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Petit-déjeuner chez Katz (Nancy HUSTON)

Imprimer Catégories : Littérature gourmande

hustonNancy HUSTON (photo de M. Mangiulea) a le chic des titres intelligents. Instrument des ténèbres, L'Empreinte de l'ange, des titres qui vous donnent à la fois envie de lire les livres pour élucider le mystère de leurs intitulés et  l'impression d'être plus intelligente quand vous les refermez car vous avez compris la parfaite adéquation entre ledit titre et l'histoire elle même.

Lignes de faille ne fait pas exception à la règle. Il intrigue, il interroge et... on ne l'apprécie parfaitement qu'une fois la denrière page lue ! Le roman est bouleversant et vertigineux, tragique et ironique à la fois. C'est d'abord une forme de narration originale : quatre narrateurs de six ans racontent à tour de rôle un moment de leur vie ; sauf que ces quatre narrateurs sont les enfants l'un de l'autre : le premier, Sol, vit à New York en 2004, le deuxième, son père, Randall, va connaître une expatriation en Israël en 1982, sa mère, Sadie, va raconter 1962, quant à Erra-Kristina, ce sera 1944-45.

Quatre enfants, quatre destins et quatre hérédités. Et là est le vertige : les racines des uns sont chez les unes, tout s'explique, tout s'imbrique et l'on finit emporté par cette spirale tout à la fois terrible et implacable. J'aurais pu choisir plusieurs extraits, je me suis arrêtée à celui de Sadie, la plus mal dans sa peau, la plus acharnée aussi à mettre à nu la vérité, TOUTES les vérités, qui découvre via son beau-père, Peter "un des aspects les plus agréables de la vie des juifs". Voici donc :

PETIT-DEJEUNER CHEZ KATZ

C'est dimanche et maman fait la grasse matinée. Quand elle n'est toujours pas levée à onze heures, papa me dit : "Si on allait chercher quelque chose à se mettre sous la dent ?" Alors on sort dans la rue main dans la main et je me sens fière et éveillée et unique. On descend Delancey et Rivington et quand on arrive sur Orchard je vois que tous les magasins sont grands ouverts avec des étals qui débordent jusque sur le trottoir, chose impensable le dimanche à Toronto. Il y a des enseignes partout et je les lis fièrement à mesure que papa me les montre du doigt : Sacs à main Fine & Klein, Maroquinerie Altman, Lainages, soies et draperies Beckenstein (...) Papa arbore un immense sourire et s'arrête de temps à autre pour regarder la marchandise et bavarder avec les vendeurs, tous le félicitent pour sa jolie petite fille et je n'ai pas la moindre envie de les désabuser. Il m'amène dans un grand restaurant qui s'appelle Chez Katz où il y a énormément de monde, des hommes surtout, et Peter m'explique que ce n'est pas un restaurant mais un delicatessen, ce qui veut dire qu'au lieu de s'asseoir à une table et de donner sa commande au serveur, on fait la queue au comptoir en regardant, baba, les mille sortes de pains et de charcuteries et de fromages exposés dans la vitrine, quand c'est votre tour on leur dit ce qu'on veut manger et ils le flanquent sur l'assiette, là devant vos yeux.

Papa me dit "OK, la môme, le moment est venu pour toi de faire la connaissance des bagels". Il passe notre commande et on s'installe avec le plateau à une petite table dans un coin et je goûte à cette nouvelle forme d'extase qui est une sorte de pain avec un trou au milieu, tout bourré de saumon fumé et de fromage à la crème, et ensuite il dit : "Tu me posais ds questions au sujet des juifs ?" et je fais oui de la tête parce que j'ai la bouche pleine et il dit : "Ca, c'est un des aspects les plus agréables de la vie des juifs." (...)

- Et c'est quoi les aspects désagéables ?

- Oh... chaque chose en son temps. Il n'y a pas le feu."

Ca devient une tradition entre nous de descendre jusqu'au coin de Houston et Ludlow le dimanche matin pour prendre le petit-déjeuner chez Katz. Papa me laisse goûter tout ce que je veux et je veux goûter de tout : les cornichons à l'aneth et les tomates vertes en saumure, les sandwichs géants au corned-beef ou à la langue fumée ou au pastrami chaud, les bagels et les bialies, le hareng salé et les pizzas au salami, en enfin, comme dessert, unmerveilleux strudel aux pommes.

"Mon Dieu, Peter, tu le gâtes !" dit maman quand je lui raconte ce que je viens de manger, mais papa dit : "Elle mérite d'être gâtée un peu, après toutes ces années d'éducation spartiate dans le Grand Nord" et, même si je ne connais pas le mot spartiate, je suis totalement d'accord.

Nancy HUSTON, Lignes de faille, 2006.

Petite anecdote : Nancy Huston a écrit son livre en une nuit...

7 commentaires Pin it! Lien permanent

Commentaires

  • J'adore lire tes présentations de livre, je me suis fait une catégorie spéciale dans mes favoris!

  • D'abord Agapanthe, ensuite Mijo, maintenant toi, je vais le rajouter de suite sur ma liste celui-ci!

  • Je viens de le terminer. J'ai adoré, adoré, adoré.Il a été écrit en une nuit ?!!!! Je suis encore plus admirative.

  • Je n'ai pas lu ce livre mais j'ai mangé chez Katz lors de mon sejour à NY... pas un bagel mais knishes...

  • J'ai beaucoup aimé moi aussi ce roman... malgré un premier chapitre un peu décevant...Bon dimanche, à bientôt

  • Bonjour Nancy, Ce 6 juillet 2010
    Nous aimerions inviter Nancy Huston à notre Salon du livre de Toronto qui se tiendra au centre-ville du 8 au 11 décembre 2010.
    Elle pourrait présenter ses livres, participer à une table ronde ou être la conférencière invitée.
    S.V.P. répondez dès que possible. Merci!
    Paul Ceurstemont,
    Vice-Président du Salon du livre de Toronto
    (416) 449 8738

  • Vous me faites trop d'honneur, chez monsieur, mais je doute que Nancy Huston lise ce blog...

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