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Grasse matinée chez Jacques Prévert

Imprimer Catégories : Littérature gourmande

pr_vertC'est drôle, Jacques Prévert est le premier auteur qui m'a fait faire coïncider littérature et réalité. Je me rappelle parfaitement cette annonce au journal télévisé du soir, en 1977, accompagné de cette photo noir en blanc : "Jacques Prévert est mort."

Mais pour moi, Jacques Prévert ne pouvait pas être mort ! Jacques Prévert était un poète ! De ceux que j'apprenais à l'école avec bonheur... "A l'enterrement d'une feuille morte, deux escargots s'en vont..." "Peindre d'abord une cage..."

C'est ainsi que j'ai découvert que nous seulement les poètes étaient des êtres humains, mais qu'en plus, ils mourraient.

Heureusement que leurs vers restent... Ce n'est pas mon poème préféré de Prévert que je vous propose aujourd'hui, mais le plus en rapport avec la nourriture... Voici :

LA GRASSE MATINEE

Il est terrible
Le petit bruit de l’œuf dur cassé sur un comptoir d'étain
Il est terrible ce bruit
Quand il remue dans la mémoire de l'homme qui a faim
Elle est terrible aussi dans la tête de l'homme
La tête de l'homme qui a faim
Quand il se regarde à six heures du matin
Dans la glace du grand magasin
Une tête couleur de poussière
Ce n'est pas sa tête pourtant qu'il regarde
Dans la vitrine de chez Potin
Il s'en fout de sa tête l'homme
Il n'y pense pas
Il songe
Il imagine une autre tête
Une tête de veau par exemple
Avec une sauce de vinaigre
Ou une tête de n'importe quoi qui se mange
Et il remue doucement la mâchoire
Doucement
Et il grince des dents doucement
Car le monde se paye sa tête
Et il ne peut rien contre ce monde
Et il compte sur ses doigts un deux trois
Un deux trois
Cela fait trois jours qu'il n'a pas mangé
Et il a beau se répéter depuis trois jours
Ca ne peut pas durer
Ca dure
Trois jours
Trois nuits
Sans manger
Et derrière ces vitres
Ces pâtés ces bouteilles ces conserves
Poissons morts protégés par les boîtes
Boîtes protégées par les vitres
Vitres protégées par les flics
Flics protégés par la crainte
Que de barricades pour six malheureuses sardines..
Un peu plus loin le bistrot
Café-crème et croissants chauds
L'homme titube
Et dans l'intérieur de sa tête
Un brouillard de mots
Un brouillard de mots
Sardines à manger
Oeuf dur café-crème
Café arrosé rhum
Café-crème
Café-crème
Café-crime arrosé sang !...
Un homme très estimé dans son quartier
a été égorgé en plein jour
L'assassin le vagabond lui a volé
Deux francs
Soit un café arrosé
Zéro franc soixante-dix
Deux tartines beurrées
Et vingt-cinq centimes pour le pourboire du garçon.

Jacques PREVERT, Paroles.

5 commentaires Pin it! Lien permanent

Commentaires

  • Merci beaucoup. J'adore Jacques Prévert.Tarzile

  • Merci aussi....je l'adore aussi.

  • Je crois que je ne pourrai plus jamais casser un oeuf dur sans penser à ce poème. Merci!Je me demande si on sert encore des oeufs durs au comptoir des cafés parisiens, ça fait longtemps que je ne suis pas allée au café. J'aimais bien manger des oeufs durs au comptoir, autrefois, avec un demi.

  • Un poème interprété de façon très chouette par Mouloudji.

  • Quel grand monsieur!Un si joli poème à partir de l'oeuf du matin

Les commentaires sont fermés.