j'ai sublimé le tout pour en faire une plus douce alchimie. Nous ne nous sommes jamais beaucoup ressemblé, elle et moi. Elle rêvait de voyages éthérés, de rencontres astrales et d'essences secrètes : je décortiquais les recettes et les menus chipés à des restaurants où nous n'aurions jamais les moyens de dîner.

[...] Alors, pendant qu'elle se tirait les cartes et marmonnait dans son coin, je parcourais ma collection de fiches de cuisine, psalmodiant les noms de plats jamais goûtés, telles des paroles magiques, des formules éternelles de la vie éternelle. Boeuf en daube. Champignons farcis à la grecque. Escalopes à la reine. Crème caramel, Schokoladentorte. Tiramisu. En imagination, je les réalisais toutes en secret, je les expérimentais, je les goûtais, ajoutant à ma collection de recettes partout où nous allions, les collant dans mon album comme des photos de vieux amis. Ces couvertures de papier glacé donnaient du poids à mes vagabondages : entre les pages maculées de mon album, elles étaient les splendides panneaux indicateurs qui jalonnaient notre itinéraire vagabond.

Je les retrouve aujourd'hui tels des amis qu'on a longtemps perdus de vue. Soupe de tomates à la gasconne, servie avec du basilic frais et une part de tartelette méridionale, faite d'une pâte brisée fine comme du biscuit et surmontée d'une garniture mêlant somptueusement le goût des merveilleuses tomates locales, de l'huile d'olive et de l'anchois, parsemée d'olives et rôtie très lentement pour produire une concentration de saveurs qui semble presque impossible à réaliser.

[...] J'apporte une salade aux herbes pour nettoyer les papilles, puis du foie gras sur des toasts chauds. [...] Le chablis coule à flots. Viennent ensuite les vol-au-vent, aussi légers qu'une brise estivale, puis un sorbet à la fleur de sureau suivi d'un plateau de fruits de mer composé de langoustines, de berniques, d'araignées et de ces énormes tourteaux qui peuvent sectionner les doigts d'un homme aussi facilement que je pourrais couper une tige de romarin, de bigorneaux, de palourdes, le tout surmonté d'un homard noir gigantesque trônant royalement sur son lit d'algues. Chatoyant de rouges, de roses, de verts d'eau, de blancs nacrés et de violets, l'immense plateau, telle la cachette aux trésors d'une sirène, exhale de nostalgiques parfums iodés qui évoquent l'enfance et le bord de mer. Nous distribuons des casse-noix pour les pinces des crabes, de minuscules fourchettes pour les crustacés, de raviers contenant des morceaux de citron et des jattes de mayonnaise. Impossible de ne pas se prendre au jeu avec un tel plat : il réclame de l'attention, de la simplicité. [...] Enfin, je débarrasse  le plateau mis à sac, dont il ne subsiste que des décombres de nacre répartis sur une douzaine d'assiettes. Des coupelles d'eau pour se rincer les doigts et de la salade pour se rafraîchir le palais. J'enlève les verres, les remplace par des coupes à champagne. [...]

Le dessert est une fondue au chocolat. Préparez-la un jour de beau temps - un temps couvert ternit la brillance du chocolat fondu - avec du chocolat à soixante-dix pour cent de cacao, du beurre, un peu d'huile d'amande, de la crème fraîche ajoutée à la toute dernière minute et réchauffée à feu doux. Embrochez des morceaux de gâteaux et de fruits et trempez dans le mélange chocolaté. J'ai réuni ce soir tous leurs gâteaux préférés, même si seul le gâteau de Savoie est destiné à être trempé. [...] Je débouche une autre bouteille de champagne.

Joanne HARRIS, Chocolat, 1999.

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Commentaires

  • Certains textes, on les mangerait presque.

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