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Ode à l'aïl

Imprimer Catégories : Littérature gourmande

Dans ma cuisine se trouvent toujours en bonne place l'aïl et l'oignon. L'échalote aussi, mais moins systématiquement. Si je suis la première à déplorer le parfum tenace de l'aïl sur mes doigts, il n'en demeure pas moins que j'ai les plus grandes difficultés à ne pas m'en saisir dès qu'il s'agit de me mettre derrière les fourneaux. J'aime l'aïl. J'aime le dépiauter, l'émincer, l'écraser, le sentir embaumer dans l'huile d'olive tandis qu'il y revient encore et toujours. Et, certes, si je n'apprécie pas de le sentir toujours à l'heure du goûter, il est cependant pour moi une des odeurs les plus apéritives qui soient. Ca sent l'été, le soleil, le farniente... les vacances, quoi !

L'écrivain Jean-Claude IZZO, l'auteur de la génialissime trilogie marseillaise (Total Kheops, Chourmo et Solea), un bonheur de littérature gourmande, a lui aussi un certain sentiment pour l'aïl. Voici ce petit texte, trouvé au hasard de mes perégrinations webiennes...

izzoIvresse de l'aïl

par Jean-Claude Izzo

La première fille que j'ai embrassée sentait l'ail. C'était dans un cabanon, aux Goudes, à cette heure de l'été où les grands font la sieste. J'ai, cette année-là de mes quinze ans, appris à aimer l'aïl. Son odeur dans la bouche. Son goût sur ma langue. Et l'ivresse des baisers, et du plaisir. Vinrent ensuite les bonheurs du pain simplement frotté à l'ail et du corps épicé des femmes.

Depuis, dans ma cuisine, l'ail trône. Fièrement. Malgré sa mauvaise réputation. Car l'ail, vous l'avez compris, appartient à la gourmandise de vivre. C'est lui, seul, qui ouvre les portes à toutes les saveurs. Il sait les accueillir. Cuisiner, manger, c'est cela : accueillir. Les amours, les amis, les enfants, les petits enfants. Sans exception,autour de la table, on écosse fèves, haricots blancs ou rouges, on découpe aubergines, courgettes, poivrons verts, rouges, jaunes, on vide les poissons, on lave poulpes, calmars et seiches, on découpe des lapins, on met à mariner des viandes rouges...

Daurades au fenouil, aïoli, civet à la ratatouille, bouillabaisse, soupe au pistou, paëlla, artichauts barigoules, morue en raïte... Les plats naissent, dans l'amitié d'être réuni, les rires et la parole sans retenue. Et la maison se trouve fortement parfumée. D'un parfum sauvage, et vulgaire. Parce que c'est évident, cuisiner à l'aïl est une outrance culinaire, un outrage au bon goût.

C'est dans ces gestes, autour de l'aïl, que les mondes se séparent. Plus gravement que vous ne pouvez l'imaginer. Rien, en effet, ne s'accorde mieux à l'aïl que le vin, rouge de préférence. Du bandol en particulier, issu du fabuleux cépage qu'est le mourvèdre. Des vins amples, élégants, puissants, gras, et très aromatiques. L'un et l'autre, à chaque bouchée, poussent l'outrance jusqu'à ses dernières limites. Là où le palais rien revient pas de tant de sollicitations. N'en reviendra jamais. Comme de l'ivresse d'un premier baiser.

5 août 1997. Paru dans "La pensée de Midi", n°1, printemps 2000

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Commentaires

  • merci pour ce texte plein de sensualité et de gourmandise, bel éloge méditerranéen

  • J'ai bien aimé son texte... mais je préfère le tien surtout quand tu dépiautes, tu éminces, tu écrases, tu sens... même si tu parles là de ta relation avec... l'aïl ,-) !

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