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Faire la cuisine, dit-elle...

Imprimer Catégories : Littérature gourmande

Je suis malade. Depuis mon retour de la montagne, je traîne un rhume. Enfin, ce que je croyais être un rhume... jusqu'à lundi. Là, je suis partie travailler avec les jambes flageolantes, les yeux mi-clos et une alternance frissons-bouffées de chaleur (la ménopause à 36 ans ?).

A dix heures, je suis rentrée, j'ai appelé mon médecin - débordé, il rentrait de vacances aussi... - qui n'a su que me dire : "Restez au chaud et attendez. Soit c'est une grippe et il n'y a rien à faire, soit c'est autre chose, et on ne sait pas. Attendons." Mon médecin est un philosophe.

Les jambes en coton et le nez en chou-fleur, je me suis couchée. Dix minutes après, ça allait mieux, je me suis levée... pour me recoucher cinq minutes plus tard !

Ce qui m'a permis de lire. Ce blog présente l'avantage de me stimuler intellectuellement. Ayant décidé d'ouvrir une rubrique "Littérature gourmande", je fouine, je farfouille, je suis toujours à la recherche de la pépite littéraire, du texte qui parlera cuisine, manger, gourmandise...

la_seicheDans ce esprit, j'ai acheté un roman dont j'avais entendu parler il y a un certain nombre d'années, mais que je n'avais jamais lu : La Seiche, de Maryline DESBIOLLES. Une femme, seule dans sa cuisine, suit phrase par phrase une recette pour préparer des seiches farcies. Chaque geste fait ressurgir des images, des souvenirs...

Franchement, le livre ne m'a pas captivé. Court, bien écrit, certes, mais porteur de tant de "à la manière de" à la limite de la préciosité, il était plus longuet qu'autre chose. J'en ai néanmoins retenu deux passages, dont celui-ci :

FAIRE LA CUISINE

Qui n'a pas suçoté quelque chose en faisant la cuisine me jette la première pierre. Faire la cuisine m'exalte, m'irrite, m'apaise et me réconcilie. M'ennuie, m'enchante. Me dégoûte. Ne laisse pas de m'étonner. Tant de couleurs, d'odeurs, de consistances à entremêler infiniment. Tant de goûts à enchâsser, à extraire, tant de goûts à vanter, à plier à notre volonté, à convaincre de se dilater et de nous oindre la bouche entière. Tant de règles, tant d'habitudes, tant de surprises. La cuisine me désespère, parfois je n'y comprends rien. Qu'ai-je à voir avec elle ? Est-ce une toquade ? Qui ai-je envie ainsi de régaler ? Qu'est-ce que je veux amadouer ? Parfois il me semble que la cuisine me délivre un peu de la violence. Et je me cabre. Car je tiens à ma violence que je déplore comme à la prunelle de mes yeux. Je n'aime pas les gens qui chipotent, j'aime au contraire qu'on mange avec appétit, solidement. Mais en même temps je crois bien que la cuisine me délivre de la voracité. La cuisine me police et je déteste la cuisine parce qu'elle me police. La cuisine et son corollaire, la civilité. La figure du plus revêche se fend d'un sourire comme ce que vous avez mijoté pour lui est à son goût et vous vous entendez dire à qui vous a déplu depuis le début de la soirée : "Servez-vous à nouveau, je vous en prie, vous me feriez plaisir." Jamais vous ne cuisineriez pour vous tout seul. En imaginant un plat, vous pensez aussitôt à ceux que vous inviterez à le partager. N'est-il pas étrange que vous qui prétendez tenir par-dessus tout à votre solitude, vous vous retrouviez des heures durant devant vos fourneaux et, plus exactement, entièrement vouée à ceux qui vous mangeront bientôt ? Sans doute avec votre cuisine voulez-vous les appâter ceux-là qui vous mangeront bientôt, à moins que ce ne soit vous-même que vous ne finissiez pas d'apprêter et de travestir afin de vous rendre présentable lorsque vous leur parlerez. Votre visage cru, ils ne le verraient pas, et vos paroles crues, ils ne les entendraient pas. Votre visage et vos paroles crus seraient trop effrayants et trop magnifiquement perdus pour que quiconque les voie ni ne les entende jamais.

Maryline DESBIOLLES, La Seiche, 1998.

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4 commentaires Pin it! Lien permanent

Commentaires

  • Avec de tels articles je sens que je vais espérer que tu restes longtemps malade !!! et si ça dure une petite idée... il y a quelques temps un ami m'a offert (il sait que j'adore la cuisine japonaise) un étonnant manga (ça passe très bien pourtant c'est un style que je n'aime pas) Le gourmet solitaire... si tu as l'occasion essaye de le regarder! bonne guérison quand même ,-)

  • Comme dit Dorian, reste au lit et raconte nous des histoires. A qui est-ce que ca te fait penser, Duras, Sarraute? Je crois que j'aurais ete incapable de lire un bouquin de ce style dans son entier, je me serais endormie bien avant.

  • Je te souhaite meilleure santé. Merci de partager tes lectures.

  • TU ne veux pas aller marcher dans la campagne juste en jean t-shirt, sans manteaux, histoire de prolonger le rhume quelques jours de plus ??

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